1

Ce n'était pourtant qu'à peine le milieu de la journée, mais Hiyori, à bout de force par toutes ses émotions de la matinée et sous l'effet des anti-inflammatoires que lui avait prescrits le médecin, dormait à poings fermés au creux de son petit lit d'enfant.

Son père, qui l'avait patiemment veillé jusqu'alors, finit par rejoindre Yokozawa, qui tachait quant à lui, d'occuper son chat Sorata à qui ils avaient défendu de rejoindre la petite fille. Le chat paraissait anxieux. Dans les bras de Yokozawa, l'animal retrouvait peu à peu son calme.

— Elle s'est endormie... déclara Kirishima à voix basse. Je ne sais même plus quelle heure il est... à devoir coucher Hiyo à cette heure-ci, je me retrouve tout déboussolé.

— Il n'est que midi... Essaye de ne pas la réveiller trop tard cet après-midi, sinon elle ne trouvera pas le sommeil cette nuit.

Yokozawa, qui tenait son chat endormi, observait le visage éreinté de Kirishima. L'éditeur avait passé une bonne partie de la nuit de la veille au bureau et il était visiblement épuisé par tout le stress accumulé ces dernières heures. Le petit accident de sa fille et les rendez-vous reportés avaient rajouté un degré de plus au stress qu'il avait accumulé.

Réalisant cela, Yokozawa pensa alors qu'il valait peut-être mieux le laisser seul afin qu'il puisse, lui aussi, se reposer avant le réveil de sa fille.

— Je vais emmener Sorata chez moi, pendant quelques jours, jusqu'à ce que Hiyo soit rétablie. Gros comme il est, s'il venait à marcher sur sa cheville pendant son sommeil, ça pourrait retarder sa guérison.

— Alors, voilà le verdict... ? Divorce par consentement mutuel - tu as la garde du chat et tu verras la petite un week-end sur deux ?

Yokozawa fut surpris par les paroles caustiques de l'éditeur. Il comprit alors là où il voulait en venir.

Leur relation, ces derniers temps, n'était plus vraiment au beau fixe, ce qui les avait contraints à ne plus se voir. Visiblement, la petite Hiyori vivait mal cette situation. Sa chute de la matinée était peut-être une résultante de tout cela. Yokozawa le redoutait et cela le bouleversait.

Ils étaient au pied du mur et il fallait clarifier cette situation au plus vite avant qu'elle ne prenne une tournure beaucoup plus dramatique.

Mais avant même qu'il n'eût le temps de mettre de l'ordre dans ses pensées, Kirishima demanda :

— Alors... tu me la donnes cette cigarette ?

Les deux hommes investirent alors le balcon qui dépendait de la chambre de Kirishima et qui surplombait le quartier résidentiel dans lequel régnait, en ce milieu d'après-midi, au beau milieu de la semaine, une étrange atmosphère de calme.

Ils observaient ce curieux panorama d'immeubles inoccupés à cette heure.

D'habitude, Yokozawa ne fumait pas chez Kirishima. Il ne voulait pas montrer cette manie à Hiyori et cela lui permettait de réguler sa consommation de tabac. Mais après une telle matinée, la nicotine pouvait habilement leur servir de tranquillisant.

Alors qu'ils fumaient leurs cigarettes respectives, leur silence devenait pesant. Yokozawa ne voulait pas être celui qui le romprait le premier et il avalait avec ardeur la fumée de sa cigarette qui lui servait d'exutoire.

— Hiyori m'a demandé si à son réveil, tu serais toujours là... Tu sais... tu lui manques énormément.

Yokozawa n'osait lever les yeux sur l'homme à ses côtés, il était ravagé par ce que Kirishima venait de lui confier.

— Je n'ai pas cessé de penser à toute cette histoire depuis notre dispute à la boutique de literie, poursuivit Kirishima. Effectivement, je suppose que je suis allé trop loin dans le mauvais goût... te traîner là-bas n'était pas vraiment une bonne idée. Mais je ne savais pas comment m'y prendre pour soulager ta rancœur à mon égard, depuis notre conversation à propos de Motoki... Tu dois penser que je ne prends rien au sérieux... mais en vérité... J'étais totalement dépassé par la situation...

Yokozawa, qui écoutait Kirishima avec attention, était plongé dans le mutisme.

Les paroles de l'éditeur ressemblaient à une repentance teintée de doute et de regret. Il laissa alors Kirishima poursuivre.

— Mes sentiments prennent le dessus sur ma raison lorsqu'il s'agit de toi... et cette manie de tout tourner en dérision me fait réaliser bien trop tard les erreurs que je commets... Tu vois, même si je suis plus âgé que toi, je peux me conduire comme un véritable gamin parfois.

Son visage affichait un sourire empli de mélancolie. À la vue de son expression, Yokozawa eut une vive réaction :

— Tu parles, comme si te jeter des légumes dans la gueule était une preuve de maturité ! Dire que c'est moi qui devrais être le plus jaloux... après tout, la première fois que nous nous sommes retrouvés ici tous les deux, c'est bien ce que je t'avais avoué, n'est-ce pas ?

— Et je t'avais répondu que c'était une preuve d'amour, je crois.

— Une belle connerie oui ! C'est surtout preuve d'un grand manque de confiance ! Crois-tu sincèrement que je suis le genre de personne à envisager de te tromper aussi facilement !? demanda Yokozawa qui avait repris du poil de la bête.

— Pour être honnête... non. Mais ce n'est pas de la sincérité de tes sentiments dont je doute Yokozawa, mais de celle des gens qui tournent autour de toi.

Yokozawa sentit son cœur se serrer au souvenir de la mise en garde que Kirishima lui avait faite quelques jours en arrière. Elle raisonnait avec la phrase qu'il venait de prononcer et pour couronner le tout, elle s'était avérée exacte.

— Tu es un homme bon, poursuivit Kirishima. Les gens comme toi sont rares et sont souvent la cible de la manipulation de personnes peu scrupuleuses.

— Essayerais-tu de parler de Motoki en me disant cela ?

Les deux hommes se faisaient à présent face, comme pour exorciser la crainte qu'ils avaient à l'égard de la tournure que prenait leur conversation.

— J'ai fort à dire au sujet de cette femme, Yokozawa...

— Et bien, dis-moi... je t'écoute. Il n'y a aucun légume à portée de ma main, alors fais donc.

Kirishima prit alors une inspiration et avoua :

— Il y a quelque temps... bien avant notre heureuse rencontre dans cet izakaya... Je suis sorti avec cette fille... enfin... je suis plutôt sorti boire quelques verres avec elle, sur son invitation. Et ce, à plusieurs reprises.

Yokozawa était un peu choqué par la révélation de Kirishima. Bien qu'ils n'eussent pas véritablement abordé le sujet de leurs aventures du passé, préférant plutôt discuter du travail ou du quotidien, Yokozawa était très loin de se douter que Motoki avait eu une quelconque relation avec Kirishima.

— Rien n'a jamais été sérieux entre elle et moi… J'avais fait sa connaissance par l'intermédiaire d'une des éditrices de la collection Ruby lors d'un événement promotionnel... Évidemment, son charme avait eu raison de mon flegme à l'époque... Hiyo passait les vacances d'été chez ses grands-parents maternels, au bord de la mer et j'étais retenu ici par le travail... Je me sentais alors très seul... On est sorti deux ou trois fois ensemble... Ce n'était pas vraiment des rendez-vous... Il ne s'est jamais rien passé entre elle et moi. Mais en observant ses attitudes, j'ai très vite compris que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde.

— Et alors... ? demanda Yokozawa stupéfait par ce que Kirishima lui contait.

— Alors... j'ai pris mes distances avec elle... en décidant de ne plus la revoir, sans pour autant avoir pris la peine de clarifier la situation. Peu de temps après le début de notre relation, elle est venue me parler au bureau afin de m'avouer les sentiments qu'elle ressentait à mon égard. J'en étais donc réduit à lui faire comprendre que ses sentiments n'étaient pas réciproques... et que mon cœur était déjà pris par une autre personne, sans pour autant préciser qu'il s'agissait de toi...

Yokozawa restait silencieux face aux révélations que Kirishima lui confiait. Son esprit était confus et il n'osait pas avouer ce que Motoki lui avait fait comprendre la veille. Pourquoi la jeune fille lui avait-elle fait des avances, alors que visiblement son cœur battait pour son Kirishima.

C'est alors que ce dernier, le ton grave, ajouta :

— Lorsque j'ai appris que vous étiez devenus proches au bureau, j'ai senti en quelque sorte le danger arriver... J'ai pensé qu'elle avait compris pour nous deux et qu'elle voulait se rapprocher de toi pour pouvoir m'atteindre d'une manière ou d'une autre...

— Me croirais-tu si je te disais qu'elle ne m'a jamais parlé de toi, ni même fait allusion à votre relation ?

— C'est vrai ? demanda Kirishima intrigué.

— Si je te le dis !

Au fond de lui, il ne put toutefois s'empêcher de donner raison à Kirishima. La jeune femme avait peut-être consciemment opéré son rapprochement avec lui en raison des sentiments qu'elle portait à Kirishima.

Tout le monde au bureau savait que Kirishima et Yokozawa étaient très proches. Elle avait sans nul doute fait le rapprochement entre ce que lui avait confié Kirishima et le rapprochement des deux hommes.

— En revanche, la nuit dernière, elle m'a avoué qu'elle avait des sentiments pour moi... révéla Yokozawa gêné.

— Ah-ah – Je l'aurai parié !

Kirishima, qui pouffait de rire au nez de son interlocuteur, manquait de s'étouffer avec la fumée de sa cigarette. Yokozawa était décontenancé par l'attitude de son ami.

— Qu'est-ce que tu as à te marrer !? Tu es débile ou quoi !? Sais-tu à quel point je me sens bête, face à toute cette histoire !?

— C'était tellement prévisible... ajouta Kirishima qui tentait de calmer son rire nerveux. Comme je t'ai dit, elle s'est rapprochée de toi et sans aucun doute elle a cherché à comprendre ce que je pouvais bien te trouver... et elle est tombée dans le panneau !

— De quoi !? Mais merde, qu'est-ce que tu racontes !? rétorqua Yokozawa, qui ne pouvait s'empêcher de brocarder l'esprit tordu de son amant.

— Ne cherche pas à comprendre ! Ce genre de choses te dépasse totalement, idiot ! Tu n'as pas idée de la complexité de la pensée féminine et de la perversion dont les femmes font preuve à certains moments ! L'amour c'est la guerre et tous les coups sont permis ! Mais elle a craqué pour toi, gros nigaud ! Parce que tu quelqu'un d'adorable !

Yokozawa était rouge de honte. Sa réaction était la conséquence du compliment que venait de lui faire Kirishima et du sentiment d'embarras face au ridicule de la situation.

Il resta coi, le visage enfoncé dans ses épaules.

— Après tout, c'est une très belle femme, intelligente et dotée d'un certain sens de l'humour, je ne serais pas surpris si tu étais charmé par elle, ajouta Kirishima sur un ton ironique.

— Comment peux-tu dire une chose pareille... répliqua Yokozawa qui regardait le sol.

— Quelle était ta réponse lorsqu'elle t'a avoué ce qu'elle ressentait pour toi ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire à la fin ?!

Yokozawa était submergé par l'embarras. Après tout, ce qu'il avait pu répondre à la jeune femme ne le concernait en rien ! Pourtant, il devait rassurer l'homme, qui visiblement avait quelque peine à penser qu'il s'était refusé à elle.

— Je lui ai dit que...

Yokozawa déglutit, son cœur battait à toute allure en sentant le moment qu'il redoutait tant arriver.

— Je lui ai dit que la petite fille, en photo sur mon portable, était la fille de la personne que j'aimais.

Kirishima, resta immobile face à la révélation de Yokozawa. Son visage assombri par la crainte prit un tout autre éclat.

— Kirishima-san... Toutes les choses que j'ai pu te dire ces derniers temps... sache que je ne les pensais pas... et que je les regrette, ajouta Yokozawa, le ton grave, les yeux baissés par l'embarras. Je sais tout ce que tu as vécu... et même si tu as un sens de l'humour à chier... tu ne mérites pas de telles paroles...

En prononçant ces mots, Yokozawa réalisa alors à quel point il respectait le courage de l'homme qui se tenait face à lui. Cet homme qui avait perdu si tôt son épouse, qui élevait son enfant seul tout en assumant sa carrière professionnelle... Il admirait son courage et sa force. Ses attitudes puériles, qu'il adoptait par moments, mettaient en exergue ses incontestables valeurs.

En prenant conscience de tout cela, Yokozawa trouva la force de relever la tête pour aller chercher le regard de l'homme à qui il avait destiné ses paroles.

— J'aime ta fille... et l'idée de lui faire du mal m'est insupportable... Elle est une partie de toi... et pas la plus mauvaise en plus...

Kirishima sourit à l'écoute des propos un peu maladroits que Yokozawa venait de lui révéler. Pourtant, il ne voulut pas l'interrompre.

— Mais tout est allé si vite entre nous dernièrement... Un beau jour, je me suis réveillé nu à côté d'un homme dans une chambre d'hôtel avec une gueule de bois incroyable et le lendemain je préparais déjà le dîner de sa fille...

— J'avoue qu'on n'a pas fait pire en matière de romance... admit Kirishima. Mais tu me résistais tellement... il fallait bien que j'abatte ma carte maîtresse !

— Quelle honte... se servir de son enfant ainsi... Et tu prétends que seules les femmes ont un penchant pour la manipulation !? Quelle mauvaise foi...

La remarque de Yokozawa amusa Kirishima qui remuait ses épaules emportées par un rire frénétique. Cet homme était si beau lorsqu'il riait comme ça.

Yokozawa ne pouvait pas s'empêcher de s'en faire la remarque. Pourtant, il ne parvenait pas à lui dire les mots qui devaient mettre un terme à leur désunion.

Le ciel se couvrit de lourds nuages cotonneux, dessinant de grosses taches noires sur les murs des immeubles qui s'élevaient autour d'eux. Une ombre opaque envahit alors la terrasse sur laquelle ils se trouvaient.

Le changement d'atmosphère fit brusquement sortir Kirishima de son inertie. Il détourna dans un mouvement de tête son regard pour le porter au loin. Yokozawa profita de cet instant pour observer son profil.

En dépit du sourire qu'il affichait, le visage grave de l'homme reflétait une immense détresse. Cependant, Yokozawa ne trouvait pas la force de faire un pas vers lui, il était comme paralysé par la honte à l'idée de lui faire entrevoir son émoi.

Tiraillé entre le désir de le prendre dans ses bras et son amour-propre, les bras tendus le long du corps, il serrait les poings au point d'enfoncer ses ongles dans les paumes de ses mains. Le souffle coupé, dans un balbutiement, il finit non sans mal par lui avouer :

— Kirishima-san - attends-moi !

Kirishima, qui ne saisissait pas le sens de son propos dévisagea alors son amant qui poursuivit :

— Je devrai plutôt dire attendez-moi, Hiyo et toi !

— ...

— Le jour viendra où je devrai me rendre à l'évidence... mais aujourd'hui je pense qu'il est trop tôt pour moi... En ce qui te concerne, les choses sont plus faciles, tu sais déjà ce que peut signifier : vivre aux côtés de l'être qui vous est cher - tes craintes et tes appréhensions sont moins grandes pour cause... Mais moi, je n'ai jamais connu cela avec personne d'autre et je t'avoue... que j'en ai une trouille immense...

Kirishima cueilli par ces paroles ne s'attendait pas à une telle confession de la part de Yokozawa.

— Je sais que tu veux le mieux pour ta fille... je conçois que tu préférerais que je sois à vos côtés quotidiennement pour sa stabilité et son épanouissement... Et au fond de moi... je sais aussi que ce serait la meilleure des choses à faire... Mais je n'ai pas envie de tout gâcher à cause de ma maladresse ! J'ai besoin de plus de temps pour m'améliorer... Ce ne sera pas long, je te le jure...

— Les enfants n'ont nullement besoin de stabilité, idiot... Ce dont ils ont besoin c'est d'amour...

Kirishima venait de formuler une idée dont seul un père avait conscience.

Yokozawa à bout de souffle, les yeux posés sur le bout de ses pieds, ajouta alors cette dernière chose :

— ... Ce ne devrait pas être bien long Kirishima-san... Laisse-moi un tout petit peu plus de temps... je t'en donne ma parole. Je ne vous laisserai jamais tomber... Hiyo et toi !

Il tremblait comme une feuille tant il avait mis dans ces mots toute son énergie.

Il sentit alors le contact d'une main sur son visage dévoré par la honte. Son cœur manqua un battement, il sursauta.

Kirishima se tenait tout proche, penché au-dessus de lui. Son visage affichait un doux sourire ; Yokozawa ne pouvait pas affronter son regard insistant.

Avec une voix toute teintée de tendresse, il murmura :

— Embrasse-moi.

Yokozawa, gâté de rouge, sentit un frisson parcourir son épine dorsale. Il ne fallait pas flancher.

— Pourquoi diable me demandes-tu une chose pareille, idiot ! rétorqua-t-il le souffle court.

Kirishima déposa alors un baiser sur le haut de son front, ce qui surprit Yokozawa, qui venait d'ouvrir déjà légèrement sa bouche.

Puis, lentement, il fit redescendre l'étreinte sur sa joue droite, puis sur la joue gauche dessinant ainsi avec sa bouche les traits de son visage.

Sa main qui tenait maintenant l'arrière de sa tête diffusait une chaleur qui anesthésiait l'esprit de Yokozawa.

Confus il laissa alors Kirishima faire basculer son visage vers l'arrière et recouvrir sa bouche de ses lèvres fines.

Il essayait de résister à la tentation de toucher son visage, de caresser ses cheveux d'ambre et de lui rendre son étreinte, mais il n'entrouvrit que simplement ses lèvres, laissant pénétrer en lui la langue fureteuse.

Toute la sensualité de cet homme pouvait se résumer à ce baiser.

Une semaine sans y goûter, Dieu que cette attente fut longue et pénible, mais ce geste en sonnait bien l'armistice.

Enfin, Yokozawa, qui s'obligeait à ne pas trembler, finit par ouvrir les yeux. Ses mains fébriles se posèrent autour des épaules de Kirishima, puis glissèrent le long de la nuque pour enfin s'engouffrer dans sa chevelure. Il hésitait, mais peu importe, c'était son cœur désormais qui avait pris le contrôle.

Kirishima, étouffé par sa propre étreinte, fit mine de s'écarter pour reprendre son souffle, mais Yokozawa lui interdit.

C'est au bout d'un long instant que les deux hommes décidèrent ensemble de mettre fin à cette union. Ils respiraient fort, front contre front, rassasiés d'ivresse.

Kirishima, dont la cuisse touchait l'aine de son amant, pouvait sentir la manifestation naissante de son désir.

— Tu es dur... lui fit-il remarquer, amusé.

— Mais merde... Pourquoi faut-il toujours que tu ouvres ta bouche dans de pareils moments !?

Yokozawa eut un réflexe de rejet et essaya de le repousser en arrière, mais l'éditeur qui agrippait ses épaules ne bougea pas d'un pouce. Il le serra alors contre son torse. Son corps était ravagé par le désir.

— Tout ce temps sans te toucher Yokozawa, sais-tu à quel point ce fut une torture pour moi ! La nuit, je voyais ton visage... tu hantais mon sommeil... Dis-moi... pensais-tu à moi toi aussi ?

— ...

Les confessions de Kirishima rendirent Yokozawa muet.

Pourquoi ne parvenait-il pas à lui dire qu'il en était de même pour lui ? Pourquoi n'arrivait-il pas à lui avouer que son esprit était totalement prisonnier de son souvenir ? Plongé dans son tortueux mutisme, Yokozawa ruminait.

— Dis-le-moi Takafumi... s'il te plaît...

La façon dont Kirishima avait chuchoté son prénom, dans un souffle de voix presque inaudible, lui fit retrouver le sens de la parole.

— Des aveux les plus stupides que tu aies voulu me faire prononcer, celui-ci est le plus grand. Évidemment que j'ai pensé à toi... sombre idiot...

— Je suis si heureux de te tenir dans mes bras... j'ai bien cru que ce moment n'arriverait plus jamais.

Kirishima dans un élan passionné, poussa Yokozawa dans sa chambre. Réalisant le désir s'immiscer entre eux, il prit alors les devants.

— Ne songe pas à faire quoi que ce soit avec moi, en plein jour, avec Hiyo à côté ! Hors de question !

— Détends-toi ! Elle dort à poing fermé, elle ne s'apercevra de rien !

— J'ai dit non !

Kirishima prit la mouche. L'air mutin qu'il affichait soulignait l'espièglerie qui émanait de son regard. L'un à face de l'autre, les deux hommes se toisaient.

Dans un geste de provocation, Kirishima déboutonna les premiers boutons de sa chemise, dévoilant le haut de son torse.

Yokozawa soufflait, la tentation était trop grande. Son esprit disait non, mais ses yeux convoitaient.

Affamées, leurs bouches finirent par se rejoindre. Les bustes se cognèrent, les langues se mélangèrent.

Il fallait faire vite, pallier l'urgence de ce désir qui les avait consumé depuis déjà trop de temps. Yokozawa était nerveux, mais Kirishima n'en restait pas moins méthodique.

Les vêtements glissèrent à peine, les chemises restaient à moitié démises, peu importe la forme, seul le fond avait une importance.

Pourtant, les bouches voraces dévoraient le moindre centimètre de peau nue et brûlante.

L'éditeur entreprit le déboutonnage du pantalon de son amant. Il découvrit alors la bosse humide et moulée par son sous-vêtement. Il l'empoigna sans hésitation, la malaxa, son pouce en dessinait avec application les contours.

Maintenant agenouillé à ses pieds, il fit glisser le long de ses jambes l'écrin qui renfermait le précieux objet de son appétit. Sa bouche salivait à l'idée de le dévorer. Yokozawa, ne tenait plus. Ses jambes tremblaient, ne supportant qu'à peine son corps incandescent de désir. Il appuya alors sur le haut du crâne de son partenaire, en signe d'exhortation.

Son sexe dressé fut avalé en une seule bouchée. La bouche gourmande traçait des sillons de salive brillante sur la verge, la faisant sienne d'un bout à l'autre. Le dos de Yokozawa grisé par le plaisir formait un arc. La courbure que formait son corps ne lui permettait déjà plus de rester debout. Il s'effondra sur le lit.

Gisant à moitié nu sur les draps blancs, les jambes étaient légèrement écartées, il n'avait déjà plus aucune pudeur, exhibant sa virilité au nez de son amant.

Kirishima prit cela comme une invitation. Il recouvrit son corps du sien en l'enlaçant. Le geste était tendre, mais ferme. Yokozawa enseveli sous le poids de ce corps avait déjà perdu tout contrôle sur la suite des événements. Il pouvait déjà sentir le sexe dur de son amant blotti contre sa cuisse.

Kirishima se souleva légèrement, porté par ses bras, muscles tendus. Il croisa le regard embrumé de Yokozawa qui machinalement enroulait ses bras à son cou.

— Je crois ne jamais t'avoir vu aussi docile, lui avoua-t-il.

— Ferme-la et continue, cracha Yokozawa agacé par ce commentaire importun.

Kirishima unit leurs deux sexes et les brossa à l'unisson. Le plaisir fut si intense qu'ils manquèrent de se rependre au bout de quelques secondes. Les gémissements étouffés de Yokozawa étaient une véritable délectation pour l'autre homme.

L'entendre s'exalter entre sa main le rendit animal.

Il agrippa alors sa taille et fit remonter l'ensemble de son corps vers la tête de lit. Il coucha son torse sur son ventre en prenant soin en même temps de séparer ses cuisses. Le bout de son sexe explorait déjà la porte humide de son amant. Il la pénétra doucement, pour ne pas la blesser, mais ce geste, bien que d'une douceur infinie, ne provoqua qu'une réaction de rejet de la part de Yokozawa.

— Oi ! Mais merde, tu me prends pour une femme ou quoi !? Tu ne peux pas me coller ton putain de bordel aussi vit-

— Excuse-moi, je perds tout contrôle, là, expliqua Kirishima confus.

Il porta alors son index droit à sa bouche, pour le baigner de salive. Le liquide argent était épais et perlait le long de sa main. Le geste, que Yokozawa observait silencieux par le bas, fit accroître son excitation tout en le terrifiant. Ce doigt, soigneusement préparé, lui était inévitablement destiné.

Les yeux baissés, sa bouche était légèrement ouverte et laissait s'échapper un souffle chaud qui terminait sa course sur le ventre de l'autre homme.

Précis, il introduit l'appareil, couplant son acte à un baiser.

Yokozawa, la bouche prisonnière, eu un sursaut.

L'ouverture était déjà bien dilatée, alors sans attendre, il en fit pénétrer un second. Yokozawa se cambrait, accueillant sans presque rechigner les deux intrus.

Sentant l'envie l'envahir, il enroula ses bras autour du cou de l'éditeur pour l'inciter à se coller contre lui un peu plus.

Sa fierté lui refusait de l'inviter par les mots, donc son corps avait pris le relais.

Alors qu'il enroula ses jambes autour de ses hanches, l'autre introduit son sexe en lui avec une facilité déconcertante.

Paradoxalement, ce fut comme une libération pour Yokozawa.

Il était maintenant plein de l'autre. Il sentait son pénis gonflé en lui à chaque à-coup. Les souffles devinrent roques, les mains griffèrent la peau. Ils voulaient se sentir, se sentir plus forts encore, comme pour rattraper les instants perdus de ces derniers jours.

La sueur se mélangeait à mesure que le martèlement devenait plus rapide.

Yokozawa, las de ne pas mener la danse, se leva brusquement et fit basculer Kirishima vers l'arrière. L'homme, déstabilisé par ce soudain sursaut, s'assit sur les draps et pressa contre lui le corps de celui qui s'était emboîté sur son sexe, afin de retrouver son équilibre.

Ils ne parvenaient pas à désunir leur bouche. Yokozawa, d'une dextérité incroyable, sautait, ondulait sur les cuisses de son amant, qui le possédait, de cette façon, encore plus profondément.

Leurs seins qui pointaient d'excitation frôlaient la peau de l'autre, tous leurs sens étaient en éveil et Kirishima, abandonné à son plaisir, laissait échapper de doux gémissements de plainte.

— Arg... N'arrête surtout pas de bouger... murmura-t-il le souffle court.

— Si tu jouis en moi, je te tue ! grogna Yokozawa.

Il n'avait plus besoin de caresser son sexe pour ressentir la jouissance, le simple frottement de son organe contre le ventre de son amant était suffisant.

Frémissant, tenu par les mains solides qui suivaient les mouvements de ses hanches, il sentit alors que l'orgasme était proche.

Sa tête bascula alors en arrière et il laissa s'échapper de sa gorge le râle de la libération.

Il se distilla en perles blanches, comme un bijou de lumière, sur le ventre de celui qu'il chevauchait. Son organe, épuisé, convulsa encore pendant quelques secondes.

Pris de vertige, il reposa alors son visage dans le creux du cou de l'autre qui n'allait pas tarder à le rejoindre dans l'extase.

Kirishima poursuivait la danse et faisait mine d'ignorer l'état de son cavalier léthargique.

Il voulait venir en lui et la mise en garde de tout à l'heure ne serait d'aucune autorité.

Le liquide chaud finit par jaillir à l'intérieur. Il débordait, se mélangeait à son sang. Kirishima à bout de force saisit les hanches de Yokozawa comme pour le supplier de s'arrêter de bouger.

Leurs cœurs palpitaient à l'unisson. Le bruit des battements de cœur était si fort et si intense, qu'il résonnait presque dans la pièce.

S'ils avaient été contraints à mesurer le vacarme de leur ébat, ils n'avaient aucun contrôle sur celui des battements de leurs cœurs.

Ruisselants de sueur, ils séparèrent les corps dans un même élan.

Kirishima eut la faiblesse de réclamer un baiser de l'animal couché à ses côtés. Yokozawa refusa. Mais il tendit son bras pour attraper sa main, c'était le mieux qu'il pouvait faire.

Kirishima sourit. Il était infiniment heureux.

2

Ils venaient à peine de s'assoupir lorsque résonna au loin une petite voix d'enfant.

Les deux amants, l'un contre l'autre, qui s'étaient retrouvés dans leur sommeil, sursautèrent.

— Papounet ! Papounet ! Tu es là Papounet !?

C'était Hiyori qui s'était réveillée.

Kirishima se rhabilla à la hâte et courut en direction de la chambre de la petite fille.

— Hiyo ! Que se passe-t-il ?

La fillette gisait sur le sol de sa chambre plongée dans le noir, au pied de son lit.

— Papounet ! C'est ma jambe elle... je suis tombée en me levant ! Je crois que j'ai écrasé Sorata !

Affolée, Hiyori essayait de retenir ses larmes. Visiblement, elle avait oublié que sa jambe était encore un peu affaiblie par sa chute de la matinée.

Kirishima souleva sa fille et la déposa au bord de son lit.

— Mais Hiyo, tu ne te souviens pas ? Tu es tombée ce matin à l'école, ta cheville est encore un peu engourdie, il ne faut pas forcer dessus.

Kirishima examina délicatement la petite cheville fébrile.

— Et Sorata dort sans le séjour en ce moment même... tu ne l'as pas écrasé !

— Papounet... balbutia Hiyori anxieuse. Papounet... Pourquoi Yokozawa-oniichan n'est pas là ? Il est parti !? Il nous aime plus, c'est ça !?

— Hiyo... pourquoi dis-tu ça ? Regarde, il est ici, avec nous !

Hiyori se retourna et vit alors Yokozawa à la porte de sa chambre. Silencieux, il rejoint alors la fillette et son père et s'assit auprès d'eux, sur un fauteuil.

— Qu'est-ce que c'est toutes ces histoires ? Je t'ai fait une promesse la dernière fois n'est-ce pas ? lui dit-il en tapotant le bout de son petit nez.

La fillette rougit.

— Quelle promesse ? demanda Kirishima curieux.

— Papounet ! Ne demande pas !

— C'est entre Hiyori et moi ! Tu n'as pas à être au courant de ça !

Kirishima, dévoré par la curiosité exhiba son fameux sourire narquois. Il était amusé de savoir que sa fille et son amant complotaient derrière son dos ! En tirant la langue comme un petit garçon, il ajouta :

— Moi aussi j'ai des secrets avec Takafumi tu sais, tu n'es pas la seule !

— Ferm- ! manqua de rétorquer Yokozawa furieux.

— Papounet! Si tu essayes de me rendre jalouse, sache que tu t'y prends très mal ! fit remarquer Hiyori à son père, fièrement, en levant son joli minois.

Kirishima éclata de rire et Yokozawa, qui au fond de lui bouillonnait, ria à son tour.

Et c'est avec un sourire radieux, qu'Hiyori déclara en regardant les deux hommes:

— Je suis soulagée ! Vous vous êtes enfin réconciliés !

Kirishima qui s'apprêtait à ajouter quelque chose fut stoppé sur le champ par Yokozawa qui redoutait d'entendre une autre réflexion de mauvais goût.

— Bon ! Si j'allais acheter un beau morceau de bœuf, je pourrais nous préparer un bon ragoût, ce soir !? On n'a rien inventé de mieux que les protéines pour ressouder les mini-os des petites filles étourdies ! Et en dessert, on pourrait manger du pudding, pourquoi pas.

— Ça veut dire que tu vas préparer le dîner Oniichan !? Et je pourrai manger ton pudding !?

— Yep !

— Je pense qu'on va avoir besoin de toi, Oniichan, à la maison... jusqu'à ce que Hiyo aille mieux évidemment ! Au moins pour préparer les puddings de mademoiselle.

Yokozawa sentit se refermer le piège que son amant était en train de lui tendre.

— C'est pathétique, lui fit remarquer Yokozawa à voix basse.

— Je sais... mais que veux-tu... la fin justifie les moyens !

Agacé par le rire de Kirishima qui résonnait dans toute la maison, Yokozawa ne parvenait pas à se défaire de cette idée :

L'amour c'est comme la guerre et c'est souvent le plus stratège qui l'emporte.

Mais bien qu'à ce petit jeu, Kirishima avait une longueur d'avance sur son ennemi, l'autre n'avait pas encore dit son dernier mot !

FIN

NOTE :

Si vous désirez lire la version illustrée, rendez-vous sur mon site web : ( rubrique : lecture en ligne )