Note de l'auteur : Pour info, "mammò" désigne une grand mère et "bà" c'pour dire "papa". Bonne lecture !


- Et beh, ça donne pas envie de se marier.

Christian fronça les sourcils et changea de chaîne.

- T'inquiètes ! On se marie dans le village le plus paumé de la planète, je te signale, avant que Daesh, le Fossoyeur ou je ne sais quel autre taré mental n'arrive à le placer sur la carte, on sera vieux. Et puis merde, on est en Corse, si y'a un cagoulé qui nous revient pas il aura trois balles dans le torse en moins de deux. Des cagoulés, d'accord, mais les nôtres seulement, faut pas déconner non plus !

Quentin rigola et éteignit complètement la télévision, se renfonçant dans le canapé.

- Et puis mammò m'a dit que mes cousins voulaient tirer au fusil pour fêter ça.

- Seigneur. Pourquoi on ne s'est pas mariés dans le Nord, rappelles-moi ?

- Parce que ma famille n'aurait pas survécu à votre bouffe hyper grasse, qu'il aurait fait froid et que de toute manière ces têtes de pioche sont tellement butés qu'ils auraient refusé de venir sur le continent pour le mariage. En plus, ose me dire que ta famille ne s'est pas réjoui à l'idée d'avoir un prétexte pour passer des vacances tranquillou en Corse en plein été !

- Mon père a surtout râlé pour le prix des billets d'avion et a dit que vous étiez tous des voleurs de toute façon. Ca va se finir en incident diplomatique, je te jure.

- Ah je t'en parle même pas, la gueule de mes cousins quand je leur ai dit que ton cousin qui fait du tuning allait venir... Mais quelle idée aussi d'être ch'ti et de faire du tuning, ton cousin il cherche la merde franchement !

Moui, il espérait tout de même que tout allait bien se passer et que personne ne déclencherait la première guerre Corso-Nordiste entre leurs deux familles pendant leur mariage. Il jeta un oeil par la baie vitré et sourit en voyant son petit frère sur la terrasse, bien décidé à profiter au maximum du soleil pour recharger ses batteries avant de retourner aux States. Matthis, réfugié sous le parasol, semblait plutôt bien décidé à rester obstinément aussi pâle qu'il l'était naturellement.

- Mouais, en attendant tu m'as forcé à accepter de mettre du gel.

- Ao, tu m'en veux encore ? Mais c'est normal attends, il faut bien qu'on voit tes yeux sur les photos ! Tu imagines sinon ? Dans dix ans, on adopte des enfants et là tu as le gosse qui me dit "Ò bà, c'est qui le bobtail en costard à côté de toi à ton mariage, il est où mon autre papa ?".

Ils éclatèrent de rire à l'image avant qu'Andriu ne vienne les frapper avec un journal, désirant un peu de calme pour pouvoir apprendre son discours.


- C'est dommage quand même, il était gentil Matthis...

Yaëlle fit la moue et s'assit en tailleur sur une caisse, observant ses hommes qui préparaient leur équipement. A l'origine, elle voulait intégrer Harvard pour aller ensuite dans une école d'officiers militaires. Sûrement la Navy. Elle aurait bien aimé commander un escadron ou quelque chose comme ça... Malgré de ne pas avoir la taille réglementaire, elle s'était entraînée, énormément. Avait réussi à obtenir l'autorisation de participer à l'examen en sachant qu'elle devrait faire encore mieux que les autres pour compenser sa petite taille. Et avait été renversée par une voiture juste avant. Elle n'avait jamais été aussi humiliée, les examinateurs avaient été persuadés qu'elle avait menti et s'était en fait dégonflé et avaient refusé de lui redonner une chance.

Antoni avait en quelque sorte réalisé son voeu. Elle avait la chance de pouvoir commander ce type d'opérations. Jusqu'ici, elle n'avait jamais déçu la tête de Fehu Othalan. Et elle ne comptait pas le décevoir maintenant.

- Méfiez-vous, après petite investigation il se trouve qu'une des traditions ici est de tirer des coups de feu pour les grandes occasions. Je doute qu'une cartouche puisse traverser vos équipements mais ne faites pas les imbéciles tout de même. N'ayez pas l'air organisé, il faut que tout soit confus. Eliminez les deux mariés et le père en priorité. D'autres en tirant dans le tas histoire d'en rajouter un peu. Mais pas touche à Alessandro et Matthis. Avec les repérages qu'on a fait avant ça devrait passer comme une lettre à la poste... C'est pratique un mariage pour un attentat, n'empêche. Tout est coordonné et organisé, chacun a sa place, pour viser une ou deux personnes en particulier c'est absolument parfait.


- Attendez, attendez, faut changer le plan de table, là, on a fait une énorme connerie !

- Christian, la cérémonie commence dans cinq minutes, je crois que c'est un peu trop tard pour le plan de table, là.

- Mais on a mis le cousin Angelo et la cousine Ghjuvannà quasiment face à face, ils ne peuvent pas se voir !

- Forcément, ton cousin Angelo est aveugle.

- Quentin, burdellu- C'est surtout qu'il est ajaccien et elle bastiaise, ça va forcément partir en steak... Bah, pas grave, on demandera à quelqu'un d'échanger pour la survie de l'humanité et...

- Christian, la ferme.

Le corse sentit la main de son futur époux attraper la sienne et la serra en retour avec un soupir. Son cher et tendre n'avait jamais été très amateur de cérémonies et il aimait encore moins être le centre de l'attention. Alors être le centre d'une cérémonie...

Matthis retint un rire tandis qu'Alessandro se retournait d'un air outré vers sa grand-mère, assise juste derrière eux.

- Mammò, ao !

- Quoi ! C'est vrai ce que je dis, Alessandro, tu le sais que c'est vrai. Votre génération elle ne nous ramène que de mauvais gendres et belles-filles ! Regarde la cousine Ghjuvannà, c'est même pas un homme son continental, c'est un paillasson ! Au moins le cousin Florent il a ramené une fille pieuse ! Pourtant c'est bien le dernier à aller à l'église !

Le cousin en question se pencha en avant, deux rangs plus loin, pour protester.

- C'est pas vrai, ça, mammò ! Mì que j'ai une croix autour du cou !

- Et tu crois que mammò elle a pas facebook et elle voit pas tes photos de soirées ?

- Mais mammò...

- Chut, Florent, tu as tort, tais-toi, ça commence.


Yaëlle jeta un coup d'oeil à sa montre et cala son talkie-walkie entre son épaule et son oreille.

- Là, ils sont devant le maire. Ca ne devrait plus tarder à présent. Les voeux, la signature, les félicitations de tout le monde et ils iront à la salle des fêtes. Vous êtes tous en place ?

Un grésillement lui répondit, faisant se recourber les commissures de ses lèvres.

- Parfait les garçons, vous êtes parfaits.

Elle attrapa son téléphone portable et composa rapidement le numéro d'Antoni. Leur brun teinté en blond national allait être ravi d'avoir des nouvelles. Elle savait à quel point il était frustré de ne pas pouvoir être à proximité des opérations mais, évidemment, un voyage en France de sa part pendant l'attentat serait des plus suspects.


Christian se fit remarquer qu'il devait y avoir au moins une photo sur laquelle il grimaçait tellement Quentin serrait sa main fort, écrasant complètement ses doigts. Heureusement que c'était la gauche, il ne pourrait pas signer le contrat de mariage sinon, il aurait l'air bien.

Un frisson remonta le long de la colonne vertébrale de l'albinos lorsque ses yeux mauves glissèrent sur l'homme avec qui il était sur le point de lier sa vie entière. Le grand sourire qu'il reçut en retour alors qu'ils se tournaient l'un vers l'autre lui fit se dire qu'il était quasiment en train de signer un contrat avec le diable. Enfin, il était déjà foutu, les multiples cousins et cousines de son compagnon lui ayant fait clairement comprendre que s'il blessait leur Christian national, ils ressortiraient les fusils et ce ne serait pas pour tirer en l'air cette fois-ci. Un léger sourire se dessina sur son visage tandis qu'il baissait la tête, une de ses mains se posant doucement sous le menton du brun, jusqu'à ce que leurs lèvres se joignent.

Alessandro serra instinctivement la main de Matthis avec un sourire bête en observant son frère concrétiser des années de relation. Il manqua de rigoler en entendant, quelques rangs derrière, une voix chuchoter « Ghjuvannà, ça ne te donne pas envie de te marier ? » suivi d'un « Non. » catégorique. Le pauvre gars ne devait vraiment pas se douter d'à quel point il allait ramer en tombant amoureux de leur bastiaise en chef.


-Ooooh, Louise, regarde !

La blonde eut un mouvement de recul lorsque son petit ami lui colla son portable contre le nez, comme si elle allait voir quoique ce soit comme ça. Elle laissa sa vue s'ajuster quelques instants pour pouvoir regarder la photo. Deux hommes en costumes descendant les marches d'une mairie sous les regards attendris de leurs familles attroupées.

- C'est Yaëlle qui t'envoie ça ?

- Yup. Il est quand même franchement pas mal, le frangin d'Alessandro, mine de rien… Bon, il est homosexuel. Et un peu foncé, genre ça fait un peu arabe, tu vois, limite Weasley c'est mieux que…

Une baffe à l'arrière du crâne l'interrompit et il rigola.

- D'accord, d'accord, j'arrête. Mais, eh, regarde Alessandro et Matthis, ils sont trop mignons ! Tu vois j'en viens presque à me dire, au pire, on ne fait pas tout ça, on leur dit juste de ne jamais revenir aux Etats-Unis et de ne plus jamais contacter Gaël en disant vouloir vivre une vie normale et je le surveille de loin, comme Laurèns. Je suis sûr qu'Alessandro serait tenté, vouloir une vie normale serait bien son genre. Mais Matthis, non. A terme ils se seraient détruits mutuellement, je pense que Matthis serait capable de tuer Aless'… Mais bon ce n'aurait pas été très sûr comme moyen de se débarrasser d'eux parce que Gaël n'aurait pas été dupe. Et là, on aurait été dans une belle merde. Tant pis, la fin justifie les moyens je suppose !

- Elle est jolie la mairie.

- T'as vu ? Je re-vérifierais le nom du village, ça te dirait pas qu'un de ces quatre on se passe une petite semaine sur cette île ? Il paraît qu'il y a un super trail de randonnée !


- Tes cousins ont l'air fasciné par un des miens, n'empêche.

Christian releva la tête de son assiette et ne mit pas longtemps à repérer l'atypique cousin de Quentin aux cheveux colorés en bleu et vêtu d'un costume à carreaux très coloré et impossible à louper. Et effectivement, trois de ses cousins l'écoutaient avec attention, l'air absolument fascinés.

- …C'est celui qui fait du tuning ?

- Evidemment. On en a qu'une d'erreur dans la famille.

- Ca doit être ça. Ils étaient tous complètement à fond quand je leur ai parlé de lui alors…

- Ils font du tuning aussi ?

- Non, ils trouvent ça super beauf. Mais c'est un peu comme découvrir une nouvelle espèce pour eux, tu vois ?

- Le choc des cultures… marmonna Alessandro.

- C'est quand même pratique d'être au milieu d'une table en U, fit remarquer Andriu. On voit tout le monde. Tiens, qui est le con qui a mis la cousine Ghjuvannà aussi près du cousin Angelo ?

- Aaaargh j'ai oublié de demander à quelqu'un d'échanger de place avec un d'eux, on est tous foutus !

Et pour cause, ils étaient déjà en train de s'engueuler, la compagne de l'ajaccien et le compagnon de la bastiaise ayant purement et simplement abandonné cette cause perdu et les ignorant royalement. Andriu rigola à la scène.

- Heureusement que vous n'êtes pas aussi chiants qu'eux, vous deux.

- Peuh, Alessandro et moi sommes parfaits, c'est bien connu !

- Bah tiens.

- Quentin ! Regarde Matthis, il a rien dit lui !

- Je n'ai rien dit parce qu'Alessandro est parfait.

- Et que lui ? Fais gaffe toi, tu vas pas vivre jusqu'au vôtre, de mariage, si tu continues comme ça !

Le brun aux yeux gris haussa un sourcil et sourit.

- Un assassinat le jour de ton mariage serait plutôt mal vu.

- Surtout presque fratricide, là, renchérit Alessandro, Je suis sûr que ça déclencherait un conflit complet dans la famille. Y'a des familles qui se sont entretuées pour moins que ça !

- Roh taisez-vous, personne ne tuera personne ce soir.

Andriu décida de mettre fin à la dispute en attrapant ses deux fils, chacun assis à côté de lui, et en les serrant contre lui. Christian râla qu'il lui froissait sa chemise mais rendit l'étreinte. Alessandro, toujours avec une certaine maladresse, fit de même, son sourire s'élargissant bêtement.


J'aime le fatalisme.

Pour la petite info, tous les cousins et cousines sont des villes de Corse et du Nord-Pas-de-Calais. Le cousin nordiste aux cheveux bleus et qui fait du tuning est l'inoubliable Dunkerque. Pour les cousins corses, Ghjuvannà la bastiaise qui ne compte pas se marier est, eh bien, Bastia. Son compagnon-paillasson est le pauvre Limoges, qui n'est pas prêt de se marier. Angelo l'aveugle est Ajaccio. Florent qui ne va pas assez à l'église pour sa grand-mère est la ville de Saint-Florent et sa compagne est la petite ville de Genêts (à côté du Mont-Saint-Michel).

Review ? :3