Voilà c'est le dernier. Aucune suite prévue pour cette petite fiction qui me manque déjà. Merci de vos encouragements qui m'ont permis de l'achever malgré le grand stand by entre le deuxième et le troisième chapitre.

Un nouveau merci à Saharu-Chan de m'avoir appris à aimer Aphrodite. Je ne peux plus écrire sur Mu et Saga, mais tant pis, j'ai trouvé une substitution -)


CHAPITRE IV

Nous ne sommes pas nés pour faire partie de cette humanité que nous défendons. Notre vie n'est qu'une illusion puisque nous n'existons pour personne en ce monde. Seule Athéna nous donne une identité et nous fait naître sur terre, lorsque le besoin s'en fait sentir.

Nos rêves ne sont que comédies. Nous nous identifions à ceux que nous protégeons et nous finissons par en oublier que le bonheur qu'ils affichent nous est interdit. Ce bonheur à sauvegarder pour lequel nous tomberons tous un jour.


Aujourd'hui, le pouvoir qui leur serait utile, plutôt que de maîtriser l'espace, serait de contrôler le temps. Dans moins de six heures, ils seront là. Saga le lui a annoncé, platement, comme le reste des événements qu'il pressent. Comme s'il s'agissait d'un détail.

Au dernier moment, juste avant la bataille.

Mais après tout, comment pourrait-il lui en vouloir ? Depuis quelques jours, le dernier gardien recherche son soutien, après n'avoir fait que lui offrir le sien durant de nombreuses années. Saga aura sûrement voulu le ménager.

Sous le poids de la révélation, Aphrodite s'effondre lentement, à genoux, une main s'appuyant à même le sol de sa roseraie. Il n'a rien dit, pas un mot, lorsque Saga lui a énoncé, bien trop calmement, ce que lui ont appris les astres. Le Pope ferme les yeux. La souffrance d'Aphrodite, il peut la ressentir, aussi clairement que celle qu'il ressent lui même. S'approchant doucement de son amant, le gémeau ne peut faire un pas de plus, les fleurs sanguines formant un circulaire tapis de roses maudites autour de leur maître, comme pour lui procurer une protection naturelle contre celui qui, en cet instant, lui cause une douleur pire encore que celle que doit produire la mort.

Parce qu'il est plus difficile encore de supporter la fin d'un proche, que d'affronter sa propre mort.

L'épaisse chevelure turquoise se répand au sol, cachant son visage trempé de larmes. Aphrodite secoue la tête. Un refus bien inutile d'une situation à laquelle il ne pourra rien changer. Leur destin est tracé depuis qu'ils sont nés.

Saga s'assoit calmement, derrière lui, respectant la distance imposée, le regard posé sur ce corps agité d'un sanglot silencieux.

- Aphrodite, je t'en prie...

- Je ne veux pas qu'ils meurent Saga... C'était déjà bien assez dur de l'accepter pour nous trois, mais quelque part, il semblait logique que nous finissions de cette façon, unis autour d'une résolution prise depuis plusieurs années. Mais cela ne suffit donc pas ?

- Aphrodite, regarde moi.

Après quelques instants, d'un geste maladroit, le douzième gardien dégage son visage des mèches trempées de larmes et tourne légèrement les yeux vers lui. Saga patiente, jusqu'à ce qu'il se redresse enfin pour venir se caler dans ses bras. Le Pope referme les siens autour de lui en soupirant de soulagement. Avec patience, il caresse une boucle bleue, jusqu'à ce qu'enfin son précieux protégé se calme.

- Pourquoi ?

- Je ne possède pas la réponse à cette question Aphrodite. Mais... Je sais autre chose.

A cette affirmation, le dernier gardien frémit. Peut-il y avoir pire encore que d'apprendre qu'ils seront cinq à mourir ? Saga se penche à son oreille, lui chuchotant cette réponse comme une confession secrète qu'ils seront seuls à partager.

- Tout a un sens, mon amour. Nos morts, comme les leurs, ne seront ni vaines, ni inutiles.

- A quoi peuvent encore servir les morts Saga ? Ça n'a aucun sens.

- La mort ne nous dispense pas de servir Athéna.

Aphrodite redresse les yeux vers lui, avec une rare gravité, voir même un profond effroi.

- Que tentes tu de me dire ?

Pour seule réponse, Saga pose son regard sur le sien, emprunt d'une mélancolie et d'une fatalité alarmantes.

- Même dans la mort, nous ne connaîtrons donc ni la paix, ni le bonheur ?… Saga ?

- Nous ne connaîtrons la paix... que lorsque l'humanité ne sera plus en danger.

- Ça n'arrivera jamais.

- Je le sais. Je ne t'ai jamais menti. Comment pourrais-je aujourd'hui te promettre que notre mort nous apportera la paix à laquelle nous aspirons enfin ?

- Cette idée m'a fait tenir jusqu'ici. Je ne craignais pas une mort qui nous apporterait la possibilité d'être à nouveau ensemble dans un repos éternel. J'ai imaginé que servir un dieu nous permettrait au moins d'échapper aux tourments de la mort qui attendent les hommes. Pourquoi, après tout, devrions nous subir le même traitement, alors que nous n'avons droit à aucun de leurs bonheurs ?

D'un revers de doigts, Saga caresse son visage.

- Je suis persuadé, que nous le saurons rapidement. Ce n'est pas la dernière guerre que devra mener notre génération. En vérité, la guerre sainte n'a pas commencé. Mais notre bataille, ses conséquences et les sacrifices que nous consentons, serviront l'avenir. Ça n'est pas la fin, mais juste une étape de notre vie Aphrodite.

Le dernier gardien acquiesce, le regard se chargeant à nouveau de détermination. La lutte n'est-elle pas leur seule raison d'être ? Levant les yeux vers le ciel, le poisson sourit.

- Le soleil est revenu...

- Il était temps. Cette pluie devenait insoutenable.

- Saga ? M'accorderais tu, une dernière faveur ?

- De quoi s'agit-il ?

- Je veux que tu me promettes de me l'accorder. Je ne t'ai jamais rien demandé. Nous allons mourir, je veux que tu fasses la seule chose qui allégerait mon trépas.

- S'il y a la moindre chose que je puisse faire dans ce but, je le ferai.

- Reçois Milo.

Presque immédiatement, Saga détourne le visage.

- Tu as promis. Reçois Milo.

- Tu ne peux pas me demander ça...

- Tu me demandes plus que cela et je te l'accorde systématiquement. Je veux faire une dernière chose, pour toi et pour lui. Après, je pourrai partir.

- Comprends tu le risque que nous prenons ? Tu as vu ce qui s'est passé il y a quelques jours... La bataille commencera dans quelques heures, son esprit ne doit être troublé.

- Il monte jusqu'ici tous les jours et tous les jours je le rejette. Il regarde les autres revenir de leurs audiences. Comprends tu ce qu'il doit vivre depuis que tu l'as jeté dehors il y a trois jours de cela ? Crois tu vraiment que son esprit connaît le repos ?

- Il était sur le point de comprendre, je n'ai pas eu le choix.

- Parce que tu crois que son renvoi a mis fin à ses réflexions ?! C'est pire encore Saga, de le laisser vivre ça. N'oublie pas, que s'il survit, il recevra la vérité en pleine face. Ça fait treize ans Saga, que tu aurais dû lui épargner cela. Cinq. Nous étions cinq. Il n'en aura plus aucun mis à part un bélier qu'il n'a plus vu depuis des lustres ! Tu le condamnes à quatre deuils impossibles à faire dans de telles conditions. Reçois Milo ! Je lui ai promis que je lui obtiendrai cette ultime chance. Bon sang, mais est-ce que tu réalises qu'il monte tous les jours ?!

Saga ferme les yeux en soupirant.

- Je vais rentrer au temple d'Athéna. Tu n'auras qu'à le laisser passer.

- Merci.

Avec tendresse, Saga glisse une main dans sa gorge jusqu'à sur sa nuque, relevant doucement son visage vers lui.

- Aphrodite, c'est probablement la dernière fois que nous nous voyons.

- Ne dis pas ça, je veux te voir avant de combattre, je veux que tu le chasses bien avant la fin !

- L'évincer n'est pas si facile. Tu le constates depuis treize ans.

- Mais tu vas y arriver n'est-ce pas ? Saga, ne me dis pas que tu commences à douter et que tu n'es plus certain d'y parvenir !

- Non. J'y parviendrai. Uniquement... grâce à toi.

Les deux amants échangent un regard, Aphrodite envisageant à peine le sens de cette dernière phrase, avant que chacun ne resserre son étreinte. La dernière. Violente et désolée. Saga ne bouge pas, même lorsque les doigts du poissons s'agrippent à ses épaules avec une force telle qu'elles s'en trouveront marquées.

Une main du gémeau se referme sur les longues boucles turquoises.

Aphrodite des poissons. Son joyau de vingt-deux ans, dont la mort sera le seul moyen de s'assurer la colère et la force nécessaires pour lutter enfin contre cet Autre.

- Merci d'avoir tenu ta promesse. Puisses tu un jour me pardonner du peu de bonheur que j'ai pu t'accorder en retour de tout ce que tu as donné. Je t'aime et je te jure de te retrouver bientôt. Je suis heureux d'avoir passé ces derniers moments dans cet endroit que tu as créé pour nous.

- J'aurais voulu qu'il soit également ton dernier souvenir.

Saga esquisse un léger sourire avant de le lâcher, lentement. Aphrodite ferme les yeux. Son souvenir à lui, le dernier, ne sera pas de voir Saga s'éloigner.


Droit et fier, dans son trône, Saga observe le huitième gardien qui se dirige enfin vers lui, après quelques secondes d'hésitation. Milo a l'air déterminé et son regard tente de percer, avec acharnement, le visage atone qui lui fait face. Le scorpion met un genou à terre, sans pour autant se défaire de cette expression conquérante.

Pour la première fois, ce masque est une bénédiction, lui offrant le loisir d'observer sans être percé à jour, du moins tant qu'il ne lui parle pas.

Néanmoins Milo ne se satisfera pas de ce silence.

- Votre Sainteté, j'aimerais vous demander de pardonner la faiblesse dont j'ai fait preuve lors de notre dernière entrevue et je vous remercie d'avoir enfin consenti à m'accorder audience.

- La faiblesse est bien une chose dont tu es incapable. Comment va ta blessure ?

- Elle n'est plus qu'un souvenir. Si vous ne l'avez pas pris comme un signe de faiblesse, dans ce cas, pourquoi ?

- Milo... Les renégats que nous attendons seront là d'ici quelques heures. Crois tu que nous devrions perdre du temps en revenant sur des événements datant d'il y a trois jours ?

Pour la première fois depuis son arrivée, le huitième gardien détourne les yeux. Il est évident qu'il le souhaiterait mais l'éloignement qu'il s'est vu infliger depuis plusieurs jours le fait hésiter.

- Je ne me soucie pas des renégats. Une poignée de chevaliers de bronze ne passera même pas le stade de la maison du taureau.

- Soyons assurés qu' Athéna et la vérité ne peuvent que triompher. Mais il ne faut écarter aucune difficulté.

- S'ils passaient la maison du taureau, ils arriveraient face à celle des gémeaux. Croyez-vous vraiment qu'ils aient encore une chance ?

Saga serre les dents. Milo n'est plus un enfant, c'est une évidence. Difficile de croire que chacun de ses mots n'avait pas pour but d'envisager les siens et de l'amener précisément à cette question. Le Pope se lève, imité par le chevalier. Cette proximité qu'il crée en s'approchant, il sait parfaitement qu'elle peut lui être fatale. Un mot de trop, un geste malheureux et Milo peut comprendre. A quelques heures de la bataille, à quelques heures d'un dénouement attendu depuis treize années, il ne peut prendre ce risque. Alors pourquoi faut-il que malgré toute sa volonté, il se retrouve si proche de lui ? Pourquoi faut-il que ce regard qui cherche à le percer à jour soit assez proche pour y décerner cette si faible lueur d'espoir noyée sous le doute et l'incompréhension ?

Il n'a pas le droit. Ils n'ont pas le droit. Et pourtant...

- La réponse est encore la même Milo. J'ignore jusqu' où ils arriveront. Ce que je sais, ce que tu dois savoir, c'est qu'Athéna triomphe toujours. Comprends tu cela ? Il ne faut pas seulement se l'entendre dire, mais surtout s'en rappeler lorsque le besoin s'en fera sentir.

- Vous semblez persuadé qu'ils arriveront jusqu'à moi... Croyez-vous donc si peu en notre ordre ?

- Je suis contraint d'envisager toutes les possibilités. Athéna semble décidée à nous éprouver.

Et comme si la preuve devait se concrétiser sous ses yeux, Saga voit poindre ses dernières minutes de lucidité, l'Autre souhaitant reprendre possession de ce qui lui appartient. Et pour cause. Le cosmos de Mu vient de se faire sentir au sein du sanctuaire, après treize ans d'absence, faisant réagir chacun de ses occupants. Milo n'échappe pas à la règle, stupéfait du retour de cet ancien ami tout comme il l'est de voir le Pope manquer de défaillir devant lui. La douleur est insoutenable, comme à chaque fois. Et là encore, il ne devra pas lutter, pas trop longtemps, pour ne pas éveiller les soupçons du poison qui le manipule.

Milo s'est précipité pour le soutenir, retenant solidement son bras entre ses mains en s'agenouillant à ses cotés.

- Grand Pope, que vous arrive t-il ?

L'Autre lui laissera un peu de temps. Il est probable que lui non plus ne souhaite pas être découvert. Sa manifestation est un avertissement. Il est temps pour lui, de le laisser venir. Mais pas avant une dernière chose. Saga pose son regard sur les deux mains réconfortantes de ce chevalier qu'il s'est interdit d'aimer avant de poser sa seconde main sur ses doigts. Un contact qu'il n'avait jusqu'alors pu que rêver. A regret, il le pousse délicatement à desserrer sa prise.

- Tout va bien Milo. Il est temps que tu retournes garder ce temple qui est le tien. Une dernière chose cependant. Accompagne moi près de la statue d'Athéna.

Milo acquiesce, veillant à le suivre de près. Saga gravit lentement l'escalier menant à sa Déesse, lève lentement les yeux vers celle qu'il n'a eu de cesse de servir.

- Écoute moi bien Milo, même si tu ne comprends pas le sens de tout ce qui suivra...Vois tu, quoique l'avenir te réserve, quelle que soit la difficulté à laquelle tu feras face, tu sauras qu'en venant ici, il te sera aisé de lui parler et d'obtenir tes réponses. Auprès d'elle, la souffrance perd son amertume... Au fond de toi, tu as toujours eu assez de courage et de pugnacité. Assez pour que la mort et le manque ne soient pas des obstacles. Auprès d'elle, tu ne seras jamais seul et tu comprendras.

Machinalement, sa main se referme au dessus de celle de Milo.

- Rentre chez toi maintenant.

Milo cligne des yeux. Le renvoyer chez lui, juste après s'être emparé de sa main de façon aussi autoritaire n'a rien de très logique.

- Non... J'ai le temps, avant qu'ils n'arrivent.

- Tu deviens offensant.

Saga lâche sa main.

- Bonne chance Milo.

Le scorpion se recule avant de le saluer pour enfin entreprendre la descente du sanctuaire. Derrière le masque, une larme. Une seule. Noyant ce qui restera à jamais le regret de cette existence.

- J'aurais au moins eu la chance de te rencontrer chevalier.


Adossé au muret bordant l'escalier descendant à son temple, Aphrodite l'attendait, souriant. Hélas, sur le visage de son ami il ne peut lire qu'un trouble aussi important que celui qu'il affichait à son arrivée.

- Merci de m'avoir obtenu cette audience Aphrodite.

- Je te l'avais promise.

Milo fait quelques pas pour reprendre sa route avant de s'arrêter à nouveau pour se retourner vers lui.

- Dis moi... Est-ce que le pope est malade ?

En toute circonstance, ne jamais se départir de son sourire... Mais certaines paroles requièrent plus d'efforts pour être ignorées.

- Le pope... n'est pas malade non.

- Il a failli s'effondrer devant moi, juste après que nous ayons senti le retour de Mu. Tu l'as senti toi aussi n'est-ce pas ?

- Oui et je n'irai pas pour autant le voir. Comment s'est passée ton audience ?

- Il a fini par me demander de partir et... Il...

Instinctivement Milo baisse le regard vers la vue du sanctuaire qui s'étend à ses pieds, en gardant le silence.

- « Il » quoi ?

Que le Pope doute de ses chevaliers d'or n'est finalement pas très surprenant. Même Milo hésite à confier sa pensée à l'un de ceux qui fut de ses meilleurs amis. Celui qui désormais est le bras droit du pouvoir.

- Rien... Ça n'est pas important... Je te dis à plus tard. Lorsque nous aurons bouté dehors ces usurpateurs.

- Certainement Milo. Bonne chance.

- Toi aussi.


- Crois tu pouvoir me convaincre aussi aisément que tout va bien, comme tu viens d'y parvenir avec Aphrodite ?

Milo interrompt sa descente vers le temple du capricorne. Quelques mètres plus haut, Camus l'observe, grave, mais pourtant attentif au trouble de cet ami assez préoccupé pour ne pas l'avoir remarqué. Milo le regarde un instant, avant de le rejoindre. L'amitié qui existait entre lui et Aphrodite lorsqu'ils étaient enfant est toujours vivace, mais elle a souffert du temps et de ce statut étrange qu'a pris le poisson auprès du Pope. Mais celle qu'il partage avec le verseau demeure inébranlable. Alors pourquoi ne pas lui en parler ?

- Je reviens d'une audience chez le Pope.

- Enfin...

- C'est étrange Camus. Cet homme me semble différent désormais.

Camus redresse un sourcil, pour autant, Milo voit parfaitement dans son regard, qu'il n'est pas vraiment surpris.

- Ce sont certaines de ses paroles qui non seulement ne s'accordent pas avec celles que j'ai pu entendre il y a de ça seulement quelques jours, voir même depuis plusieurs années. Et puis certains gestes que je ne parviens pas à expliquer. Il m'a rappelé... certains détails du passé. Je voulais qu'il s'explique. Je voulais comprendre pourquoi ses paroles me semblaient si familières. Tu ne parais pas étonné...

- J'ai moi aussi assisté à quelques changements étranges. J'imaginais que mon esprit inventait une situation lui permettant de s'accrocher à quelques souvenirs. J'ai fait le choix d'ignorer les choses. Mais puisque nous sommes au moins deux Milo, je doute qu'il s'agisse d'une coïncidence.

- Que comptes tu faire ?

- Ce pour quoi nous sommes là. Servir Athéna. Achever les missions qu'elle nous donne. N'est-ce pas la seule chose pour laquelle nous sommes certains de notre légitimité ?

Milo opine, baissant à nouveau les yeux vers le troisième temple.

- Il est mort pour nous tous n'est-ce pas ?

- Il est grand temps de l'accepter.


Aphrodite lève les yeux vers le temple d'Athéna. Ainsi donc l'Autre a repris les rennes sans même lui laisser l'occasion de revoir Saga, une dernière fois, car durant cette bataille, nul doute qu'il gardera la main.

Saga.

Après tout, que Milo soit le dernier à lui avoir parlé devrait apaiser sa peine, c'est probablement ce que son aîné aurait souhaité. Pourtant cette main crispée autour de la rose qui ne le quitte presque jamais, témoigne du contraire.

Aux pieds du sanctuaire, la cosmo-énergie des quatre chevaliers se fait sentir. La grande horloge solaire a vu ses feux s'allumer. Pour autant, son regard ne se détache pas de ce temple popal.

Dans douze heures, il sera mort. Dans quatre heures, la première victime les abandonnera pour prendre les devants et leur ouvrir la route du royaume d'Hadès. Son amant. Il devra tenir six heures pour enfin le rejoindre sans pour autant connaître la paix, en laissant la voie ouverte vers l'ultime temple et vers... Saga. Saga auquel il sera incapable d'offrir la mort qu'il aurait souhaitée. Son jardin de roses aura fané. Même sa mort, Saga n'en disposera pas. Athéna ne l'a pas désiré et sont-ils autre chose que des pantins entre ses mains ?

Avant cela, il faudra combattre. Obéir à cet Autre pour lequel il s'est créé un rôle, de toute pièce. Lutter jusque la fin, pour ne pas risquer d'éveiller ses soupçons. Lui cacher que Saga lui ment et que la faiblesse qu'il affiche face à lui est feinte. Lui obéir pour le détourner de ce qui provoquera sa fin.

Lutter pour contraindre l'autre à le tuer, car il faudra s'assurer le trépas. Réclamer ardemment une mort qu'on ne désire pas. Jouer la comédie, feindre, et s'assurer d'être cru. Et enfin mourir pour continuer d'accomplir son destin. Saga prétend que leur mort n'est pas une fin. Alors pourquoi a t-il peur désormais ?

Une nouvelle larme coule le long de sa joue. Elles sont récurrentes ces derniers temps mais quelle importance ? Saga est le seul à les voir et à les comprendre. Jamais il ne lui en a fait le reproche. Il disposera au moins de sa peine pour les derniers moments qu'il lui reste.

Cette larme vient s'échouer sur un sourire timide. Aphrodite observe le ciel. Quelques nuages approchent. La pluie sera bientôt de retour. Tant mieux. Pourquoi mourir sous un ciel radieux ? Pourquoi le soleil leur offrirait un tel mépris au moment de leur mort ? Éclairer leur dernier souffle serait comme rire face à leurs dépouilles. N'ont t-il pas sacrifié assez pour mériter d'être regrettés ?

Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres. En réalité, personne ne comprendra jamais. Ils mourront dans le déshonneur le plus complet et ce déshonneur embaumera à jamais les souvenirs qu'ils laisseront derrière eux.


En contrebas, les quatre cosmo-énergies des conquérants du sanctuaire ont passé la maison du bélier.

Mu.

Celui qui n'a fait qu'abandonner Saga n'a même pas cherché à obtenir la moindre information à son sujet. Mu sait, sans réellement savoir. Aphrodite soupire. Peut-être même pense t-il que Saga n'est plus. S'il connaissait ses deux visages, comment pourrait-il faire le choix d'abandonner le premier ? Un traître doublé d'un lâche, le chevalier des poissons n'en démordra jamais. Sa vie à Jamir ne fut sûrement pas facile. Mais comparée à celle qu'ils ont vécue ici, n'a t-il pas choisi la solution la plus facile ? Si Mu, Milo, Angelo et Camus avaient eux aussi partagé toute la vérité, s'ils étaient restés soudés, est-ce que les choses auraient été différentes ?

Et puis quelle importance... Déjà les renégats se séparent. Leur avancée n'en sera que plus rapide.

Il est le dernier. Celui qui sera condamné à attendre et à observer. Celui qui devra combattre avec le poids de leurs morts. De quoi devrait-il se plaindre après tout ? L'Autre de Saga surveille les combats et protège la maison des gémeaux. Mais lorsque Saga reviendra, il devra vaincre dans la plus parfaite solitude, puisque pour la première fois, Aphrodite ne sera plus là.


Les uns après les autres, les feux de l'horloge se consument. Depuis plusieurs heures, Aphrodite n'a pas bougé, assis au sommet des marches menant à son temple, les yeux clos, l'esprit tourné vers les combats. Quelques mètres plus bas, une rose rouge, dont quelques pétales jonchent les marches depuis sa chute. Une rose tombée au sol, trahie par les forces ayant abandonné les doigts qui la retenaient. Une rose accompagnant la mort du premier sacrifié sur l'autel d'une prédiction astrale. Angelo. Le chevalier du cancer aura choisi une mort à la hauteur de l'image qu'il s'est vu contraint de donner pendant treize années.

Shura... Comme il pouvait s'y attendre, l'abnégation du capricorne l'aura mené vers la voie de la raison. Il ne cessera jamais de lutter pour Athéna, conférant à Shyriu ce qui fut le plus précieux à ses yeux. Shura continuera de combattre à travers lui, à jamais. Aphrodite esquisse un sourire. Effectivement, leurs morts ne seront pas inutiles.

Ils seront bientôt là. Déjà, quelques flocons caressent sa peau, malgré ce foutu soleil se jouant à nouveau de lui. Aphrodite déglutit. Camus avait compris. Gâchis. N'avait-il pas raison de pousser Saga à les garder tous les cinq liés autour de son secret ? Puisse son sacrifice préparer l'avenir en offrant à son disciple les clés d'un cosmos qu'il lui faudra maîtriser pour les luttes qui l'attendent.

Un frisson d'effroi lui traverse l'échine. Saga n'est pas revenu. Les feux de la grande horloge sont presque tous éteints. Tournant les yeux vers elle, Aphrodite se fige un instant. En vérité, il ne reste plus que le sien.

Sans Saga, Masque de mort, Shura et Camus seront morts en vain. Si Saga ne parvient pas à reprendre assez longtemps le dessus sur ce démon avant la fin, jamais Athéna ne pourra être sauvée. Lui seul connaît la façon de mettre un terme à tout cela et il doit lutter assez longtemps pour permettre la destruction de cette flèche maudite. Assez longtemps également, pour détruire ce poison qui le mine et pouvoir les rejoindre. Enfin.

Aphrodite se relève, descend lentement les quelques marches jusqu'au premier palier, ramasse la rose en silence et remonte vers son temple. Devant son miroir, le poisson se pare d'un sourire parfaitement construit, ajuste quelques mèches turquoises et défroisse le pli rebelle de sa cape. Il les retiendra, le plus longtemps possible, lui et ses précieuses roses. Saga doit s'éveiller. S'il lui faut du temps, il le lui donnera. La rose entre les lèvres, Aphrodite se retourne vers l'entrée.

Ils sont là.

Ainsi donc ce sera celui là, celui que le destin a choisi pour lui ôter la vie... Destin mesquin voulant qu'andromède rechigne à le tuer... Non. Même mourir sera une épreuve. Après tout, pourquoi aurait il le droit, lui, de mourir sans contraindre son assaillant au miracle ?

Mourir sous le coup d'une tornade... Quelle ironie lorsqu'on sait que sa vie ne fut qu'animée de vents contraires et que de toute façon, le calme de la paix ne lui fut jamais offert. Mais son dernier souffle, comme les précédents, sera lui aussi en offrande à celui auquel il a confié sa vie, aussi sûrement qu'il confie sa mort. Un appel vers ce presque dieu, comme une supplication, pour tenter à leur tour, ensemble, un dernier miracle.


On dit que l'amitié est le seul rempart contre la folie. Doublée d'amour, elle acquiert une force que rien ne peut terrasser, pas même un esprit malin dévoré d'ambition. Le soleil brille d'un éclat mesquin lorsque les roses viennent fleurir le corps de la plus incroyable beauté que le monde ait portée. La pureté de la fleur contrant le déshonneur. Aphrodite s'est éteint, emportant enfin avec lui treize années sacrifiées.

Même Lui n'a rien pu faire contre cette douleur si intense qu'elle en a réveillé sa victime. Lui, le Mal, réveillé treize ans plus tôt, face à une mer agitée, dans l'esprit d'un adolescent né sous une étoile maudite, destiné à l'accueillir. Un adolescent destiné à perdre cet honneur qui l'encensait jusqu'alors.

Pour préparer l'avenir. Un avenir qui verra lutter les dieux.

Le dernier souffle d'Aphrodite l'a ramené, à la grande surprise d'un démon qui n'a pas su lutter contre ce hurlement venu du fond de son esprit. Mais le temps est compté. Le mal n'est pas terrassé. Non, ça, ce sera son dernier combat. La revanche qu'il leur a promise pour adoucir leur trépas.

Malgré les larmes et la douleur, le bouclier doit être utilisé. Effondré sur ce tapis, le répit n'aura été que de courte durée. Ce tapis, qui a vu leurs étreintes, leurs effrois et leurs larmes. Ce miroir devant lequel Saga parvient péniblement à relever les yeux. Ce miroir jadis couvert de sang, ce sang qui les lia jusqu'à la mort. Dans le reflet, le visage d'Aphrodite lui sourit. Il a sept ans. Souvenir d'une époque heureuse.

Et devant ce miroir, Saga assiste impuissant à son retour. Aussi impuissant qu'un pégase incrédule.

Et même si son ultime victoire fut de parvenir à trouver à nouveau la force de stopper ce poing pour en protéger la cible, même si sa mort fut le seul moyen de l'empêcher de nuire, même si ses dernières secondes furent apaisées par le cosmos divin d'Athéna, Saga en a désormais la certitude.

Au souvenir du regard de Milo, figé sur lui, devant la statue d'Athéna, son âme ne trouvera jamais le repos.


La nuit est tombée désormais. Les corps des défunts ont été rassemblés, en contrebas des marches menant à la statue divine. Les linceuls qui les enveloppent semblent enfin leur procurer la protection et la douceur que leur fonction semblait incapable de leur donner. Mais durant tout le temps qu'il aura fallu pour organiser cette scène macabre, Milo n'a pas bougé, assis sur les marches, au pied de la statue d'Athéna, le corps engourdi par le contact glacial du marbre. Tous sont partis. Immobile, son regard n'a pu se détacher de ce corps désormais recouvert.

Il restera là. N'était-ce pas le dernier conseil de Saga ? Dans son esprit, sa voix semble encore résonner.

« Écoute moi bien Milo, même si tu ne comprends pas le sens de tout ce qui suivra...Vois tu, quoique l'avenir te réserve, quelle que soit la difficulté à laquelle tu feras face, tu sauras qu'en venant ici, il te sera aisé de lui parler et d'obtenir tes réponses. Auprès d'elle, la souffrance perd son amertume... Au fond de toi, tu as toujours eu assez de courage et de pugnacité. Assez pour que la mort et le manque ne soient pas des obstacles. Auprès d'elle, tu ne seras jamais seul et tu comprendras. »

Et pourtant Milo ne récolte que le silence.


Lorsqu'un homme meurt, on dit que son âme, en enfer, attend un jugement lui promettant une souffrance à la hauteur de ce que fut sa vie. Mais on dit aussi, qu'après avoir expié ses crimes, son âme est en droit d'attendre celles de ceux qui ont compté pour lui.

Nous le savons désormais, que notre sort en enfer n'est en rien enviable à celui des Hommes. Mais Saga avait raison. La mort n'est pas la fin. Elle n'est qu'une étape de notre destin. Et l'Enfer, n'est finalement pas différent de ce que nous avons connu jusque présent.