Titre: Jazz et Moi
Auteur : Damoiselle A.
Correctrice : Ninie
Résumé : Bella a dix-huit ans et pourtant elle pourrait en avoir dix de plus. Les épreuves ne l'ont pas épargné, mais elle a réussi à se trouver une famille, une place dans le monde. Tout son équilibre tangue quand elle le croise dans la rue. JW/BS
NDA : Tous les personnages appartiennent à Meyer, je ne fais que martyriser ses personnages pour mon plus grand plaisir et j'espère le vôtre. Que dire sinon que cette histoire a germé un beau matin et ne m'a plus quittée depuis ? Cette histoire a été et sera postée en priorité sur DAL, excellent forum twilightien si vous en chercher un (l'adresse est sur mon profil) puis sur . J'espère que ce début d'histoire vous plaira...
N'hésitez pas à me donner votre opinion ^^.
Un grand merci à Ninie pour sa correction !
CHAPITRE 1 : SOUS LA GALERIE
« Les hasards de notre vie nous ressemblent. »
Elsa Triolet
- On y est ma belle, me souffla Esmé en s'arrêtant devant l'immeuble de Charlie.
- Oui, acquiesçai-je, peu pressée de rejoindre mon père.
Je ne savais pas ce qu'il avait prévu aujourd'hui, ou même s'il était là. Depuis quelque temps, mon père devenait encore plus fuyant.
- Je viens te chercher ce soir à dix-neuf heures. On rentrera pour un bon dîner maison, me rassura-t-elle en me souriant doucement. Tu as ton portable n'est-ce pas ?
- Oui, souris-je doucement. Ne t'en fais pas, je t'appelle s'il y a quoique ce soit.
- Bien. Passe une bonne journée.
Je sortis de la voiture. J'accueillis le froid de l'extérieur avec bonheur. Les sensations étaient agréables. La neige tombait, ce serait bientôt Noël et les fêtes. Peut-être ma mère se joindrait à nous cette année ? Je soupirai doucement. Il ne fallait pas trop en demander. J'ouvris la porte du hall grâce à mon trousseau de clefs. Je pris les escaliers, retardant mon arrivée dans l'appartement de mon père. Charlie n'avait toujours pas réussi à passer au-dessus du départ de ma mère. Nos moments ensemble étaient chargés de silence.
Je finis par atteindre la porte d'entrée. Je sonnais et frappais. Rien. J'ouvris la porte avec ma clef en soupirant. Il devait être encore en retard, retenu sur une affaire. J'entrais dans l'appartement. Toujours aussi sinistre. Je me précipitais vers les fenêtres pour ouvrir les volets et faire entrer la lumière. Je n'aimais pas ces visites. Je pris place dans la cuisine, constatant encore une fois l'incapacité de mon père à réaliser des courses correctes. Soupirant, je pris mon courage à deux mains et envisageai les choses du bon côté.
Au moins, je ne m'ennuierais pas en l'attendant. Je ramassai les vêtements sales jonchant le sol. Mon père ne prenait la peine de laver des vêtements que lorsqu'il s'agissait de son uniforme de travail. Je triai les couleurs et lançai une première machine avant de récupérer le linge que j'avais mis sur l'étendoir deux semaines plus tôt. Je pliais les sous-vêtements et posai ce qui restait dans la panière de linge à repasser.
Je changeai les draps, aérai la chambre, passai un coup d'aspirateur partout et nettoyai la salle de bain et la cuisine. Je transvasai la machine propre dans le sèche-linge et relançai le lave-linge. J'établis une liste des courses et descendis à la supérette, située à deux pas de l'immeuble, mon cabas sous le bras.
Les courses ne me prirent pas longtemps, je connaissais parfaitement la supérette du quartier pour y avoir effectué les courses de Charlie pendant toute mon adolescence. Lorsque je déposais les sacs dans la cuisine de l'appartement, mon père avait déjà deux heures de retard. Je poursuivais donc dans mon élan, sortant le linge sec, transférant le linge mouillé et faisant tourner la dernière machine. J'entamai alors le repassage, attendant mon père. À la fin de ma panière, je pliai les draps secs et rangeai le tout dans l'armoire. Toujours aucun signe de Charlie.
J'entrepris de cuisiner le repas de ce soir. Je mis la viande à mariner, découpais les pommes de terre pour le gratin. C'était l'une des premières recettes qu'Esmé m'avait enseignée.
À seize heures, sans aucune nouvelle de mon père, je commençais à m'inquiéter. Je finis mes corvées et m'installais dans le canapé. Je remarquai alors la lueur rouge sur le répondeur posé à côté du téléphone. J'appuyais sur la machine pour écouter le message :
« Bella, c'est Charlie. J'ai essayé de te joindre sur ton portable… En dernier recours j'espère que tu auras ce message. Je ne pourrais être présent cet après-midi… Nous sommes sur une affaire sérieuse. Il y a des agressions en ce moment. Je ne quitterais pas le travail de tout le week-end. Je sais que tu comprendras. Je t'embrasse. »
Je n'ai jamais aimé mon prénom. Pourtant mes parents l'avaient choisi avec soin. Je m'appelle Isabella. Bella pour les intimes, la famille, les amis. Petite déjà, je lançai mon prénom comme un défi. « Je m'appelle Isabella et après ? »
Enfant, je ne l'aimais pas, il était trop différent des autres. Adolescente, je trouvais qu'il avait une connotation bien trop sage. Pourquoi porter un nom si complexe lorsqu'on est un être humain banal, comme moi ?
En réalité je n'ai jamais aimé ni mon prénom –beaucoup trop long et emprunté- ni le diminutif qui l'accompagne depuis maintenant dix-huit ans. J'ai toujours eu horreur que les gens émettent un jugement sur ma personne en ne se basant que sur mon surnom au détriment de ma personnalité. « Bella ce n'est pas courant ! Mais cela te va comme un gant tu es très jolie ! » Ou encore « Bella ? Non, mais quelle idée, regarde-toi ! ». J'aurai voulu un prénom normal, qui ne me prédestine pas à être belle ou laide. Un prénom qui n'avait pas de sens caché.
Car Bella a un sens caché, un sens que peu de personnes connaissent. Il est vrai que dans ma vie, je n'ai rencontré que peu de latinistes. Et à vrai dire, si mon professeur de littérature anglaise ne m'avait pas encouragé, je n'en aurais jamais fait moi-même. Il faut aimer les langues latines et leur origine. Il faut s'intéresser aux choses qui ne servent à rien, des choses qui ne vous aideront jamais dans la vie réelle. De fait, je pense que ce sont ces choses qui construisent une personnalité. Pour en revenir à mon prénom, Bella signifie la Guerre en latin.
J'avais pour choix d'être belle et donc forcément stupide ou d'être une guerrière complètement sanguinaire. Mais est-ce vraiment des choix de vie acceptable pour une enfant de huit ans ?
Aujourd'hui, je n'aime toujours pas mon prénom, parce qu'il a marqué depuis toujours le fait que j'étais différente. Un prénom différent pour une personne qui n'est jamais entrée dans le moule. Mes parents étaient-ils si cruels pour montrer comme une évidence au monde que leur fille était marginale ?
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu des soucis relationnels. Au début j'ai cru que mes problèmes avec les autres venaient de mon apparence. J'étais menue aux cheveux et aux yeux bruns et à la peau crayeuse. Il a vite fallu me rendre à l'évidence. Je n'avais simplement pas les codes pour m'intégrer aux jeux des autres. Ils me trouvaient étrange et je préférais discuter avec des adultes, car chez moi je ne côtoyais qu'eux.
Puis petit à petit, j'ai compris à force d'observation comment faire pour jouer à la petite fille normale. C'est ce moment précis qu'a choisi Elizabeth pour mourir. Je lui en ai voulu terriblement. Je lui en ai voulu de nous avoir laissé ma famille et moi. Je lui en ai voulu d'être partie sans être vraiment malade. D'avoir été chercher mon cousin Edward chez la nourrice ce jour-là et de s'être fait renverser par un chauffard ivre. Je lui en ai voulu d'avoir fait pleurer tous les gens que j'aimais. Et plus que tout je lui en ai voulu quand ma mère a quitté mon père.
Pourtant et avec le recul, je sais pertinemment que ce n'était pas sa faute. Ma pauvre tante n'avait pas choisi tout cela et si elle avait pu, elle serait restée avec nous… Les choses s'étaient passées différemment.
Mon père et ma mère s'étaient rencontrés dans la grande ville de Seattle. Ils avaient eu la chance de pouvoir étudier. Ma mère vivait avec sa grande sœur Élisabeth. Cette dernière était déjà fiancée à un certain Carlisle Cullen. L'homme qui allait devenir mon oncle et par la suite le seul soutien de mon père. Ma tante Liz encourageait ma mère à sortir. Elle n'avait pas prévu qu'elle tomberait amoureuse d'un certain Charlie Swan au point de tout abandonner pour l'épouser et devenir institutrice.
Charlie avait fait les choses correctement. Il avait demandé à Renée de l'épouser, était entré dans les forces de l'ordre et avait demandé une mutation dans la banlieue de Seattle. C'est ainsi que ma mère et lui ont atterri à Forks, 3000 habitants. Deux ans plus tard, Carlisle finissait son internat et demandait ma tante en mariage. Elle accepta et ils eurent la possibilité de s'installer dans le même village que mes parents. Malgré les aléas de la vie, la difficulté du travail de mon père qui lui grignotait petit à petit la santé, la vie de médecin de Carlisle qui le rendait absent, ma tante et ma mère se soutenaient. Si bien qu'elles sont tombées enceintes en même temps.
Élisabeth a accouché d'Edward seulement deux mois avant ma naissance. Nous avons joué des heures ensemble, toutes les photographies de nos albums nous montraient ensemble, riant, jouant et même si c'était mortifiant de l'avouer, prenant notre bain. Jusqu'à ce jour tragique. Edward avait trois ans, moi deux. Élisabeth s'est tuée dans un accident de voiture. Carlisle a subi la perte de sa femme. Il organisa l'enterrement seul, tout en gérant son travail et son petit garçon. Ma mère l'aida du mieux qu'elle put. L'enterrement eut lieu fin août. Quelques semaines plus tard nous fêtions mes trois ans. Et ma mère plia bagages pour déménager.
J'en ai voulu à ma tante lorsque ma mère nous abandonna. Je sus des années plus tard que le couple de mes parents avait commencé à se fendiller bien avant la mort de Liz. Et puis, ma mère n'a jamais pu s'imaginer continuer sa vie à Forks, où tous les endroits lui rappelaient des souvenirs en lien avec sa sœur. Elle émit le vœu de m'emmener. Mais nous étions en pleine année scolaire et il y avait à Forks tous ceux que je connaissais : ma famille, mon cousin, mes amis… Ils n'ont pas voulu me déraciner.
Aujourd'hui je ne m'en plains pas. Deux ans après la mort de ma tante, mon oncle Carlisle s'est remarié avec une femme qu'il avait rencontrée à l'hôpital. Je n'ai su qu'après, qu'en réalité elle y était venue en tant que patiente, car son mari était violent. Il avait levé la main sur leur fille, Rosalie, et elle avait demandé le divorce. Celui-ci avait été prononcé des mois plus tard lui laissant la garde complète de sa fille.
Mon oncle est tombé amoureux d'elle. Elle s'appelait Esmé. Il lui a fallu six mois pour la convaincre et un an de relation pour qu'elle accepte de partager la vie de Carlisle et de mon cousin. Ainsi, Edward hérita d'une grande sœur de deux ans de plus que lui. Rosalie avait six ans, Edward bientôt quatre. Elle nous a appris la plupart des gros mots que nous connaissons. Six mois après leur installation, Alice est née. Elle avait seulement trois ans et demi de moins que nous et Edward et moi l'adorions.
J'essayais de me raccrocher à la famille de mon oncle, car mon père était de plus en plus malheureux. Malgré tous mes efforts de petite fille, il rentrait de plus en plus tard. Je ne comprenais pas à l'époque que je lui rappelai ma mère. Les années ont passé et j'ai fini par être désespérée par l'attitude de mon père. J'ai complètement arrêté de travailler à l'école, je suis devenue insolente, sous le regard indifférent de mon père et sans le moindre commentaire de ma mère. Seul Carlisle s'affolait.
Le temps passait, blessant. Edward poursuivit ses efforts scolaires et commença le piano. Il était le prodige et je me mis à le détester. Alice ne me calmait plus. Seule Rose semblait me comprendre. Finalement, mon père, remarqué par les bons résultats qu'il avait obtenus à Forks, accepta la promotion qui lui était accordée à Seattle. Nous déménageâmes sans mon accord et sans que la question me fut posée.
Je plongeais complètement. Mon retard scolaire s'accumula. Je maigris beaucoup, devins apathique et ne voulus plus aller chez mon oncle. Mon père ne posait pas de questions, assurant le strict minimum. Il devait remarquer mes difficultés, mais il avait ses propres problèmes. Je ne lui ai jamais jeté la pierre.
Et puis un jour, Esmé est venue nous rendre visite. Elle me trouva seule à la maison, plongée dans le noir parce que les interrupteurs étaient trop hauts pour moi. J'attendais dans mon lit, en pyjama le retour de mon père. Esmé fut horrifiée, elle appela mon père et m'emmena chez elle. Je pus m'endormir le soir blotti contre mon cousin qui me serrait dans ses petits bras.
Le lendemain mon père fut convoqué par Carlisle. J'étais présente, j'ai entendu et acquiescé à tous les reproches que mon oncle par alliance adressait à mon père. Petit à petit, les épaules de Charlie se tassèrent et je ne pouvais plus le supporter. J'ai arrêté Carlisle en lui demandant si je pouvais venir vivre avec eux, avec Rose, Edward, Alice et Esmé. Ma nouvelle tante pleura de soulagement et un lit fut aménagé dans la chambre de mon cousin. Grâce à lui je réussis à rattraper mon retard cette année-là. Nous avions huit ans.
J'ai passé les dix dernières années chez mon oncle et ma tante. Dans ma famille, celle que je m'étais choisi. Edward et moi, après bien des disputes et des anicroches nous étions rapprochés jusqu'à nous considérer comme des jumeaux. Après tout n'avions-nous pas perdu nos mères tous les deux ? Et n'avions-nous pas la même en la personne d'Esmé ?
Je séchai les larmes traîtresses qui avaient coulé sur mes joues. J'hésitai à rappeler Esmé ou Edward pour discuter, pour qu'ils viennent me chercher, que je ne reste pas seule. En regardant par la fenêtre, je me souvins que nous serions bientôt en vacances. J'aurais moins de choix pour effectuer les achats de Noël puisque nous ne quitterions pas Forks. Inspirant profondément, je pris le sac contenant mon portefeuille et sortit en claquant la porte.
Rejoindre le centre commercial le plus proche fut aisé. Il était grand, et je m'y étais déjà perdue plusieurs fois. C'était ce qu'il me fallait. La majorité de la surface était couverte. Je n'aurais pas froid. J'attaquai les magasins avec les cadeaux pour Carlisle et Esmé.
Je choisis une revue médicale spécialisée pour mon oncle et le dernier livre de cuisine moléculaire pour ma tante. Je réussis à dénicher le magasin préféré d'Alice et lui pris une robe ainsi qu'un bracelet fantaisie. Pour Edward, je n'effectuai pas d'achats. J'avais déjà commandé pour lui les partitions introuvables d'un compositeur européen obscur. Rosalie eut droit à sa bouteille de parfum annuelle. Et j'hésitai à acheter quelque chose pour Emmett… De manière générale, je lui aurais offert de la nourriture. Mais ne serait-ce pas plus drôle de lui acheter un livre sur la nourriture ? Ni une, ni deux, je pris un ouvrage intitulé « Les mets préférés des Américains ».
« Que pourrais-je prendre pour Charlie ? Et pour Renée ? Accepterait-elle de recevoir un cadeau de ma part cette année ? »
Perplexe, je continuais à déambuler dans les galeries. Mes pieds commencèrent à devenir douloureux. La lumière des galeries m'agressait. J'hésitai à continuer lorsque j'entendis de la musique. Un groupe de jazz jouait en face d'un des magasins. Je m'arrêtai quelques instants devant eux pour les écouter. La musique me plaisait, elle me vidait la tête. En quelques secondes, je n'avais plus de soucis. Je rentrerais ce soir chez Esmé et Carlisle, je discuterai de cette journée avec Edward, je rirais avec Alice…
Déterminée à retourner chez moi, je fis demi-tour. Ce que je vis me bouleversa, touchant des profondeurs que je ne soupçonnais pas. Dans ma courte vie, j'avais vécu des choses difficiles, mais celle-là, le voir ici, était sans doute la plus difficile de toutes. Devant le magasin se tenait un jeune homme. Il devait avoir mon âge, peut-être un peu plus vieux. Son regard, vague et éteint, m'atteignit en plein cœur. L'inscription qui ornait sa pancarte, me donna envie de pleurer et de vomir.
« J'ai honte mais j'ai faim. »
Dans quel monde, les adultes avaient-ils permis ça ? Je m'approchais doucement, pour ne pas l'effrayer. Des larmes coulèrent sur mes joues mais je ne m'en souciais pas. J'étais dans cette espèce de transe, où votre instinct prend le dessus sur votre raison. Je notai vaguement sa position, à genoux sur le sol. Sans comprendre pourquoi, je le touchais. La scène vue de l'extérieur devait paraître bien étrange.
Pendant une fraction de seconde, il posa ses yeux sur moi. Aucun étonnement, aucune gêne. Il n'était pas présent. Son corps l'était mais pas le reste. Délicatement, je fis glisser la pancarte de ses doigts pour la poser sur le sol. Il me laissa faire, complètement inerte. Mon instinct me dictait chaque action, et au fond de moi, je savais que c'était ce que je devais faire.
Ses mains étaient gercées par le froid. Des crevasses y apparaissaient. Je l'aidais à déplier sa longue silhouette, ankylosée par son immobilité forcée. Je frottais énergiquement ses jambes par-dessus son pantalon pour rétablir la circulation sanguine. Il devait être en état de marcher ; je ne pourrais pas le porter. Nous fîmes quelques pas. Je récupérais mes emplettes, devenues insignifiantes. Balançant tous les sacs dans une main, je libérais l'autre pour prendre la sienne.
J'avais cette impression confuse que si je ne lui tenais pas la main, il pourrait partir, s'envoler. Qu'il n'était déjà plus ici avec moi ! Je me demandais depuis combien de temps quelqu'un l'avait touché sans arrière-pensée. Je le traînai littéralement le long du chemin nous menant à l'appartement de mon père. Il plaçait ses pas dans les miens mécaniquement. Nous prîmes un bus, remontâmes plusieurs rues, et il était toujours attaché à moi.
J'ouvris les portes avec mon trousseau, et même lors de cette opération, je réussis à ne pas le lâcher. C'était devenu une priorité, ne pas le laisser partir. Je lâchais sa main sur le seuil de l'appartement et le fit passer devant moi. Si j'avais été toute seule, je me serais enfermée à clef, reflexe dû à la paranoïa de mon père. Mais il était avec moi. Et personnellement je n'apprécierais pas d'être enfermé dans un lieu inconnu, avec une étrangère dont j'ignore tout.
Il resta planté dans le salon, sans fixer son regard sur quelque chose de précis. Je m'avançai jusqu'à lui et avec la même douceur, j'entrepris de le défaire de son sac à dos, maigre vestige de ses affaires personnelles. Je les plaçai à côté de lui, pour qu'il puisse les voir. Je le fis s'asseoir sur le canapé et il obéit docilement à ma poussée.
Son état catatonique me déconcertait. Nous étions plus que tous les deux. Mon instinct avait arrêté de me guider et à présent, je me demandais ce qu'il convenait de faire. Pourquoi avais-je fait cela ?
Jetant mes questions aux orties, je partis m'affairer dans la cuisine. Je rajoutais un steak à la marinade préparée pour le dîner de mon père. Je mis le gratin au four et fit du thé. Cela me paraissait une bonne idée. Le thé lui permettrait de se réchauffer et de s'hydrater. Calmement je lui en offris un bol fumant.
Il n'esquissa pas un geste pour s'en emparer. Je lui posai alors entre les doigts et sans crier gare, il l'avala, presque d'une traite.
- Tu peux boire plus doucement, le rassurai-je avec patience. Tu vas te brûler.
Son regard me transperça. Il avait des yeux incroyables, bleu acier, dans lesquels on pouvait lire l'infini. Il semblait presque surpris que je lui adresse la parole. Je pus noter cette réaction devant l'écarquillement minimal de ses pupilles, à l'entente de ma voix. Depuis combien de temps n'avait-il pas été traité comme un être humain ?
- Je m'appelle Bella, annonçai-je presque mal à l'aise sous le feu de son regard. Je… Hum. Peut-être voudrais-tu prendre une douche ?
Son expression demeura impassible. Je restais perplexe. En avait-il envie ou pas ? Mais lorsque je remarquais que ses mains étaient rougies par le froid, la question ne se posa plus. Je me levai, lui demandant de me suivre. Il m'imita restant dans mon sillage, ne me lâchant pas d'une semelle.
Je me rendis dans la chambre que j'occupais petite-fille. Le placard était empli de vêtements, ceux d'Edward et les miens. Lorsque nous devions dormir sur Seattle, nous passions la nuit chez mon père. On y était tranquille et ça permettait à Edward de se reposer avant ses auditions au conservatoire. Je partis en expédition à la recherche d'un pyjama, ou d'un survêtement. Je n'hésitai pas à mettre ma tête entière dans le placard mural. Je finis par trouver un pantalon en coton à carreaux et un tee-shirt noir qui servait à mon cousin quand nous dormions ici.
Je sortis la tête du placard, triomphante. L'inconnu n'avait toujours pas bougé, son regard perdu au loin. Avisant les sous-vêtements d'Edward, je pris un boxer et une paire de chaussettes, avec l'espoir que tout serait à sa taille.
- Je t'ai pris un pyjama, soufflai-je, désarçonnée. J'espère que cela ira.
Nous repassâmes au salon puis dans la cuisine. Je vérifiais la cuisson du gratin avec force gestes et maniques. En réalité je cherchais surtout à attirer l'attention de mon invité, à avoir une réaction de sa part.
Je n'eus droit qu'à un vague regard désabusé. Ma parade nuptiale ne l'avait apparemment pas intrigué. Je faillis en sourire. J'ouvris la porte de la salle de bain, en lui présentant la douche, le fonctionnement des robinets et le placard à serviettes propres. Je posai le change sur le lavabo à portée de main. Pendant toutes mes explications, son visage resta impassible. La communication n'était visiblement pas son truc.
Je passai le seuil de la salle de bain, tentant de lui laisser un peu d'intimité. Mais lorsque je revins quelques minutes plus tard pour vérifier s'il ne s'était pas brûlé avec le pommeau de douche, je le trouvai au milieu de la salle de bain, à attendre que le temps défile.
Bien, que devais-je faire ? Le laisser sale ? Il fallait nécessairement qu'il se lave, ne serait-ce que pour soigner les crevasses sur ses mains. Résignée, j'entrai, signalant ma présence.
- J'avoue que l'idée que j'avais en te laissant dans la salle de bain était que tu te laves.
Il ne me répondit pas, et je fis une moue. J'essayais de rendre mon visage et ma gestuelle corporelle la plus expressive possible. Carlisle me l'avait suffisamment répété : si le patient ne parle pas, le toucher physique est encore ce qu'il y a de mieux pour établir un contact. Prenant mon courage à deux mains, j'entrepris de débarrasser mon invité de son manteau. C'est ainsi que je me rendis compte qu'il ressemblait à un oignon : il avait au moins six couches de vêtements sur lui. Je défis une veste polaire, passa par-dessus sa tête un pull, puis deux, puis un tee-shirt. À croire que toute sa garde-robe était sur lui. Je me mordis les lèvres en pensant cela. C'était certainement le cas.
Je l'assis en faisant attention sur le bord de la baignoire et lui enlevais ses chaussures. Sa seule réaction fut de se tenir pour ne pas tomber. Je pris toutes ses affaires et les mis dans une panière. Car irait à laver. Il s'était déjà relevé lorsque je me retournais. La partie délicate s'annonçait encore pire que ce que je pensais. En fermant les yeux je fis glisser la braguette de son pantalon lorsque deux mains rugueuses se posèrent sur les miennes. Je relevais la tête, prête à lui expliquer la nécessité de se laver. Son regard était aussi vague que tout à l'heure, mais une étincelle de compréhension y brûlait. Je ravalais les mots dans le fond de ma gorge et lui fis un pauvre sourire.
- Très bien, j'ai compris, ajoutai-je, je vais m'occuper du dîner pendant que tu te douches.
Je sortis de la salle de bain comme si j'avais le diable aux trousses. Je vérifiais rapidement la cuisson de mes plats avant d'appeler ma tante :
- Je dois venir te chercher ? Me demanda-t-elle en décrochant.
- Non, répondis-je en essayant de rendre ma voix calme et posée. Je… Charlie a prévu un truc pour ce soir. Un genre de cinéma. Il voudrait qu'on passe la soirée ensemble.
- Oh, d'accord, souffla Esmé, surprise par ma déclaration.
- Je… ne veux pas lui faire de peine, tu vois.
- Non, c'est parfait, assura-t-elle un sourire dans la voix. Je passerais te chercher demain après-midi.
- Embrasse tout le monde de ma part.
- Oui, ma chérie. Je t'embrasse. À demain.
Je soupirai de soulagement dès qu'elle raccrocha. J'avais un délai, c'était déjà ça. Un bruit attira mon attention et je vis mon inconnu sortir de la salle de bain, à moitié vêtu. Il n'avait pas mis le tee-shirt d'Edward et je pouvais le comprendre : son torse était griffé de minuscules plaies non cicatrisées. Il fallait que je le soigne.
Il s'avança vers moi et planta son regard dans le mien. Mon corps réagit bizarrement. Cet inconnu mélangeait entièrement mes sentiments, je ne savais plus où donner de la tête. Je ne pouvais pas le laisser retourner dans la rue et reprendre sa non-vie. Il me faudrait très vite trouver une solution plus pérenne dans le temps qu'une planque dans l'appartement d'un flic.
Ma seule certitude était qu'il me restait moins de vingt-quatre heures pour l'apprivoiser.
À suivre...
Pour laisser un petit - ou un grand- commentaire c'est le petit bouton en dessous ^^ À bientôt ! ^^