Note : Ceci est la traduction de Storm in a Teacup de Faithwood, que je publie bien sûr avec sa permission.

Encore une fois, un grand merci à Via pour sa relecture.


Chapitre 1

Tout arriva parce que Potter était visiblement incapable d'aller chez le coiffeur. Ses cheveux avaient toujours été en désordre, mais ces temps-ci les mèches d'un noir de jais partaient vraiment dans tous les sens. Elles s'enroulaient autour de ses oreilles, effleuraient ses joues, et elles lui auraient sûrement crevé les yeux s'il n'avait pas eu des lunettes pour les protéger.

Drago se sentait chatouillé par procuration quand ces satanées mèches s'attaquaient au visage de Potter.

Potter, par contre, avait l'air de se moquer totalement de l'état abominable de ses cheveux. C'était rare qu'il se donne la peine de repousser une mèche, et il ne se fatiguait pas à répéter le mouvement quand les boucles insolentes revenaient aussitôt de là où il les avait enlevées.

Il y avait une mèche particulièrement têtue qui venait toujours chatouiller sa joue droite. Elle ressortait, plus longue que le reste, et était l'une des rares qui avait le pouvoir d'attirer les foudres de Potter. Mais ce n'était pas comme s'il pouvait la dompter en tirant dessus comme il le faisait.

Un jour, Drago en était sûr, il perdrait patience et ferait disparaître par magie cet amas chaotique de la tête de Potter.

Si on voulait être totalement honnête, ce n'était pas juste les cheveux. Les masses idolâtres qui faisaient montre de qualités de pâmoison et de laudation jusqu'alors inégalées étaient également responsables.

Drago ne pouvait s'empêcher de dresser un parallèle : les élèves de Poudlard étaient dans une large mesure similaires aux cheveux de Potter. Une grosse masse chaotique qui essayait de s'emparer de petits morceaux du grand Harry Potter.

Ce n'était pas qu'ils lui couraient après, pas exactement, mais c'était juste parce que Potter avait appris à ses dépens à ne pas courir. Mais il y avait toujours quelqu'un qui avait quelque chose à dire à Potter, quelque chose à lui montrer, quelque chose à lui donner. Ils l'arrêtaient dans les couloirs pour lui serrer la main et lui donner du chocolat, pour lui demander des trucs quant aux sortilèges défensifs, pour lui parler du temps et s'il risquait de pleuvoir le weekend prochain, et, en parlant du weekend prochain, il y a une sortie à Pré-au-Lard et, oh, est-ce-que-tu-y-vas-avec-quelqu'un-Harry-ou-bien-tu-veux-bien-y-aller-avec-moi ?

Potter souriait, secouait la tête, et s'en allait pour disparaître presqu'aussitôt, aussi mystérieusement qu'un fantôme, mais sans aucun doute avec l'aide de sa cape d'invisibilité.

Où est-ce que Potter allait quand il disparaissait, personne ne le savait. Sauf peut-être Granger et Weasley, mais ils ne voulaient rien dire.

La théorie la plus populaire était que Potter allait sauter une fille qui avait oh tellement-de-la-chance. S'il passait vraiment des heures par jour à baiser, ça expliquait au moins l'état de ses cheveux.

Personne ne pouvait reprocher sa curiosité à Drago. Tout le monde était curieux. Mais tout le monde ne connaissait pas les passages secrets de Poudlard aussi bien que la personne qui avait passé une année complète à chercher un moyen de faire rentrer les Mangemorts dans le château.

Même s'il n'était pas fier de la façon dont il avait acquis cette connaissance, Drago fut bien content de l'avoir quand il finit par trouver la cachette de Potter.

Ce n'était pas une découverte révolutionnaire. Il trouva Potter dans un couloir étroit du quatrième étage, assis par terre dans une petite alcôve qui était brillamment éclairée par une haute fenêtre qui donnait sur le lac. Il était seul et avait l'air de travailler. Il n'était clairement pas en train de baiser.

Il releva la tête quand Drago s'avança et puis cligna des yeux, deux fois. Une mèche de cheveux était en train de chatouiller sa joue droite, comme il se devait.

« Désolé, se dépêcha de dire Drago avant que Potter ne se fasse des idées. Je ne savais pas que cet endroit était occupé.

— Je… »

De l'encre goutta de sa plume et tacha le parchemin jauni. Pour ce que Drago en voyait, à part quelques autres taches noir, le parchemin était vierge.

« Je ne savais pas que cet endroit était connu. Est-ce que c'est… »

Un sourire hésitant étira les lèvres de Potter.

« Est-ce que c'est ton coin, ou bien ? »

Drago était venu là une seule fois auparavant, il y avait presque deux ans de cela. Il haussa les épaules.

« De temps en temps. »

Il rendit son sourire à Potter.

« Mais ça n'a pas d'importance. Je me trouverai un autre coin. »

Il commença à se retourner, comme s'il s'apprêtait à partir. Potter se remit sur ses pieds.

« Non ! Je ne savais pas ! Je n'ai jamais vu personne ici, alors j'ai pensé… »

Il fourra son parchemin dans son sac et se pencha pour ramasser ses livres.

« Je m'en vais. »

Et ça résumait parfaitement tous les contacts que Drago avait eus avec Potter depuis qu'ils étaient revenus à Poudlard pour terminer leur éducation. Comme si il y avait une sorte de pacte tacite qui les obligeait à être toujours plus poli l'un que l'autre.
Drago n'avait pas l'intention de perdre cette manche.

« Vraiment, Potter, ce n'est pas la peine. Tu es en train de travailler. Je suis juste venu ici pour contempler les murs vides et broyer du noir. »

Potter rit. Il avait déjà rangé toutes ses affaires.

« J'avais vraiment l'air de travailler ? C'est génial. Parce que je faisais semblant, juste au cas où Hermione arrive.

— Je vois. Alors tu faisais quoi, tu te branlais ? »

Potter toussa brièvement ; il n'avait pas dû s'attendre à ça.

« Heu, non. Ça aurait été gênant si…

— Hermione était arrivée », finit Drago pour lui.

Il repassa cette phrase dans sa tête et se corrigea aussitôt :

« Granger, je veux dire. »

Ça n'était vraiment pas bon de juste répéter les mots de quelqu'un d'autre comme ça ; il ne pouvait pas appeler Granger « Hermione » comme ça, comme s'ils étaient ou voulaient devenir amis.

Potter avait l'air de faire de gros efforts pour ne pas trop rire. Ses joues étaient rouges. Maintenant, il allait probablement aller dire à tout le monde qu'il savait que Drago appelait Granger « Hermione » dans sa tête, et que peut-être il était secrètement amoureux d'elle.

Les cheveux de Potter débordaient d'énergie, visiblement en mode attaque ; une mèche s'était même faufilée sous les lunettes de Potter et le faisait cligner des yeux sans arrêt.

Il fallait que Drago parte maintenant avant qu'il fasse quelque chose de stupide. Comme jeter un maléfice qui rendrait Potter chauve, ou pire, aller jusqu'à lui pour libérer son visage en capturant ces satanés cheveux dans ses mains.

« Cet endroit n'a pas de valeur sentimentale pour moi, Potter, dit-il. Tu peux en faire ton coin à toi. »

Il se retourna et se dépêcha de partir avant que Potter ne puisse protester.

Plus tard, Drago se fit la réflexion que ce couloir étroit et cette petite alcôve bien éclairée étaient un endroit parfait pour travailler en paix. Il était peu probable que Potter y revienne maintenant que sa solitude avait été souillée par la présence de Drago, donc il n'y avait rien qui l'empêchait d'en faire son coin à révisions maintenant.

Il y retourna le lendemain, équipé de livres, parchemins et plumes. Il s'assit les jambes croisées à même le sol et fit apparaître et léviter une planche de bois pour lui servir de bureau. Elle était un peu flageolante et commençait à faire des petits bonds si Drago réfléchissait trop longtemps à ce qu'il voulait écrire, mais il parvint à bien avancer sur son devoir de métamorphose avant que Potter ne se montre. Ou plutôt qu'il fasse irruption en sortant d'une tapisserie. Il était rouge et haletant, et en partie invisible. La tête, la poitrine et une main, c'était tout ce que Drago pouvait voir de lui.

« Comment ça se fait, dit Drago quand Potter l'aperçut, que tu peux tenir tête à un Seigneur des Ténèbres, mais que tu t'enfuies en courant quand une petite fille veut te donner du chocolat ? »

Potter était visiblement assez perturbé pour essayer de chasser ses cheveux de son visage. Cela donna à Drago l'impression d'être spécial.

« Je croyais que tu ne venais pas souvent ici. »

Drago hocha la tête.

« Il se trouve qu'aujourd'hui est un jour à pas souvent. »

Visiblement, Potter n'avait pas envie de jouer les polis aujourd'hui.

« Puisque c'est comme ça. »

Il se battit avec sa cape d'invisibilité, essayant de la remettre sur ses épaules.

« Ne sois pas absurde, Potter. Il y a plein de place ici, et je travaille sur mon essai dans un silence absolu. Si tu n'es vraiment pas venu ici pour te branler, tu n'as qu'à t'asseoir et sortir tes bouquins. Je promets de ne pas te donner de chocolat. Ni de te parler. En fait, je ferai comme si tu n'étais pas là. »

Potter tira sur sa cape et puis s'interrompit pour regarder Drago dans les yeux.

« Je suis venu ici pour me branler », dit-il finalement.

Mais il avança jusqu'à l'alcôve au lieu de partir. Drago lui jeta un coup d'œil circonspect tandis qu'il se laissait glisser dans le coin opposé de l'alcôve.

« Si tu la sors devant moi, Potter, je te balance un maléfice.

— Je vais essayer de me contenir. »

Potter fourra la cape scintillante dans son sac à dos. Et puis il sortit son devoir de métamorphose.

« Je suppose que tu ne me laisseras pas copier ton devoir de Métamoprhose ?

— Mais si bien sûr, répondit Drago. »

Il apprécia la façon dont les sourcils de Potter se soulevèrent.

« Je veux un Gallion par phrase. »

Cela tira un rire à Potter. Un rire qui illumina son visage, ses dents ressortant plus blanches, ses yeux plus verts, ses joues plus roses. La mèche bien connue vint frapper sa joue droite. Drago la fixa d'un air mauvais.
Potter sortit une plume en secouant la tête.

« Est-ce que tu me ferais au moins un bureau qui lévite comme le tien ? »

Drago essaya de trouver une excuse pour ne pas le faire, mais sa main avait déjà sorti sa baguette.

« Si ça te fait taire », dit-il en faisant apparaître une planche pour Potter.

Potter se tut effectivement et Drago retourna à son essai. Il fit de son mieux pour ignorer la présence de Potter et ne pas regarder vers lui.

« C'est encore une fois un jour à pas souvent ? demanda Potter le lendemain en trouvant Drago dans l'alcôve.

— J'ai changé d'avis, dit Drago. C'est mon coin et j'aimerais le garder. »

Potter soupira et commença à faire demi-tour.

« Tu peux rester, se dépêcha d'ajouter Drago. Tant que tu te tais et que tu ne te lamentes pas sur le fait que je sois là. »

Et que tu te coupes les cheveux. Il garda ce point sous silence.
Potter l'observa quelques instant.

« Tu ne viens pas ici pour être seul ?

— Je viens ici pour ne pas me sentir observé sans arrêt. Je suppose que tu ne vas pas passer ton temps à me fixer. »

Il y avait comme une pointe d'amertume dans la dernière phrase. Drago espérait que Potter ne s'en était pas rendu compte.

Potter hocha la tête et détourna le regard comme pour démontrer qu'en effet il ne comptait pas passer son temps à fixer Drago. Il reprit la même place que la veille et, sans dire mot, Drago fit apparaître un bureau flottant pour lui.

Potter était étonnamment agréable comme compagnon de travail. Il était très silencieux ; il ne faisait pas des drôles de bruit avec sa bouche comme Goyle, ne passait pas son temps à soupirer et renifler comme Pansy, ou à tapoter avec ses doigts et battre la mesure avec sa jambe comme Blaise.

Il avait tendance à rêvasser et à partir très loin, fixant son parchemin sans le voir, les yeux grands ouverts et les lèvres pincées. Parfois, il avait l'air bizarrement vulnérable dans ces moments-là, et d'autres fois il avait l'air en colère, empli d'une rage aussi intense que le jour où il avait mis à bas Voldemort avec la baguette de Drago.

Drago n'osait même pas imaginer ce qui lui passait par la tête dans ces moments-là. Même si, paradoxalement, il brûlait d'envie de lui demander. Il avait essayé de le faire, plusieurs fois, au moins une fois par séance de travail.

Mais la question qu'il voulait poser, « A quoi tu penses ? » se transformait en quelque chose de trivial avant d'atteindre ses lèvres.

« Tu aurais une plume pour moi ? demanda-t-il une fois. »

Le regard de Potter était si intense qu'il eut l'impression d'être en feu quand il releva la tête vers lui.

« Ouais », dit Potter en sortant une plume de son sac.

Leurs mains se touchèrent quand Potter lui passa la plume.
Il se trouva que c'était une plume de merde. Elle rendait l'écriture de Drago inégale et tremblante.

« Le nouveau prof de Métamorphose est un troll pour nous faire écrire ça », déclara Drago une autre fois.

Potter cligna des yeux et puis secoua la tête.

« N'insulte pas les trolls. Ils sont vachement plus cools que ça. Ils ont des grosses massues bien épaisses. Je parie que la massue de Tam est toute petite.

— Alors tu les aimes grosses et bien épaisses ? ne put s'empêcher de demander Drago.

— Comme tout le monde, non ? »

Potter sourit et retourna à son devoir.

Drago passa le reste de la journée à penser à des grosses massues bien épaisses.

« Je ferai ton devoir de Potions si tu fais mon devoir de Défense », proposa Drago un jour.

Potter eut l'air enchanté. Il repoussa même cette idiote de mèche qui s'accrochait à sa joue, comme s'il avait deviné à quel point elle agaçait Drago.

Une semaine après qu'ils aient tous les deux décroché de très bonnes notes pour leurs essais respectifs, Potter arriva à l'alcôve l'air extrêmement agité et des couleurs aux joues. Il gigotait et tapotait son parchemin de sa plume, si bien que Drago perdit patience.

« Qu'est-ce qu'il y a, Potter ? »

Potter leva la tête et le fixa si longtemps que Drago eut le temps de penser à quinze adjectifs différents pour décrire le vert de ses yeux.
Et puis Potter dit :

« Je suis gay. »

Et Drago ne dit rien du tout, parce qu'il était trop occupé à se demander s'il devait ou non se jeter un sort de Récuroreilles. Ou bien un sort de silence sur Potter.

« J'aime les mecs », reprit Potter.

L'absence de réaction de Drago avait dû lui donner l'envie de clarifier les choses.

« Je veux coucher avec des mecs, ajouta-t-il. Enfin, pas tous. Juste quelques-uns. Enfin, j'aurais rien contre coucher avec quelques filles aussi. Surtout celles qui sont musclées. Ou qui ont une grande gueule et sont marrantes. Mais surtout des mecs. J'y pense beaucoup. J'y pense trop, en fait. »

Drago retrouva sa voix. Il avait dû la perdre dans les tréfonds de son estomac car elle revint en une sorte de murmure éraillé.

« Pourquoi tu me dis ça ? »

Potter le fixait toujours avec de grands yeux.

« Parce qu'il faut que je le dise à quelqu'un. Ça me rend dingue. Et puis ben… ce n'est pas comme si tu pouvais le dire à quelqu'un, hein ? »

Drago n'avait jamais aimé qu'on lui dise ce qu'il pouvait faire et ne pas faire.

« Bien sûr que si, protesta-t-il.

— Bon, oui, j'imagine. Mais personne ne te croira. Tout le monde pensera juste que tu inventes des trucs pour être méchant. »

Ça faisait mal. C'était vrai, bien sûr, mais ça faisait mal quand même. Potter avait dû s'en rendre compte.

« Je suis désolé. C'était méchant. Parfois, je sais pas comment faire pour pas être méchant avec toi.

— Je comprends, dit Drago. C'est une attitude tout à fait normale pour une grosse tafiole. »

Le sourire qui apparut sur les lèvres de Potter était hésitant.

« Tu me taquines, hein ? J'arrive jamais à savoir.

— Je suis toujours parfaitement sérieux et je ne taquine jamais personne, rétorqua Drago. Maintenant, s'il te plaît, fantasme sur des mecs si tu veux, mais en silence. J'ai un essai à écrire. »

Potter rit, un petit son presque inaudible. Drago le fit taire en faisant apparaître une planche-bureau qui lui vola en plein dans la poitrine.

Le silence régna après ça, mais Drago eut du mal à avancer sur son essai. L'alcôve semblait manquer d'air et sa vision était comme floue.

C'était difficile de ne pas imaginer à quoi Potter était en train de penser.

Quatre jours plus tard, Potter fixait son devoir de Sortilèges d'un air accusateur, comme s'il lui avait ordonné de s'écrire tout seul mais que le devoir refusait avec entêtement. Un fin rayon de lumière déclinante illuminait son visage ; le soleil couchant mettait du rose à ses joues et asséchait ses lèvres. Il n'arrêtait pas de mordiller sa lèvre inférieure pour la relâcher quelques secondes plus tard. A chaque fois, elle avait l'air plus pleine et plus rouge. Une mèche noire était en train de se glisser vers l'arrête de son nez.

« Est-ce que tu l'as dit à tes amis ? » demanda Drago.

Potter releva la tête assez brusquement pour que la mèche vole vers l'arrière de son visage et doive se contenter de chatouiller son sourcil.

« Dit que je n'avais pas écrit mon merveilleux devoir de Potions ? Bien sûr que non. Hermione est tellement jalouse. Elle m'a accusé d'avoir triché de nouveau, mais elle n'a pas de preuve.

— Dit que tu voulais coucher avec des mecs, abruti. »

Un sourire vint jouer sur ses lèvres.

« Ce devoir était assez merveilleux, il faut dire. »

Il cligna des yeux.

« Attends. Qu'est-ce que tu veux dire, elle t'a accusé d'avoir triché de nouveau. Tricher en Potions. Tu l'as déjà fait ? Oh. Oh ! En sixième année ! Je le savais. »

Le bureau lévitant de Potter se mit à tressauter. Une petite tape de sa plume sur le parchemin le fit s'arrêter.

« Non, certainement pas.

— Non quoi ? Non, tu n'as pas triché ? Non, tu ne leur as pas dit que tu étais gay ?

— Les deux.

— Pourquoi ? »

Potter secoua la tête tristement.

« Parce que c'est pas bien de tricher.

— Potter.

— Et puis, je ne faisais que suivre d'autres consignes. Ce n'est pas de la triche, techniquement.

— Potter, je faisais allusion à ton désir récent de coucher avec des mecs. »

Drago fronça les sourcils.

« Tu suivais les consignes de qui, alors ?

— Ce n'est pas vraiment récent. J'ai déjà eu des fantasmes sur des mecs avant. »

Potter sembla ailleurs l'espace d'un moment – il était probablement en train de suivre un fantasme totalement inapproprié juste là devant Drago – et puis il cligna des yeux et ajouta :

« C'étaient les consignes de Rogue.

— Rogue t'a donné des consignes pour que tu fantasmes sur des mecs ? »

La grimace de Potter délogea la mèche qui s'accrochait à son sourcil. Elle glissa plus bas et manqua lui crever un œil. Voilà qui lui apprendrait à grimacer. Il sauva son œil en secouant la tête.

« J'avais un vieux livre de Potions rempli des consignes de Rogue et je les ai suivies. C'est pour ça que j'étais meilleur en Potions en sixième année.

— Rogue n'était pas prof de Potions en sixième année », fit remarquer Drago, distrait.

Il y avait des choses plus importantes qui occupaient son esprit. Il prit un air nonchalant et demanda :

« Alors sur qui tu fantasmais, à l'époque ?

— Ginny Weasley. »

Potter le regardait par en-dessous, en souriant.

« Et non, c'était pas notre prof. C'était ça le truc. J'ai ignoré Slughorn et j'ai utilisé le vieux livre de Rogue en suivant les instructions qu'il avait notées dans la marge.

— Ginny Weasley n'est pas un mec. Et tu réalises, Potter, que tu avais eu les instructions de Rogue à ta disposition pendant cinq ans avant ça. Comment ça se fait que ça ne t'aidait pas à l'époque ?

— Je ne savais pas que le livre était à lui. Peut-être que ça a joué. Je supportais pas de devoir suivre ses conseils. Et tu m'as demandé sur qui je fantasmais à l'époque. Ben c'était Ginny. Mais c'était il y a deux ans de ça. J'ai eu d'autres fantasmes entretemps.

— Alors quoi ? Un élève ? Un prof ? Une star du Quidditch ? »

C'était probablement Viktor Krum. Tout le monde fantasmait sur Viktor Krum.

« Le tout.

— Ton esprit est terriblement porté sur la chose.

— Ce n'est pas le cas de tout le monde ?

— Pour tout dire, mon esprit à moi est extrêmement monogame.

— Oh, alors qui est l'heureux/se élu-e de tes fantasmes ? »

Drago dut y réfléchir.

« Une espèce de truc flou, mal défini, décida-t-il. Qui suce bien. »

Potter rit. C'était plutôt drôle. Et tristement vrai. Drago craignait de ne manquer d'imagination – en ce qui concernait les aspects visuels, en tout cas. Cela dit, il aimait bien son être flou et indéfini. Lui donner un visage le rendrait réel. Et le réel avait tendance à conduire à des déceptions spectaculaires.

« Tu devrais leur dire, déclara-t-il.

— A propos de ton truc flou qui suce bien ?

— Franchement. De quoi tu as peur, au juste ? Est-ce que Granger et Weasley n'étaient pas décidés à mourir pour toi ? Tu arrêtes pas de le répéter dans toutes tes interviews. »

Et merde.

« Tu lis mes interviews ? »

Bien sûr. Bien sûr, il fallait que Potter se concentre là-dessus.

« Souvent. A voix haute et en public, de ma voix la plus dramatique et en faisant des grands gestes pour bien appuyer où il faut. C'est le clou de la soirée, tous les samedis dans la salle commune de Serpentard. »

Le rire de Potter n'était pas bruyant, mais il était si puissant que ses épaules en tressautaient. Une drôle de chaleur emplit la poitrine de Drago. Potter le trouvait drôle.

« Je sais, finit par dire Potter quand il se calma. Et je sais exactement comment ils réagiront. Hermione sera super encourageante et me dira que c'est ok, et insinuera sans doute qu'elle le savait depuis toujours, même si ce n'est pas le cas. Et Ron me donnera une tape dans le dos et sera très, très embarrassé. Et puis il essayera de me caser avec Charlie. Il arrête pas de dire que Charlie est gay. Tout le monde dit ça, en fait. »

Charlie était probablement l'un des frères Weasley. Il y en avait tellement.

« Charlie, c'est celui qui a des cicatrices partout ? Ou celui à qui il manque une oreille ? Ou celui avec les lunettes ?

— Heu, non. C'est le musclé. Celui avec les dragons.

— Ah. »

Le musclé. Avec les dragons.

« Mieux vaut ne rien dire, alors. Tu ne veux pas te retrouver dans une histoire avec des dragons. C'est pas très gentil comme bestiole.

— Je leur dirai, un jour, dit Potter, parce que bien sûr il n'avait pas peur des dragons. C'est juste… Ces temps-ci, on s'assoit ensemble dans la salle commune et Ron et Hermione parlent de ce qu'ils feront après l'école, de où est-ce qu'ils vivront. Les conversations les plus normales qu'on puisse imaginer. Ils sont en train de réfléchir à leurs vies, et pour la première fois depuis des années ils n'ont pas à s'inquiéter pour moi. Je crois que c'est juste pas le bon moment pour parler de ça.

— Je vois. Tu te sens coupable parce que toi et tes problèmes avez été le sujet principal de conversation toutes ces années, et tu as décidé de ne pas ennuyer tes amis avec ça une nouvelle fois. Mais en même temps, ça te manque vraiment, du coup tu as décidé que tu viendrais me pleurnicher dessus à la place. »

Le pied de Potter tressaillit, comme s'il avait voulu donner un coup à Drago mais qu'il se retenait.

« T'es vraiment un trou du cul, tu sais ça ? »

Drago ne put se retenir de rire.

« Ça devrait te plaire alors. »

Potter lui jeta un regard mauvais mais laissa vite tomber.

« C'est toi qui as lancé cette conversation. Je m'occupais de mes affaires, je ne te dérangeais pas. »

Ce n'était pas vrai. Potter le dérangeait. Avec ses cheveux et ses lèvres et son visage ensoleillé.

« C'était une question innocente, dit Drago. Pas une invitation à me livrer tous tes petits problèmes. Je voulais juste savoir si je pouvais commencer à vendre mes badges « Je soutiens Potty la Pédale » ou pas. Il ne manque que mon feu vert pour les produire en masse. »

Potter avait l'air de ne pas savoir s'il devait rire ou lui envoyer un maléfice.

« Tu blagues. Hein ?

— Absolument pas. C'est les mêmes badges qu'avant. Sauf qu'au lieu de dire « Potter pue » quand on appuie dessus, maintenant ils disent « Potter est un enculé ». Malin, hein ? »

Les protestations indignées auxquelles Drago s'attendaient n'eurent pas lieu. Potter ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais soudain, inexplicablement, il rougit. Il baissa les yeux vers ses devoirs et secoua la tête.

« Tu blagues », dit-il sans regarder Drago.

Son visage resta rouge vif pour au moins une demi-heure supplémentaire.

Drago trouvait ça dur de se concentrer sur son essai. Sa planche-bureau n'arrêtait pas de tressaillir. Potter était juste assis là, la tête sûrement pleine d'idées qui… Bref. Ça empêchait vraiment de rester concentré.

Cette nuit-là, Drago repensa beaucoup à leur conversation. Il décida qu'elle avait été inepte et ridicule, que ses répliques manquaient de mordant et n'étaient pas assez drôles, mais il ne pouvait s'empêcher d'en rejouer des morceaux dans sa tête avec une certaine satisfaction.

Drago était de fort bonne humeur en ce samedi matin. Il s'était levé plus tôt que d'habitude et était descendu au terrain, espérant y croiser Potter pour son vol matinal. Ses doigts faisaient mumuse avec un badge dans sa poche. Il l'avait enchanté la veille et comptait l'offrir à Potter comme preuve qu'il n'avait pas menti. Soit Potter serait horrifié, soit il serait mort de rire. Les deux possibilités étaient aussi prometteuses l'une que l'autre.

Effectivement, Potter était déjà là à faire le tour du terrain sur son Eclair de Feu. Il n'était pas seul, par contre. Le temps était chaud et le ciel était dégagé, et pas mal d'autres joueurs étaient là, à se faire des passes de Quidditch. Des élèves les encourageaient depuis les gradins.

Drago faillit faire demi-tour et partir, mais Potter le repéra et tourna son balai droit sur lui. Il atteignit Drago en quelques secondes et se mit à flotter à moins d'un mètre de lui, en souriant comme s'il était bourré.

« J'espère que c'est un Vifdor que tu as dans la main, Malefoy », dit-il en guise de bonjour.

Son visage était rouge et en sueur. Il devait avoir passé une bonne heure à faire des loopings et des figures compliquées pour se la péter.

« Lâche-le si tu l'oses et on verra qui de nous deux l'attrapera. »

Les doigts de Drago se resserrèrent autour du badge ; il aurait voulu que ce soit un Vifdor. Il ne s'était pas attendu à la proposition de Potter. Ils n'avaient pas l'habitude de passer du temps ensemble en dehors de leur alcôve.

« Ce n'est pas un Vif, désolé. »

Potter regarda autour de lui.

« Peut-être qu'on peut en piquer un à quelqu'un.

— Je n'ai même pas mon balai avec moi, Potter.

— Ce qui est bizarre, si tu veux mon avis. »

Potter sauta de son balai et il se rapprocha. Une vague d'air chaud semblait l'entourer et vouloir venir s'enrouler autour du corps de Drago.

« Je voulais juste…

— Avoir un petit tête-à-tête avec moi ? »

Potter eut un sourire entendu. Il se rapprocha encore et baissa la voix :

« Admets-le. »

Son haleine chaude chatouilla la joue de Drago.
La poitrine de Drago lui faisait mal. Son cœur avait perdu son rythme régulier et battait maintenant trop lentement mais erratiquement.

« Harry ! » gueula quelqu'un.

Ça aurait pu être la voix de Weasley.

« On va prendre le petit-déj ! Tu viens ? »

Potter se retourna et plissa les yeux dans la direction de Weasley. Drago prit une inspiration rapide.

« Oui, oui, bien sûr. J'arrive ! » cria Potter.

Et puis il se retourna vers Drago et pencha la tête de côté.

« A moins que tu aies changé d'avis. »

Potter était si près, si chaud. On aurait dit que ses yeux reflétaient le soleil.

Mais il y avait un truc qui n'allait pas. Un truc avec ce moment, avec le monde autour d'eux, avec Potter. La façon dont il regardait Drago, son sourire, son visage rougi. Ses cheveux. Ses putain de cheveux ridicules que le vent avait encore plus emmêlés que d'habitude et qui lui mangeaient littéralement la moitié du visage. Potter ressortait trop, il était trop vif dans un monde terne.

Drago secoua la tête pour s'éclaircir les idées.

« Très bien alors, fit Potter avec un soupir exagéré. Tu sais pas ce que tu perds. »

Il se retourna.

« Attends ! » le rappela Drago sans savoir pourquoi.

Quelque chose d'important s'était passé et Drago n'arrivait pas à savoir quoi. Potter avait brisé cet instant trop tôt ; il ne pouvait pas juste partir comme ça.

« Quoi ? »

Potter essaya de repousser quelques mèches de son visage. En vain. La longue, là, la plus énervante, s'accrochait toujours à sa joue. Drago ne pouvait plus le supporter. Il ne pouvait juste plus le supporter.

Il sortit sa baguette.

Potter cligna des yeux :

« Heu, tu comptes me jeter un maléfice ? »

Il semblait déconcerté mais il souriait toujours.

« Non, dit Drago. C'est un truc important. Fais-moi confiance. Ne bouge pas. »

Potter obéit.

Un petit sortilège d'évaporation, et cette fichue mèche disparaîtrait pour toujours. Il pourrait en raccourcir quelques autres aussi. Potter devrait lui être reconnaissant. Drago se concentra sur sa joue. La peau en était rose et la rougeur de Potter s'étendait vers le bas, jusqu'à son col, disparaissant sous sa chemise, et qui sait jusqu'où elle allait.

« Evanesco », chuchota Drago.

Un éclair brillant sortit de sa baguette, mais la mèche était toujours là. Drago n'arrivait pas à y croire.

Les cheveux de Potter n'avaient pas bougé ; ses vêtements, par contre, avaient disparu.

Quelqu'un cria au loin. Des petits hoquets choqués, des cris, des rires et des sifflements retentirent tout autour d'eux. Les yeux de Potter étaient si grands. Il se tenait nu au milieu du terrain de Quidditch, la baguette de Drago pointée sur lui.

Le brouhaha se fit plus fort et les gens commençaient à courir vers eux, mais Potter se tenait juste là, nu, à fixer Drago. Il avait l'air tellement, tellement choqué.
Drago ouvrit la bouche :

« J'ai pas… »

Qu'est-ce qu'il pouvait bien dire ? Il n'avait pas d'explication, pas d'excuse. Il ne savait pas ce qui l'avait pris de lever sa baguette comme ça pour faire disparaître les cheveux de Potter. Pourquoi avait-il fait ça maintenant ? Pourquoi maintenant ? Où étaient les Retourneurs de Temps quand vous en aviez besoin ?

Drago fit un pas en arrière et puis fit la chose la plus raisonnable à laquelle il pouvait penser : il fit demi-tour et s'enfuit à toutes jambes.

Ce n'est que plus tard, en sécurité dans le château, qu'il réalisa qu'il avait fait tomber le badge et l'avait perdu.