100 | Dans une famille normale
Les délégués descendent des trois bateaux avec discipline et dans un silence qui dit que la forteresse les impressionne, quelle que soit leur nationalité. Les Coréens ont des robes plus longues que les Britanniques - celles des femmes sont extrêmement longues et auraient sans doute des problèmes dans les galets sans les petites créatures mi-oiseau mi-chat qui portent leur traîne. Je les trouve décidément très mignonnes et je me dis que mes nièces adoreraient avoir ça pour Noël et que je devrais demander s'il est facile de s'en occuper.
Bien sûr, ce n'est pas tellement le moment. Finnigan nous fait former une arrière-garde en arc de cercle, alternant un tireur et un Auror. Seamus et Dikkie Forrest sont aux extrémités ; Sam et Zoya au milieu de l'arc ; Libbie et moi, entre. Toute la petite troupe s'arrête sur les marches d'Azkaban où nous attend un homme grand et maigre que je reconnais comme Lloyd Farran, le directeur d'Azkaban. À sa droite, le médecin reconnaissable à sa robe de Sainte-Mangouste ; à sa gauche, Marilou Lufkins, la directrice du Département d'application des lois magiques, le Brigadier Pickettham et le lieutenant Dawn Paulsen sans le lieutenant Foote. Nos collègues policiers forment une haie derrière eux. Je pense qu'ils sont douze comme nous. Quelqu'un a dû bien s'amuser à prévoir ça.
"Nous sommes heureux de vous accueillir sur cette île et dans notre prison", commence Farran. Fils de juge et ancien avocat, il a été l'homme de la réforme choisi par Shacklebolt. Autant dire qu'il est politiquement proche de ma mère, même s'il ne fait pas parti des amis de la Fondation ou des gens invités à des soirées privées. "La réforme d'Azkaban pour en faire une prison humaine est une entreprise à laquelle je suis fier de participer et toujours heureux de faire mieux connaître."
Je n'entends pas ce que lui répondent mon grand-père et le chef de la délégation coréenne, mais il y a des sourires et des rires. La diplomatie est en marche.
Pendant le discours, Proudfoote s'est approché de Seamus avec le major Groves pour la Brigade, qui prend visiblement les choses au sérieux. Dès qu'ils repartent, notre chef nous rassemble pour expliquer la suite des événements : "La police veut garantir la sécurité intérieure - la garde d'Azkaban est une de leur mission. Seule mon équipe entre ; ça vous fait une pause", il rajoute pour les autres qui n'ont pas l'air fondamentalement désolés de cette éviction.
"Vous en avez pour longtemps ?", veut juste savoir Astrix Broadmoor.
"Merlin, j'aimerais le savoir. Je sais juste qu'on doit avoir ramené nos amis Coréens pour qu'ils aient le temps de se préparer pour le Gala qui commence à vingt heures. Et la surveillance du Gala, c'est essentiellement nous - Aurors et Tireurs. Donc que ceux qui le peuvent se reposent dans les bateaux à tour de rôle. Faites des rondes quand même, qu'on ne nous reproche pas d'avoir pris les choses à la légère. Forrest, je te laisse la direction de tout ça", il rajoute en prenant la peine d'un contact visuel avec chacun des six tireurs avant de nous faire signe de le suivre.
On rejoint au pas de course la délégation qui a pénétré dans la grande salle d'Azkaban et qui semble toute entière s'étonner qu'on ne leur demande pas leur baguette. Les Britanniques non membres du Département d'application des lois magiques n'ont pas l'air moins surpris que les Coréens ; comme quoi, la visite est peut-être utile. Deux gardiens ferment, derrière nous, les deux portes dont la taille et la solidité de cèdent en rien à celles de Poudlard. Elles manquent juste cruellement de décoration et elles résonnent assez lugubrement quand elles se referment - je ne peux m'empêcher de le penser.
"La magie n'est possible à Azkaban que pour ceux qui portent un talisman qui les protège des barrières circulaires d'or qui ont été installées pour empêcher toute magie. Le procédé est ancien mais peu connu jusqu'à ce que notre Département des Mystères nous propose une adaptation fonctionnelle. D'autres en Europe l'ont depuis adopté et nous sommes toujours ravis de former de nouveaux services à son maniement", raconte Farran quand on les rejoint. "La Barrière empêche toute magie - baguette ou non, verbale ou non, c'est une expérience instructive, pour des sorciers qui se sont crus au dessus des lois, de se découvrir sans aucun autre pouvoir. Nous avons d'ailleurs des sessions de "bain de magie" pour les éléments qui se conduisent bien ; nous croyons plus à la rééducation positive qu'à la punition", développe Lloyd Farran alors que nous nous enfonçons dans les couloirs les plus proches, réservés symboliquement aux peines les plus courtes.
C'est un secteur masculin, et la plupart des prisonniers se pressent contre les grilles pour capter ce rayon de vie extérieure. Je ne peux m'empêcher de frissonner à l'idée de ce que ça peut vouloir dire d'être derrière ces grilles - et nous ne sommes pas dans le secteur d'isolement qu'a connu Sirius Black. Dans les arguments de mon parrain et grand frère contre mon engagement chez les Aurors, il y avait le risque d'injustice qui s'expliquait par sa propre histoire, mais aussi la responsabilité d'envoyer "un être humain dans un lieu spécifiquement organisé pour détruire toute humanité. Tu veux prendre cette responsabilité, la môme ?" Est-ce que ce genre de discussions ont lieu dans les familles normales, je me demande pour la première fois depuis longtemps. Ce qui change, c'est que je suis presque contente qu'il m'ait posé la question surtout alors que je ne savais pas y répondre, je réalise.
"Il fait une température tout à fait acceptable", commente Seamus pour moi. "Avant la réforme, il n'y avait aucun chauffage, nulle part. Vue l'humidité des lieux, c'était juste une glacière même en plein été. Les prisonniers étaient tout le temps malades."
"Je ne crois pas que ce soit la température qui gêne Iris, Seamus", estime Zoya très bas. "Le lieu n'est pas tellement sympathique malgré tous les efforts entrepris. J'y pense souvent quand j'entends un verdict. Je me dis que je sais où ils vont aller et, quoi qu'ils aient fait, j'en frissonne à chaque fois. Tiens, lui, là-bas, je l'ai arrêté l'année dernière", elle chuchote.
Je me force à regarder le type qui nous dévisage. Pas de doute, il a lui aussi reconnu Zoya. Il a empoigné les barreaux et les serre comme s'il espérait les faire fondre ou comme il aimerait enserrer le cou de ma collègue, je me dis.
"Il doit sortir quand ?", je souffle.
"Dans pas longtemps, le mois prochain, si je me souviens bien."
Je décide de ne pas commenter, alors qu'on entre dans des ateliers où les prisonniers peuvent apprendre des savoir-faire manuels et donc moldus. Un des gardiens détourne les yeux à notre entrée. C'est Sullivan Seysill. Peut-être que ce n'est pas pour moi mais pour ses anciens collègues, je me prends à souhaiter. Je n'arrive pas à m'intéresser au discours de Lloyd Farran qui explique l'importance du travail manuel. Mes yeux courent dans la salle, cherchant je crois le visage d'un homme que j'ai pu contribuer à envoyer ici. Ils croisent les yeux de Dawn Paulsen qui penche la tête de côté et a l'air de se demander si je vais bien. Je décide de me planquer derrière Zoya.
La suite de la visite nous emmène dans les entrailles d'Azkaban, là où se déroulent les peines plus lourdes. Il n'y a que peu de lumière naturelle et l'humidité est encore plus marquée. Je n'arrive pas à imaginer ce que ça voudrait dire un endroit pareil sans chauffage. Les combats de ma mère me paraissent plus que justifiés. Est-ce que dans une famille normale, on saurait ignorer ça, trouver ça mérité ?
"Les Ju-Jis", se lamente tout d'une coup une des dignitaires coréennes. "Ils ne vont pas bien du tout !"
De fait, les petites créatures volent toutes avec moins d'entrain que précédemment et les longues traînes touchent le sol. Au moins, j'ai appris leur nom, je me dis alors qu'on fait un cercle autour de la femme qui s'est plainte et qui berce son Ju-Ji comme un bébé dans les plis de sa traîne. Dawn Paulsen, mon grand-père et la médecin sont appelés pour donner leur avis.
"C'est curieux que les Ju-Jis peinent comme ça - après tout, les cercles d'or, c'est une magie sirénéenne", je commente sans doute étourdiment à l'oreille de Zoya.
"De la magie quoi ?", répond celle-ci plus fort.
"Les Sirénéens, un peuple marin, enfin amphibie : ils peuvent voler comme vivre sous l'eau et ils défendent leurs cités avec des cercles d'or", je me sens obligée d'expliquer.
"J'aurais dû parier qu'une Lupin allait savoir la provenance du procédé", commente sereinement Seamus. "Ils vivent à Venise notamment, non ? Je me rappelle que des briseurs de sorts italiens avaient été consultés. Harry y est pour quelque chose ?"
"Ce sont des créatures ?", veut savoir Zoya.
"Ce sont des créatures qui ont développé cette magie ?", enquête alors un dignitaire coréen derrière nous, pointant sa tête entre nos épaules.
On a sans doute parlé trop fort et on a de fait créé une nette diversion par rapport à la santé des Ju-Jis, je peux vous le promettre. Je croise les yeux pétillants de mon grand-père qui semble gryffondoresquement espérer que je ne me cache pas derrière mes chefs.
"Juridiquement, en Italie, c'est un peuple", je réponds donc en évitant soigneusement de regarder ce qu'en pense Dawn Paulsen. Je le saurais sans doute assez tôt.
"Mais les Gobelins ou les lycanthropes sont des peuples en Italie !", s'agace la même petite femme mince de la coopération magique qui trouvait la Division mal organisée.
"Les lycanthropes sont des sorciers, Gwyneira", commente alors gravement mon grand-père. "Ils le sont ici, dans quasiment toute l'Europe et d'abord en Italie"
"Ils s'enferment eux-même dans une Réserve."
"Je crois que vous devriez y aller, Gwyneira. Je vous préviendrais lors de notre prochaine visite diplomatique. Vous seriez édifiée sur l'enfermement. Monsieur Farran ne se vexera pas, je pense, si je dis que sa prison est quand même nettement plus fermée que Il Paradiso", reprend mon grand-père. "Quant aux Sirénéens, nous n'en avons jamais eu de colonie en Grande-Bretagne, c'est un fait historique, mais leur rôle financier fait que vous les trouverez cités à côté des Gobelins parmi les peuples mineurs depuis le Moyen-Age. Enfin, si le procédé de base est utilisé dans les colonies sirénéennes, comme l'expliquait l'Auror Lupin, il est connu sous une forme ou une autre sur tous les continents : en Inde, en zone maya... Et nous l'utilisons ici de manière spécifique. Je ne suis pas un spécialiste, mais je pense même qu'il serait possible de prévoir des talismans pour vos Ju-Jis si ça s'avérait une nécessité."
"Nous sommes dans la zone où le champ est le plus fort en raison de la dangerosité des détenus", renchérit Farran.
"Les talismans peuvent être ajustés, j'en suis certaine", intervient alors Lufkins. "On devrait d'ailleurs les régler pour qu'il limite cette sensation d'humidité ; elle doit être épuisante pour votre personnel, monsieur Farran."
"Peut-être devrions nous abréger notre visite dans cette zone", concourt mon grand-père, immédiatement soutenu par la plupart des délégués des deux groupes. Farran annonce qu'une collation est prévue, et tout le monde le suit sans qu'on entre vraiment dans la zone de haute sécurité. Je réalise seulement maintenant que j'y aurais peut-être vu Douglas Kelvin.
"18 heures trente", commente Seamus avec flegme en nous entraînant à leur suite. "Au moins on sera sans doute à l'heure."
oo
On bénéficie d'une très courte pause, à peine une heure, le temps que les délégués coréens se changent. L'équipe de Forrest se charge de leur acheminement et de leur sécurité et, nous, on les attend dans la salle de repos des Aurors au Ministère. Autant dire que je n'aurais passé la journée avec Sam que sur le papier, je me dis en me forçant à fermer les yeux une grosse demi-heure.
Lorsqu'on rejoint la Salle de Gala du Ministère, je suis chargée de la surveillance de la deuxième entrée - la moins fréquentée : aucune chance que les Coréennes en belle robe passent par là et que je m'enquiers de l'entretien des Ju-Jis. Je suis en binôme avec le tireur Herbert Keggs. Il était temps que je lui demande son prénom.
"J'ai intrigué pour être avec toi", il m'apprend. "En tout bien tout honneur", il rajoute. "Broadmoor pense que tu l'as entendu..."
"Que je l'ai entendu ?", je répète, pour gagner du temps. Ça ne m'apporte rien.
"Tu vas le dénoncer ?"
"Je ne vois pas réellement ce que ça m'apporterait", je lui réponds en cessant de faire celle qui n'a pas compris. "Si je devais dénoncer tous ceux qui ont peur des garous, je ferais mieux de changer de métier... Si je le faisais, ce serait juste pour qu'il sache qu'il n'est pas intouchable... Peut-être que ça me prendra un jour."
"Je lui dirai", il se marre doucement.
"Il t'a demandé de me sonder ?"
"Non pas lui, son copain, Shimpling. Broadmoor et moi, on s'évite autant que possible. Mais je lui dirai, t'inquiète. Rien que pour voir sa tête et... quelqu'un vient", il s'interrompt en se retournant vers la salle. "Commandant", il la reconnaît avant moi.
Il est presque au garde à vous et moi, j'hésite aussi, mais ma mère n'a pas sa tête de Commandant.
"Bonsoir Herbert", elle lui sourit. Grand uniforme et métamorphose capillaire, le grand jeu, je note. "Si tu as envie d'aller boire un café, ce serait un bon moment."
"Bien sûr, Commandant", il répond en me jetant un regard nerveux. "Je... tiens, à toute fin utile, à témoigner de tout le professionnalisme et l'amabilité de l'Auror Lupin."
"À la différence d'une jeune Auror connue pour son étourderie et ses commentaires facilement désobligeants ?"
"Je ne me souviens pas de cela, Nymphadora", il sourit.
"C'est gentil, Herbert", elle commente, souriante elle aussi. "Tu peux la laisser sans scrupules, je lui tiens compagnie."
"Je t'appelle", je propose à mon collègue.
"Très bien", il accepte avec un grand sourire.
"Toujours accommodant", je commente tout en réalisant qu'ils ont sans doute le même âge et des carrières parallèles.
"Un excellent combattant", elle rajoute. Elle a un bref soupir avant de me confier : "Son père était un lycanthrope."
"Keggs ?"
"Oui. Mordu tard, après ses études, dans des conditions que j'ignore. Il a essayé de cacher son état avec l'aide de sa femme mais... il a été abattu par ses voisins dont un qui était tireur... Herbert n'était qu'un bébé. Il est là pour être du bon côté de la baguette - il me l'a dit lui-même une fois."
"Merlin", je compatis. "Il a dit qu'il avait manœuvré pour être avec moi mais... d'accord... Je suis contente de le savoir..."
"Il paraît que tu as travaillé à te faire un prénom dans des cercles élargis aujourd'hui", elle me glisse ensuite sur un ton enjoué. "C'est bien", elle rajoute tellement rapidement que j'ai presque envie de rire de moi, de nous. "Il est sans doute temps."
"Je peux me satisfaire de l'ombre encore pas mal de temps", je promets.
"Je crois que ce sera difficile", elle commente en regardant le plafond. "Difficile et peu souhaitable. J'ai donné mon accord à la requête de Carley de négocier la réduction de la durée du blocage de votre avancement, à Caradoc et toi. Pas demain mais sans doute après l'été ; nous accueillerons une nouvelle fournée d'aspirants, ce sera un bon moment pour faire quelques promotions parmi la bleusaille."
Les mots me manquent clairement, et elle prend sur elle de me prendre la main.
"Soit certaine que tu auras largement méritée cette promotion et que nul n'en doutera, Iris. Sache aussi que ta connaissance des statuts des peuples et créatures à l'échelle européenne a fortement impressionné la délégation coréenne", elle rajoute avec un demi-sourire. "Lufkins a adoré, et cette chère Gwyneira Snow te trouve prétentieuse. Je dirais que tout va bien", elle conclut avec un large sourire.
"Tu as l'air d'avoir les meilleurs rapports du monde avec madame Snow", je relève.
"Gwyneira est trop maligne pour se heurter frontalement à moi alors que Albus est à la tête du Département qui l'emploie ou que Marilou ou Kingsley ont de bonnes chances de me défendre... Oui, Carley ?", elle demande en sortant son miroir de sa poche. "Non, je ne me suis pas enfuie, quelle idée ! Je fais une très sérieuse inspection du dispositif de Finnigan - puisqu'on a été assez gentils, toi et moi, pour laisser Russel s'amuser à courir derrière un assassin plutôt que de faire le chef des équipes... Oui, avec Iris", elle admet en souriant, alors que moi, je suis contente de savoir les raisons de l'absence de Foote. "Le Ministre ? Je reviens immédiatement", elle promet plus sérieusement. "Je crois que le devoir nous appelle, toi et moi", elle soupire en laissant son miroir retomber dans sa poche.
"Surtout toi, Commandant. Moi, j'espère sincèrement que tu auras été mon grand événement de la soirée", je m'autorise.
"Je te le souhaite", elle renchérit. "Je sais que votre journée aura été longue mais je crois que ton grand-père serait... perturbé si vous quittiez le Ministère sans qu'il ait été présenté à Samuel... "
"Oh", je commente brillamment.
"Je dirai à vos chefs respectifs de ne pas vous renvoyer trop vite chez vous."
"Merci, Commandant", je réponds sur un ton faussement plaintif.
"De rien, Auror Lupin. Vigilance constante, des poussières pourraient t'échapper", elle lance avec un clin d'œil avant de repartir vers la salle du Gala.
ooo
"Dans une famille normale, on présente son fiancé à son grand-père avant ses fiançailles", attaque mon grand père en guise de préliminaires. Ma mère a efficacement entraîné à sa suite les chefs, ministres et délégués qui s'attardaient encore. Grand-père a trouvé trois fauteuils profonds et confortables et des restes des buffets.
"Dans une famille normale, les grands-pères restent près des cheminées, c'est facile de les trouver pour le faire", je rétorque avec un grand sourire. Sam est assez tendu comme ça, manquerait plus que je la joue protocolaire.
"Je suis content de voir que tu n'as pas perdu toute ta verve malgré cette longue journée, Iris", sourit Grand-Père en me tendant une part de gâteau que j'accepte avec gratitude.
"Vous leur avez vendu cette barrière dorée, alors ?", je questionne.
"Le fait que la magie ne soit pas purement humaine rassure beaucoup les Coréens - plus naturel selon eux. On a toujours à apprendre sur les milliers de façons de voir le monde. Marilou Lufkins disait à ta mère de te féliciter d'avoir précisé le point", raconte mon grand-père avec une satisfaction amusée.
"On me prête plus de préméditation que je ne le mérite dans cette histoire", je confesse. "Mais je suis contente de ne pas avoir provoqué de crise diplomatique. J'ai expliqué les origines sirénéennes de la barrière et - tu sais qui sont les Sirénéens, Sam ? Faut qu'on aille à Venise", je précise pour mon fiancé
"La vie avec elle n'est pas de tout repos ?", s'enquiert mon grand-père.
"Pleine de complications intéressantes", formule Samuel après une courte inspiration.
"Très juste. Je suis sûr que ses frères sont contents que quelqu'un d'autre qu'eux s'en charge au quotidien.."
"Calomnie et exagération, Grand-père", je proteste mollement.
"C'est vrai", il admet avec un rire court. "Je ferais mieux de balayer devant ma porte. Ta mère, Iris, pense que vous deux apprécieriez que je vous fasse des excuses à propos de mes propres fréquentations..."
"Fletcher, Grand-père !", je fais mine de le gronder. Sam est le seul à exprimer avec une certaine nervosité que la conversation est inutile.
"Mondingus est un vieil ami, Iris. Un vrai ami et un vrai collectionneur. Il n'est pas toujours regardant sur les méthodes, je te l'accorde, et je promets que je ne viendrai pas à son aide cette fois. Il a négocié de toute façon, non ? Mais... son esprit est réellement ouvert à la complexité des choses magiques ; aux limitations d'une opposition de principe de la magie blanche et noire, renvoyées dos à dos... Je vous choque, jeune homme ?", il demande brusquement à Samuel, en plantant ses yeux bleus sur lui. Je dois ravaler fermement mon envie d'intervenir. J'ai toujours su qu'il y aurait un test.
"Qu'est-ce qui devrait me choquer, professeur ?", commence lentement Sam, avec une nervosité maîtrisée, planquée derrière une façade d'autant plus abrupte qu'elle est ostensiblement polie. "Que vous ayez des indicateurs dans des milieux que tout le monde ne fréquente pas ? Que vous ne pensiez pas la magie dite blanche comme la seule acceptable ? Vous cherchez à me provoquer ou à me vexer, professeur ?"
"Me voilà démasqué", sourit mon grand-père.
"Cyrus lui a parlé", je rajoute très bas, et les yeux de mon grand-père dise tout l'écho de cette révélation. "Harry aussi."
"Voilà une jolie nouvelle", il commente. "Je vois que la famille s'agrandit et que je ferais mieux peut-être de m'asseoir plus souvent auprès de ma cheminée pour en profiter."
oooo
Les deux jours suivants, mon équipe plie très rapidement l'enquête sur le vol de la paie d'une fabrique de produits ménagers sorciers. Le directeur racontant avoir été agressé par un groupe de jeunes Moldus, nos collègues policiers nous ont mobilisés au nom de la protection du secret. L'homme, juste plus jeune que mon père, se révèle rapidement entretenir une jeune amoureuse. Cette dernière admet assez facilement que leur idée était de partir ensemble avec ce pécule sous des cieux toujours bleus.
"Quand je suis retournée à Azkaban avant-hier", leur signale Zoya quand nous les arrêtons formellement, "je me suis dit que cette île souffrait vraiment d'une sale météo."
Au delà des louanges de Russell Foote pour nos résultats rapides, ce qui est chouette dans cette affaire, c'est de vérifier que Seamus et Zoya sont bien les collègues que j'espérais. Seamus est à la fois précis et décontracté ; Zoya a le sens de la formule et de l'écoute et, moi, je n'ai jamais été plus motivée par mon travail.
"Impressionnant", commente Sam quand il me voit me lever avant le réveil. "Je vais finir par monter un club des jaloux avec Giles !"
"Giles avait le choix", je lui rappelle en fonçant sous la douche.
Entre temps, ledit Giles a mené seul sa première audience sur l'affaire Joandra et s'est heurté à une trio de juges menés par Acacia Fawley - jamais une très bonne géométrie pour la Division. Fawley voulait clairement vite classer cette affaire "sordidement simple" : deux coupables reconnaissants les faits, pourquoi chercher plus loin ? Craignant sans doute de s'aliéner la présidente du jury, amie des Kelvin, en invoquant la jurisprudence de l'affaire, Aonghus Giles ne l'a fait qu'en dernier recours, obtenant de justesse l'inscription dans l'instruction de la question de l'éducation magique de Ashley Black, mais rien de plus. J'aurais beau jeu de dire que j'aurais fait différemment, mais je me rappelle de Acacia Fawley lors de la réunion plénière du Magenmagot et je ne sais pas si j'aurais eu ce courage. Reste qu'au moment où l'on partait hier soir, Dawn Paulsen est venue elle-même me demander si je ne pensais pas que je devrais aller soutenir Giles.
"Lieutenant, si Iris est seulement citée comme témoin, c'est la décision d'Aonghus. J'étais d'accord pour une collaboration avec lui", est intervenu Seamus sans me laisser répondre.
"Il a refusé ?", comprend Dawn en nous regardant tous les deux en alternance. J'imagine qu'on vient de confirmer la thèse de l'équipe fusionnelle ; j'espère qu'on rassure aussi sur la question de la hiérarchie.
"Iris pensait une autosaisine moins efficace qu'une interpellation des juges, et Aonghus a jugé qu'il pouvait faire ça tout seul", résume Seamus. "Je ne peux pas juger des arguments qu'il a utilisés."
"Seamus, tu accepterais de lui re-proposer de ne pas y aller seul ?", questionne Dawn entrant dans la dynamique proposée.
"Bien sûr, lieutenant."
La nouvelle ambassade de Finnigan n'est pas mieux reçue que la proposition initiale : Giles prévoit toujours de m'appeler comme témoin à charge mais ne veut pas que je m'assois à côté de lui ; c'est ce que Seamus me raconte quand il m'appelle après leur rencontre.
"Peut-être que Dawn va en faire un ordre", imagine néanmoins mon chef, et je me couche en m'y préparant mentalement.
Mais le lendemain, personne de la Division ne revient sur l'arrangement me laissant me demander si la décision de laisser Giles suivre son propre plan vient de plus haut que Dawn. Je m'interdis d'enquêter et je m'occupe de mes dossiers. Je reçois une convocation comme témoin pour l'après-midi suivant. Lors de mon audition, je fais néanmoins de mon mieux pour resituer l'enquête et les doutes qu'elle a soulevés selon nous dans mes réponses. Si Pénélope Deauclair estime sans doute que l'élargissement des questions vont dans l'intérêt de son client, l'avocat de Lenny Travers s'insurge estimant que "l'accusation a tout simplement caché un des enquêteurs parmi les témoins".
Les juges, à la suite d'Acacia Fawley, ne sont pas convaincus par nos explications tronquées : "Si la Division ne veut pas y consacrer plus de ressources, pourquoi demander sans cesse d'élargir les faits instruits ?", remarque un des assesseurs.
Ce qui change la donne dans l'affaire Travers finalement ce n'est pas le travail de Giles ou de la Division, c'est le réveil d'Aki Tanaka que j'apprends par un appel de mon frère jumeau surexcité. Je mobilise en retour Darnell qui obtient de la hiérarchie et de Sainte-Mangouste le droit d'interroger la mage japonaise deux jours plus tard. Il en ressort avec l'impression d'avoir déterré une bombe.
"Selon Frasier, le premier truc qu'elle à dit quand elle s'est réveillée, c'est : 'Douglas m'a tuée. Il faut l'arrêter.' C'est seulement après qu'elle a demandé des nouvelles de sa fille et de Pina. Ce n'est pas un témoignage que j'ai eu, c'est un réquisitoire", nous raconte Caradoc dans notre salon. Emma l'accompagne. "Le truc c'est que le procès est terminé. Je peux le transmettre au Comité mais... est-ce qu'ils en feront quelque chose ?"
"Il faut que tu en parles aux lieutenants", estime Sam, et Emma opine son assentiment.
"Je me demande... je sais que ce n'est pas la voie normale mais... imaginez qu'une presse bien intentionnée s'empare de son témoignage", insinue Caradoc presque gêné de ces pensées impies.
Il y a un assez long silence puis Samuel estime : "Il nous faudrait un aval."
Caradoc et lui me regardent sans ciller, et je soupire en tirant mon miroir : "Je suis sûre que, dans une famille normale, une fille appelle sa mère pour autre chose que monter une campagne médiatique secrète !"
Mon rôle s'arrête bien sûr à cette première médiation. Caradoc s'enferme un court moment le lendemain avec le Commandant et Carley Paulsen, et on entend plus parler de rien jusqu'à l'édition du week-end où s'étale longuement une interview de Aki Tanaka et un entretien plus court avec le docteur Frasier. Aki revient en détails sur sa relation avec Douglas Kelvin - une relation houleuse faite d'admiration mutuelle mais aussi de beaucoup de défiance. Elle confirme aussi qu'il a tenté de la tuer à cause de ce qu'elle avait découvert de ses autres crimes. Elle professe la plus profonde sympathie pour "ces femmes devenues sorcières sans l'avoir une seconde demandé" et annonce qu'elle sera heureuse de "se mettre au service de leur apprentissage de la magie dès qu'elle en aura la force". Pour elle, les actes de Kelvin ont profondément déséquilibré la magie, et seuls des actes "forts et positifs en faveur de ses victimes peuvent rétablir l'harmonie".
Aki est une sorcière de naissance, une mage, et ses origines étrangères, mises en avant par l'avocat du Docteur Kelvin, ne suffisent pas à endiguer l'émotion populaire. Des rassemblements spontanés devant le Ministère et Sainte-Mangouste occupent la police magique tout le week-end. Même Tristam Pieternel estime dans son édito du lundi que "aucune tradition ne saurait justifier autant d'abus et de manipulations incertaines de la magie". À la Fondation, les victimes reçoivent des lettres spontanées de soutien, des cadeaux, des invitations, voire des demandes en mariage. Un mouvement de sympathie sans précédent. La mère et la soeur de Sam ainsi que les parents de ma copine Ma-Li - toujours de bons baromètres de l'opinion générale - y participent.
Je vois tout ça de loin parce qu'on assure, Zoya et moi sous les ordres de Finnigan, la sécurité d'une présentation de dragons organisée à Avalon. La presse, encouragée par quelques appels par miroir sans doute assez haut placés, fait le parallèle entre les manipulations de Kelvin et les ambitions obscures de Joandra Travers pour son fils. On entend quotidiennement les visiteurs de la foire commenter les idées véhiculées par les journalistes, menés par Laly : la justice devrait être moins complaisante avec ceux qui ne respectent pas les règles de magie blanche ; quelqu'un comme Joandra Travers ne devrait pas utiliser sans contrôle des objets magiques aussi puissants que les jetons ou une source primale ; son fils est une victime, et les Aurors ne sont pas assez écoutés par les juges. Certains vont même jusqu'à nous demander notre avis et nous essayons de rester neutres.
La jeune journaliste Shirley Whisppers essaie de m'appeler au moins vingt fois mais je reste prudemment silencieuse.
Marilou Luftkins, la directrice de notre département, et le Ministre sont évidemment interpellés sur le sujet. Si ces deux derniers réaffirment publiquement leur confiance dans les juges du Magenmagot, ceux-ci admettent lors de l'audience du jeudi qu'il y a certainement plus à comprendre dans cette triste histoire que la jalousie d'un neveu et la colère d'un fils maintenu à distance. Ashley est mis sous la protection du Magenmagot et placé avec les victimes de Kelvin à la Fondation dans l'attente du jugement, sans qu'aucun grincheux n'y trouve à redire. Les experts du Département des Mystères sont priés de donner leur avis sur les pratiques de Joandra Travers avec la source familiale sans qu'aucun des tenants de la tradition n'ose ouvertement protester. Un genre de miracle.
"Giles te devra une fière chandelle", estime Zoya en repliant la Gazette.
"Moi ?"
"Toute la Division sait que tu as mis Darnell sur le réveil de la mage japonaise, et si c'est Laly qui lance le mouvement, on peut supposer que ta mère y est pour quelque chose", elle développe avec sérénité.
"C'est toi qui as soufflé à Giles qu'il fallait invoquer l'affaire Kelvin", rajoute Seamus avec un air entendu. "Ça aussi, ça se sait."
"On espère que tu auras autant de chouettes intuitions pour notre prochain procès", commente Zoya. "Ils attendent quoi pour te filer un Rang Quatre ? Ta mère a vraiment peur que quiconque parle de favoritisme ?"
"Que le Magenmagot accepte de lever le gel de mon avancement", je leur rappelle sans fausse modestie, et ça les fait soupirer d'un même élan qui me fait sourire.
Le débat public qui domine ne porte néanmoins pas - et heureusement - sur ma promotion. En attendant le verdict repoussé à dans un mois, les tribunes et les enquêtes de presse portent de façon marquée sur les "passe-droits" que certaines familles imaginent toujours avoir dans notre société près de trente ans après la fin de la guerre.
"Un débat rafraîchissant", ose le Commandant Lupin interrogée par la Gazette.
Dans ce contexte, le procès des jeunes agresseurs des retraités isolés qui s'est tenu en parallèle a moins ému qu'il n'aurait pu. Comme anticipé la stratégie des deux avocats amenant leurs clients à plaider coupables réduit la pression médiatique - il restait "l'horreur des faits" comme l'écrivit Pieternel, mais pas beaucoup de suspens pour retenir l'attention des commentateurs et du grand public. Ceux qui insinuaient à propos d'une certaine inefficacité éducative de la Fondation voient leurs arguments en partie sapés par un certain Harry Potter-Lupin, largement repris par les journalistes, établissant "sans l'ombre d'un doute" qu'on ne peut prétendre à l'utilisation de magies étrangères. Les juges retiennent sa thèse "d'une mise en scène exotique visant à faire tomber de jeunes complices sans doute crédules en lieu et place des coupables".
"J'imagine que ton père et ta mère sont soulagés, chacun pour ses propres raisons", commente Seamus quand ces informations viennent à nous, et je ne peux que lui donner raison.
La "foire aux dragons" comme l'appelle Zoya continue jusqu'au week-end attirant des sorciers de toute l'Europe. Je ne rentre donc que tard le samedi, Sam a préparé un dîner en amoureux.
"J'ai vérifié avec Foote, on peut prendre quinze jours de vacances ensemble - et il préférerait qu'on le fasse avant que Poudlard ferme et que tout le monde veuille s'occuper de ses mômes", il m'apprend avant le dessert. "Bref, le plus tôt est le mieux."
"Quinze jours ?", je relève. Ça me paraît un peu extravagant mais infiniment tentant en même temps.
"Tu ne peux pas prendre plus", commente Sam. "Peut-être que ce n'est pas assez pour un endroit comme le Brésil ?"
"Le Brésil", je répète.
"Je m'étais fait à l'idée de mettre mes pieds sur un autre continent", il me révèle.
"Le Brésil alors", je souris.
"C'est une chouette destination pour un voyage de noces", il propose l'air de rien.
"Je ne suis pas une experte en voyages de noces, mais ne faudrait-il pas se marier avant ?", je badine alors que mon cœur bat à tout rompre.
"Je crains qu'on n'ait pas le temps ; on ne peut pas trop faire ce coup-là à nos familles, je crois... La mienne attend une grosse fête", il soupire.
Je ne lui rappelle pas qu'il fut un temps où il avait peur que sa famille soit tétanisée par la célébrité de la mienne et refuse même de me rencontrer. Mon esprit s'est mis à vagabonder sur des chemins assez étonnants.
"On pourrait se marier là-bas, tous les deux... Juste toi, moi, des témoins et... on ferait la fête familiale et compliquée en revenant..."
Il y a des étoiles dans ses yeux.
"Kane ?", il questionne avec l'air convaincu de ma réponse.
Je réfléchis et je finis par secouer la tête : "Si je dois me marier au Brésil, ça doit être Cristo. Les autres comprendront... Et toi ?"
"Je ne sais pas... Je suis un solitaire ; j'étais un solitaire serait plus juste, mais... je n'ai pas d'amis ou de famille comme toi", il murmure. "Si je demande à, je ne sais pas moi, Darnell, ça fera des histoires dans la Division... Dans une famille normale, on choisit un frère ou une sœur... - mais ma sœur ne trouvera rien de romantique à nos vœux précipités sur une plage à l'autre bout de la terre", il termine avec l'air de s'en excuser.
Ça paraît crétin qu'une si belle possibilité de se marier sur une plage, avec une robe en crochet et des caiperinhas - comme Papa et Laelia dans l'album de Cyrus - soit juste rendue impossible par l'incapacité de mon solitaire d'amoureux à trouver un témoin.
"Tu veux que je t'en prête un ?", je me risque.
"Pardon ?", il demande en clignant des yeux.
"Un frère - j'en ai trois à te prêter", je souligne. "Tu sais quoi ?" Il préfère ne pas commenter. "On pourrait leur dire de venir pour notre rencontre trimestrielle. Je sais où ; ils vont adorer... On ne leur dira pas pourquoi, mais on tirera au sort qui est le témoin de qui", j'échafaude avec entrain.
"T'es sérieuse", il se convainc lentement.
"Complètement", je renchéris sans lui dire que je sais le menu, les vêtements qu'on portera et que j'hésite juste encore sur la musique.
"Tes frères", il souligne.
"Tes beaux-frères", je riposte. "Rien que du très normal, après tout !"
"Dit-elle", il sourit en me prenant dans ses bras.
FIN
L'histoire avait commencé un matin au réveil alors qu'ils n'osaient pas afficher leur relation ; les voilà bientôt mariés. Je leur offre tous mes vœux de bonheur. On devrait les croiser de plus loin dans la saison sept... qui s'intitule "La morsure" et dont je vous livre ici le teaser qui vaut ce qu'il vaut : Quand on est le fils de Remus Lupin, on a sans doute un compte à régler avec les morsures. Kane est devenu médicomage et veut se prouver à lui-même qu'il sait se construire un avenir et choisir ses batailles.
Très bientôt sur vos écrans !