Ne faire qu'un

Piternis

Le réfectoire était bondé. L'humain eut la chance qu'une table se libère au moment où il y arrivait. Il s'installa, puis se jeta sur son repas. Il avait passé la matinée à s'entraîner au combat à mains nues avec les autres membres de sa section, ouvrant son appétit. Alors qu'il s'attaquait à un morceau qui ressemblait vaguement à de la viande, une voix lui fit lever les yeux.

— Je peux m'asseoir ?

Un humanoïde à la peau vert foncé, aux yeux et cheveux violets se tenait debout près de la table.

— Bien sûr, répondit l'humain avant de reporter son attention sur son assiette.

L'autre s'assit face à lui et demanda :

— On t'appelle comment ?

— Terry. Parce qu'il paraît que je suis le seul humain ici et que les humains viennent de la Terre. Et toi ?

— Novy. Ça veut dire « vert » dans la langue natale du chef de la patrouille qui m'a trouvé. T'es un Oublié toi aussi ?

— Ouep.

— Ça fait longtemps que t'es ici ?

— Quelques semaines.

— Moi, ça fait bientôt un an. J'ai hâte de passer enfin en section blanche. J'en ai marre de cet uniforme jaune, ça ne va pas du tout à mon teint.

Son interlocuteur ne put s'empêcher de sourire devant sa grimace de dégoût. Puis, l'humain repoussa son plateau vide et demanda :

— Dis, tu ne t'es jamais demandé ce qu'était ta vie avant d'être dans la garde ?

— Si, bien sûr, comme tout le monde. Du moins au début. Et puis, au bout de quelques mois, on finit par oublier qu'on n'a pas toujours vécu ici. Tu verras, ça te fera pareil à toi aussi.

— Je préférerais retrouver la mémoire… Et si quelqu'un me cherchait ? J'ai peut-être une famille, des amis…

— Tu devrais arrêter de cogiter comme ça. Certains sont devenus cinglés à force de fourailler dans leur tête à la recherche de leur passé. Aucun Oublié n'a jamais retrouvé la mémoire, c'est impossible.

Terry soupira profondément, puis consulta la pendule.

— Je dois y aller, j'ai un cours de pilotage dans quelques minutes.

— Ok. On se recroisera peut-être ici.

— Peut-être, acquiesça l'humain.

Il alla poser son plateau vide dans le réceptacle prévu à cet effet et quitta le réfectoire. Alors qu'il marchait dans le couloir qui menait au Bâtiment des Enseignements, il croisa son reflet dans une vitre et s'arrêta un instant. Il détailla la peau claire, les cheveux blonds coupés courts et les yeux bleus du visage qu'il savait être le sien, mais qu'il ne reconnaissait toujours pas. Soupirant profondément, il reprit son chemin, espérant obtenir un jour des réponses aux multitudes de questions qu'il se posait constamment.

USS Enterprise

Tout le monde croyait que les vulcains n'avaient aucune émotion. Pourtant, à cet instant précis, Spock était tourmenté par un sentiment qui ne le quittait pas depuis des semaines : celui d'avoir l'impression de ne pas être à sa place dans le fauteuil du Capitaine de l'Enterprise. Cette sensation le perturbait grandement, car il ne parvenait pas à la faire disparaître. Elle devenait même de plus en plus forte chaque jour. Autour de lui, les membres de l'équipage vaquaient à leurs occupations, insouciants de son trouble. Rien dans leur comportement n'indiquait qu'une autre personne aurait dû se trouver dans ce fauteuil. Sauf peut-être les lapsus occasionnels de l'Enseigne Chekov qui l'appelait parfois « Commander » au lieu de « Capitaine », mais que le vulcain avait mis sur le compte du jeune âge et des fautes linguistiques du russe.

Spock n'eut pas besoin de consulter l'horloge de l'ordinateur pour savoir qu'il était l'heure pour lui d'aller dormir. Il quitta la passerelle, laissant le commandement au Lieutenant Sulu, puis se dirigea vers ses quartiers. Alors qu'il passait devant une porte fermée, un sentiment étrange le traversa. Il s'arrêta, fixant le panneau clos, perturbé par la sensation que les quartiers qui se trouvaient au-delà n'auraient pas dû être vides. Il s'avança pour y entrer, puis se morigéna, et continua son chemin. Une fois dans sa chambre, il alla directement se coucher. Utilisant une méthode de relaxation pour calmer son esprit perturbé, il s'endormit rapidement.

Des mains qui caressent des corps nus, des lèvres qui se dévorent, un feu intense qui brûle les reins alors que le plaisir envahit les êtres…

Spock se réveilla en sursaut tandis que les images s'inscrivaient à une vitesse folle dans son esprit. Il se prit la tête entre les mains, une intense migraine résonnant dans ses tempes. Lorsque la douleur se calma, il put enfin réfléchir posément aux souvenirs qui venaient de lui revenir violemment.

Un sentiment de vide profond le submergea lorsqu'il réalisa que tout le monde, lui compris, avait totalement oublié l'existence de James Tiberius Kirk, le vrai capitaine de l'Enterprise.

La douleur était encore plus grande pour le vulcain car leur lien intime avait été oblitéré, alors qu'il était inscrit, gravé, au plus profond de leurs cellules jusqu'à leur mort. Il se souvenait de tout : de leur animosité première, de leur amitié parfois difficile du fait du caractère très imprévisible de l'humain… de leur relation charnelle qui avait débuté lors de son Pon-Farr sur cette planète désertique, six mois plus tôt.

Spock eut le plus grand mal à remettre de l'ordre dans ses idées, mais finit par laisser sa logique faire le travail pour lui. Il était conscient qu'il devait trouver à quel moment Jim Kirk avait été effacé de sa mémoire pour arriver à comprendre ce qui s'était exactement passé, qui avait réussi cet exploit et surtout, où se trouvait son âme-sœur à ce moment précis.

Planète Piternis

L'humain entrait juste dans les vestiaires après son cours de pilotage lorsqu'il fut rejoint par son chef de section.

— Terry, je ne sais pas ce que tu as fait, mais tu es convoqué au Palais. Un véhicule viendra te chercher au relais 24 dans une heure.

Avant qu'il ait eu le temps de répondre, l'autre homme avait tourné les talons et quitté la pièce. Pendant tout le temps de sa douche, il réfléchit à la situation, inquiet et perplexe. La rumeur disait que certains nouveaux venus étaient appelés au Palais mais personne ne les avait jamais revus ensuite. Les bruits les plus fous couraient à leur sujet, notamment que les disparus servaient de nourriture aux animaux de compagnie des membres de la famille impériale. Terry aurait aimé savoir ce qui l'attendait avant de se rendre au rendez-vous. Il avait beau être parfois impulsif, il n'aimait pas les surprises… surtout si elles s'avéraient être mauvaises pour lui.

Une fois prêt, Terry se rendit au relais 24. Il y arriva juste au moment où le véhicule automatique monoplace se posait au point de rendez-vous. Il eut une légère hésitation avant d'y monter, mais il savait qu'il n'avait pas le choix et prit donc place à l'intérieur de l'habitacle. Pendant tout le trajet au-dessus de la ville, son esprit parcourut les différentes options qui s'offraient à lui si jamais cette invitation au Palais s'avérait dangereuse. Malheureusement, il ne connaissait pas du tout la configuration des lieux où il se rendait, ce qui l'empêchait de prévoir le moindre plan d'évasion. De plus, il était conscient que même s'il réussissait à quitter le Palais par ses propres moyens, il n'avait aucun endroit où aller : toute la planète appartenait à la famille impériale et il finirait par être repris, quoi qu'il arrive. Une fraction de seconde, il envisagea la possibilité de se donner la mort si son sort devait être trop insupportable. Mais à l'instant même où cette idée se fit dans son esprit, tout son être se révolta contre elle. Même s'il n'avait aucune idée d'où il venait ni de qui il était avant de se réveiller ici, il savait qu'il était un battant. Pas du tout le genre de type à laisser tomber tant qu'il y avait la plus infime chance de s'en sortir. Il prit une résolution : s'il devait mourir au Palais, ça ne serait pas sans combattre ni sans tenter d'emporter le plus de ses assaillants avec lui.

Lorsque le monoplace se posa, après une heure de trajet, un homme en uniforme entièrement noir vint accueillir le nouveau venu. Il le conduisit sans un mot jusqu'à une petite pièce. Là, Terry entendit enfin la voix de son accompagnateur :

— Otez tous vos vêtements et enfilez ceux-ci.

L'humain obéit. Alors qu'il allait conserver son boxer, l'autre grogna :

— J'ai dit tous vos vêtements.

Terry leva les yeux au ciel, mais fit ce qu'on attendait de lui. Il enfila ensuite les habits qu'on lui avait donnés : un pantalon écru très moulant et une chemise sans manche de la même couleur ne comportant que deux boutons au niveau de l'abdomen, laissant donc le torse musclé du jeune homme largement dévoilé. Son accompagnateur lui donna ensuite une série de consignes :

— Vous allez être mis en présence de Leurs Majestés, la Princesse Eolia et le Prince Eole. Vous allez vous mettre sur le cercle blanc tracé au sol et vous attendrez, le regard fixé droit devant vous. Vous ne parlerez pas tant qu'ils ne vous en donneront pas l'autorisation. Vous ne bougerez pas, quoiqu'il se passe, tant que Leurs Majestés ne vous le permettront pas. Avez-vous compris ?

— Oui, répondit simplement l'humain.

— Suivez-moi !

Terry emboîta le pas de son accompagnateur qui l'emmena jusqu'à une grande porte métallique fermée.

— Attendez ici que l'on vous ouvre. Et ensuite, appliquez mes instructions.

Terry suivit l'autre homme des yeux jusqu'à ce qu'il ait disparu dans le couloir par lequel ils étaient venus. Puis, il fit face à la porte et patienta comme on le lui avait ordonné. Deux sentiments contradictoires bataillaient en lui : l'anxiété face au sort qui l'attendait et l'impatience de voir enfin les fameux héritiers de l'Impératrice Roslinda, les jumeaux Eolia et Eole, dont personne, à part les habitants du Palais, n'avait jamais vu le visage. Finalement, lorsque la porte finit par s'ouvrir, la curiosité avait pris le pas sur la peur et c'est avec une certaine excitation que Terry s'avança dans la grande salle.

USS Enterprise

Spock avait décidé de commencer ses investigations par la consultation du journal de bord du vaisseau. Il ne fut pas surpris de voir que toute trace de James Kirk en avait été effacée. Alors qu'il s'enfonçait plus profondément dans le système, il s'aperçut qu'un virus particulièrement efficace était à l'origine des changements intervenus dans les bases de données. Il décida alors d'aller plus loin dans ses recherches et s'introduisit dans les serveurs de Starfleet, basés sur Terre à San Francisco. Quel ne fut pas son soulagement de trouver enfin une preuve de l'existence du Capitaine James Tiberius Kirk ! Le dossier de son compagnon était intact, le virus n'ayant pas réussi à traverser le puissant pare-feu de l'ordinateur central de Starfleet.

Toute fatigue s'étant envolée, Spock enregistra le dossier sur son espace personnel, le protégeant avec plusieurs anti-virus de sa conception, puis il utilisa l'intercom pour convoquer certains membres de l'équipage.

Quelques minutes plus tard, Sulu, Chekov, McCoy, Uhura et Scotty se retrouvèrent face au vulcain dans la salle de réunion. Ils furent abasourdis lorsque celui-ci leur parla d'un homme qui leur était totalement inconnu et qui était censé être leur vrai capitaine. Quand il eut terminé, McCoy s'exclama :

— Avec tout le respect que je vous dois, est-ce que vous êtes tombé sur la tête ? Comment serait-il possible que nous ayons tous oublié ce type là… ce Kirk…

— J'ai déjà eu connaissance de cas de manipulation mentale. Il est logique de penser que nos mémoires ont été affectées à l'instar de notre système informatique.

Spock afficha le dossier de Jim Kirk sur l'écran central, espérant secrètement que ça déclencherait une réaction chez ses interlocuteurs, mais aucun changement ne sembla s'opérer. Au bout d'un moment, Sulu souffla :

— Désolé, Capitaine, mais je ne me souviens toujours pas de lui.

Les autres acquiescèrent. Spock sut alors qu'il n'avait qu'une seule solution pour les convaincre.

— J'aimerais tenter une expérience avec l'un de vous… un volontaire.

— Quelle expérience ? demanda Chekov.

— Une fusion mentale.

Tous avaient entendu parler de ce genre de pratique et la moitié d'entre eux eut un mouvement de recul involontaire. McCoy grogna :

— Il est hors de question que vous veniez mettre votre nez dans ma tête !

— Je suis volontaire ! lança soudain Nyota Uhura.

Les autres lui jetèrent des regards surpris. Elle s'expliqua, fixant Spock bien en face :

— Je ne me souviens pas de cet homme, mais je sens qu'il s'est passé quelque chose que j'ai oublié. Et je veux savoir de quoi il s'agit.

Spock savait qu'elle faisait mention de leur séparation. Si James Kirk n'avait pas existé, la jeune femme et lui seraient sûrement encore ensemble. Il congédia les autres, puis verrouilla la porte menant à la passerelle de façon à être sûr de ne pas être dérangé pendant la fusion mentale. Il revint ensuite se planter devant la jeune femme :

— Certaines images que tu vas voir peuvent provoquer une réaction émotionnelle douloureuse.

— Je m'en doute, répondit-elle. Vas-y, je suis prête.

Le vulcain posa ses doigts sur le visage de Nyota qui ferma les yeux. Il l'imita puis récita la formule usuelle :

— Ton esprit dans mon esprit, mon esprit dans le tien.

Spock sentit la jeune femme se tendre au moment où le lien se créa et il commença immédiatement à lui envoyer les images de ses souvenirs de James Kirk.

Au moment où la fusion fut rompue, le vulcain vit que des larmes coulaient silencieusement sur les joues de son amie.

— Il est regrettable que mes souvenirs aient réveillé des sentiments douloureux pour toi. Cependant, il était indispensable que je te les montre dans leur intégralité.

Elle lui jeta un regard surpris, puis sourit légèrement en s'essuyant les joues.

— Ce n'est pas pour moi que je pleure. Je t'ai perdu et je m'y suis résignée.

Spock ne comprenait pas du tout la raison de sa tristesse. Il avait souvent du mal avec les sentiments que les humains laissaient si facilement transparaître. Alors qu'il allait lui demander des explications, Nyota leva une main pour caresser sa joue et souffla :

— C'est pour toi que j'ai mal, Spock. Tout ce que tu m'as montré a effectivement réveillé mes souvenirs, mais j'ai également pu sentir la force de ton lien avec lui. De votre... amour... À ta place, un humain serait complètement accablé et paniqué à l'idée de ne pas savoir où se trouve celui dont il est autant imprégné.

Spock ne put s'empêcher de lever un sourcil, amusé :

— Heureusement pour moi, je ne suis pas humain.

Au moment même où il finissait sa phrase, il se dit que ses compagnons de voyage, notamment l'un d'entre eux, commençaient vraiment à déteindre sur lui. Nyota le tira de ses pensées en soupirant :

— L'expérience a réussi. Il va falloir que tu parviennes à convaincre les autres de se soumettre à la fusion mentale.

— Seul, je ne suis pas en mesure de fusionner avec tout l'équipage.

— Alors, que faisons-nous ?

— Nous devons arriver à récupérer les données effacées par le virus. Il faut que nous trouvions où et quand le Capitaine a disparu afin de pouvoir revenir sur nos pas et envisager une mission de sauvetage.

— Crois-tu qu'il soit encore en vie ?

— Il l'est. S'il était mort, je l'aurais senti de par notre lien. Et il est logique de penser que si quelqu'un s'est donné autant de mal pour l'effacer de nos vies, c'est pour le garder captif quelque part.

— Mais dans quel but ?

— Je ne pourrais pas émettre d'hypothèse à ce sujet tant que nous ne saurons pas qui est responsable de cette situation.

La jeune femme hocha la tête. Le vulcain reprit :

— Pourrais-tu m'assister dans mes recherches ?

— Bien entendu, répondit-elle, souriant légèrement.

Puis, reprenant son masque professionnel, elle se mit au travail immédiatement sur la console la plus proche. Spock la fixa un instant avant de l'imiter, conscient que le temps ne jouait pas en leur faveur.

Planète Piternis

Alors qu'il avançait jusqu'à l'endroit qu'on lui avait désigné, l'humain dût se faire violence pour ne pas dévisager les deux personnes qui le fixaient, fasciné par leurs visages d'une extrême beauté. Sous des cascades de cheveux noirs, leurs peaux dorées semblaient illuminer la pièce. Leurs yeux avaient d'immenses iris verts émeraude, leurs nez étaient fins et leurs bouches à peine plus foncées que leurs teints. Terry s'arrêta sur le cercle blanc tracé au sol, comme on le lui avait ordonné. Son regard se focalisa sur un point du mur en face de lui, entre le prince et la princesse. Il eut un mal fou à ne pas bouger lorsque Eole se leva soudain de son trône et s'approcha de lui en souriant.

— Ma chère sœur, lança le prince, je vois que votre goût est toujours aussi exquis.

— Mon cadeau vous plaît-il ?

Eole fit le tour de l'humain qui se sentait de plus en plus mal à l'aise.

— Il est parfait ! Je n'en avais encore jamais eu de cette espèce. Ça va être un plaisir de découvrir ce dont son corps si appétissant est capable.

Le prince se planta devant Terry qui n'eut d'autre choix que de plonger son regard dans le sien. Eole posa sa main sur le torse de l'humain, puis la fit glisser rapidement jusqu'à son bas-ventre. En une réaction instinctive, Terry repoussa violemment les doigts qui venaient de frôler son intimité. Réalisant soudain ce qu'il venait de faire, il serra les poings, conscient qu'il avait désobéi aux ordres. Alors qu'il s'attendait à une punition des plus sévères, il fut abasourdi de voir soudain le prince éclater de rire, bientôt imité par sa jumelle.

— Un jouet qui se révolte ! Enfin ! Ma chère sœur, c'est vraiment une excellente trouvaille !

Lorsqu'il eut terminé sa phrase, Eole se pencha vers Terry. Ses lèvres étaient étirées en un sourire, mais son regard était glacial :

— Ton esprit rebelle va m'amuser... mais je finirai tout de même par obtenir ce que je veux... tu m'appartiens...

Cette phrase provoqua une sorte de déclic dans l'esprit de l'humain qui tenta de se focaliser dessus, oubliant où et avec qui il se trouvait. Il lui semblait qu'il « appartenait » déjà à une autre personne, mais à chaque fois qu'il essayait de visualiser de qui il s'agissait, une vague de douleur le frappait. Il insista pourtant, fouillant dans sa mémoire sans se préoccuper de la migraine qui l'envahissait peu à peu. Tout à coup, un visage apparut : des yeux sombres sous des sourcils droits, une bouche appétissante et surtout, des oreilles aux extrémités pointues. Au moment même où son souvenir le percutait, la douleur devint insoutenable et il s'effondra sur le sol, sans connaissance.

Lorsque Terry ouvrit les yeux, il ne reconnut pas du tout l'endroit où il se trouvait. Il se redressa d'un bond, mais une main ferme l'obligea à se rallonger. Une voix douce s'éleva à son oreille :

— Ne bouge pas, tu es en sécurité.

Il tourna lentement la tête vers la personne qui venait de lui parler. Il s'agissait d'une jeune femme humanoïde qui aurait pu passer pour une humaine si elle n'avait eu des crêtes sur le nez et le front. Elle portait une longue robe moulante gris clair qui mettait en valeur sa silhouette fine.

— Je m'appelle Falia. Et toi ?

— Terry. Où suis-je ?

— Dans le harem de Leurs Majestés. Quand tu as eu ton malaise, ils t'ont fait conduire ici et m'ont ordonné de te remettre sur pieds. Apparemment, tu as fait beaucoup d'effet sur le prince qui semble avoir hâte de te mettre dans son lit.

L'humain grimaça, ce qui fit sourire son interlocutrice.

— Ne t'en fais pas... Je suis la seule ici qui ait des connaissances médicales. Je peux donc m'arranger pour que Leurs Majestés pensent que tu es plus malade qu'en réalité. Comme cela, tu auras un peu plus de temps pour te faire à l'idée...

— Quelle idée ? Celle de devenir un jouet sexuel ? Sans façon !

— Tu n'as pas le choix. Tous ceux qui ont été élus par le prince ou la princesse sont condamnés à vivre ici jusqu'à...

— Jusqu'à ? reprit Terry, intrigué par le voile qui venait de ternir le regard de Falia.

— Jusqu'à ce qu'ils se soient lassés d'eux... ou qu'ils soient devenus trop vieux...

Il n'eut pas besoin de demander ce qui arrivait à ces pauvres malheureux, le ton de la jeune femme et ce qu'il savait déjà avant son arrivée lui fournirent la réponse à ses interrogations.

— Tu es là depuis combien de temps ?

— Presque huit années standard. J'ai la double chance que mon peuple vieillisse beaucoup plus lentement que la plupart des autres et d'avoir des connaissances médicales qui me rendent quasiment indispensable à Leurs Majestés. Je sais bien qu'un jour, un ou une autre me remplacera. Mais, en attendant, je profite de la vie ici. Tu sais, il y a bien pire !

— Ne me dis pas que tu apprécies d'être utilisée comme un objet par les jumeaux ?

— Le prince ne m'a jamais touchée. Je suis la favorite d'Eolia et je dois avouer qu'elle a toujours été correcte avec moi. Bien sûr, au début, ça a été difficile. Mais, avec le temps, on s'habitue et on finit même par y prendre goût.

Le petit sourire qui flottait sur ses lèvres gêna Terry qui détourna le regard.

— Est-ce que tu sais pourquoi tu t'es évanoui ? Demanda Falia, changeant de sujet à son grand soulagement.

— Je me suis souvenu... d'un homme...

— Tu es un Oublié, non ?

Elle avait froncé les sourcils et semblait perplexe.

— Oui... mais ce souvenir est apparu dans ma mémoire et, à présent, il ne s'en efface plus.

— Étrange... c'est la première fois que j'entends parler d'un tel cas... Peux-tu me décrire cet homme ?

Terry obéit. Lorsqu'il eut fini, Falia lui jeta un regard abasourdi :

— Ainsi, il s'agit bien d'un souvenir !

— Que veux-tu dire ?

— Il existe un peuple dont les coutumes en matière d'accouplement sont un peu particulière. Les membres de ce peuple prennent un seul partenaire pour la vie, dans une sorte de rituel violent... Mais à cause de ce rituel, ils sont unis par un lien indestructible, même au-delà de la mort, paraît-il.

— Comment sais-tu tout cela ?

— L'un d'entre eux a été ici, il y a trois ans. Mais je n'ai pas réussi à le soigner lorsque la fièvre s'est emparé de lui. Il refusait de me dire pourquoi il était malade. Ce n'est que le dernier jour qu'il a fini par tout me raconter, mais il était trop tard pour lui trouver un ou une partenaire et le sauver.

— Quel est ce peuple dont tu parles ?

— Ce sont les vulcains.

Le mot fit réapparaître le visage familier dans l'esprit de Terry.

— La description que tu m'as faite de cet homme correspond aux caractéristiques physiques de ce peuple. Ce qui explique que tu parviens à te souvenir de lui malgré tout. Votre lien est inscrit dans vos cellules, rien ni personne ne peut le détruire.

Cette fois-ci, l'humain s'assit et elle ne l'en empêcha pas.

— Si tout ce que tu viens de me dire est vrai, il doit me chercher.

— Sûrement.

— Il faut que je quitte cet endroit !

— C'est impossible ! Tu ne pourras jamais sortir du harem. Chaque porte est surveillée par deux gardes et tout un dispositif de sécurité sophistiqué. Tout ce que tu peux faire à présent, c'est attendre que ce vulcain, ton âme-sœur, te retrouve et vienne te chercher ici.

À suivre...