Oiseaux de paradis

Première partie : Onisme

Chapitre 1 : Comme un parfum de soufre

Auteur : Rain

Disclaimer : SK ne m'appartient pas, je ne fais que faire danser les persos pour voir qui se prennd la gamelle la plus mémorable.

Soundtrack: Contemplation of the beautiful (Earthside feat Eric Zirlinger); Meet Me on the Battleshield (ZVRCINA); Safe and Sound (The Civil Wars); Your bones (Of monsters and men)

Note :

Cette fic est... compliquée à écrire. La première scène m'est venue comme ça, sans efforts, et quand j'ai voulu continuer, j'ai vu deux possibilités, et impossible de trancher. Je veux raconter les deux histoires et c'est terriblement je me suis dit, autant me lancer maintenant et avoir des retours, ça peut toujours aider. Du coup, j'ai pas de chapitre d'avance, rien - j'hésite donc entre terreur et intérêt pour mon sentiment principal à l'idée de continuer cette fic.

On m'a conseillé d'attendre, on m'a conseillé de continuer à réfléchir... j'ai tenu aussi longtemps que possible, mais voilà, j'ai besoin d'avis pour continuer je pense. Ah la la. Merci à Gold Crocodile pour ses conseils précieux!

Je suis en train de changer les titres de cette partie ! La première partie s'appellera désormais Onisme, qui est un mot inventé pour décrire le sentiment d'être prisonnier de son corps et du temps, ce qui colle plutôt bien à Tamao ici ! Le titre du chapitre est de moi et ce sera l'un des seuls dans ce cas.


L'odeur du sang était si forte que Tamao se sentait près de vomir.

L'accident l'avait projetée hors du véhicule. Grâce à Ponchi et Conchi, elle était saine et sauve, ainsi que Manta, mais elle avait tout de même mal dans tout le corps, et le moindre mouvement lui coûtait un effort incalculable. Elle avait fait de son mieux pour protéger les autres occupants du véhicule, mais le choc avait été si dur qu'elle ne pouvait être sûre de rien…

Une attaque. Ils avaient été victimes d'une attaque. Quelqu'un avait tiré sur la voiture, et Marco… elle se souvenait du tissu du siège imbibé de sang, d'une tache si large qu'elle couvrait tout le dossier. Un goût salé dans la bouche, Tamao appela Conchi et l'envoya chercher Anna. Il fallait que Anna et Yoh sachent ce qui venait de se passer. Il fallait… sa réflexion ne sut pas comment terminer la phrase.

Titubante, elle se releva avec l'aide de Manta, et entreprit de faire le tour de la voiture. Il fallait qu'elle s'assure que tout le monde allait bien…

Une silhouette pâle était debout près de la portière conducteur, et elle laissa échapper un soupir de soulagement. « J-jeanne-sama ! Tout va bien ? »

Elle rejoignit l'Iron Maiden et posa une main sur son épaule, avant de l'ôter brutalement. Jeanne était gelée, et son visage était un masque de terreur. « J-jeanne-sama… ?
- Je les ai tués. Je les ai tous tués. Encore… encore… J'ai encore… »

Les balbutiements qui sortaient de la bouche de la Française étaient à la limite du compréhensible, et Tamao se rendit compte qu'il s'agissait en partie de langues qu'elle ne connaissait pas. Les yeux de Jeanne étaient écarquillés et elle respirait fort, comme si l'oxygène ne parvenait pas à atteindre ses poumons. Elle ne semblait pas voir Tamao, qui pourtant vint se placer devant elle. Une brusquerie inhabituelle – le choc de l'accident, sans doute – lui fit secouer les épaules de sa cadette, mais en vain : Jeanne ne voyait rien, ne regardait rien, se contentant de murmurer des mots plein de terreur.

« Ta… Tamao… »

L'intéressée détourna son regard de Jeanne pour comprendre ce qui tourmentait Manta. Il ne la regardait pas, lui non plus : il pointa du doigt ce qui ressemblait à une flaque de sang, un peu plus loin sur le chemin. Une lanière de son fouet et des morceaux de tissu jaune étaient encore visibles. « C-c'est l'homme qui… »

Le jeune garçon ne parvint pas à en dire plus : il venait de s'évanouir. Tamao manqua faire de même en comprenant qu'il devait s'agir de leur attaquant. Mais s'il était mort… aussi horrible que cette mort ait été… pourquoi Jeanne avait-elle l'air si terrorisée ? Il suffisait de ressusciter Marco et Lyserg, et…

« Ah, alors c'est la solution que tu as choisie, » souffla une voix à leurs oreilles, et Tamao sentit l'air lui manquer. Muette de terreur, elle se retourna pour regarder Hao approcher. Il était… déplacé, avec son air bonhomme et son grand sourire, et si Tamao ne comprenait pas tout elle devina immédiatement qu'il venait pour finir le travail. D'instinct, elle se plaça devant Jeanne, médium brandi devant elle malgré la peur. Ponchi devait être aussi terrorisé qu'elle, et pourtant il n'émit pas la moindre protestation. Il fallait… il fallait protéger Jeanne tant qu'elle serait dans cet état étrange. Bientôt elle irait mieux, et elle pourrait se défendre, et… Tamao se rendit compte qu'elle n'y croyait pas.

Hao dut le sentir, parce qu'il ne sembla même pas s'offusquer de la voir agir ainsi. S'arrêtant juste au bord de la flaque de sang, il considéra la situation.

Tamao, la gorge sèche, se força à former une phrase : « Q… Qu'est-ce que vous faites ici ? »

Le brun, qui regardait avec un vague intérêt le sang près de ses chaussures, releva les yeux vers elle, et elle frissonna. « Je viens m'assurer du travail de ce cher Anahol, n'est-ce pas évident ? Oh, et détruire les X-Laws une fois pour toutes. Il faut croire que Rackist était encore bien trop sentimental pour parvenir à mes fins. Étrange qu'un petit morpion sans intérêt soit plus efficace qu'un Shaman aussi puissant, tu ne trouves pas ? »

Tamao cilla. Evidemment qu'il était venu pour Jeanne, elle se demanda comment elle avait pu se poser la question. Pourtant, cela ne fit qu'affermir sa détermination, et elle activa son Over-Soul, laissant la lumière bleue envahir la plaine.

Derrière elle, il y eut comme un sanglot plaintif. Se retournant à demi, elle vit que Jeanne avait plaqué les mains contre son crâne comme pour s'arracher les cheveux. Elle parlait encore plus vite maintenant, trop vite pour que Tamao comprenne, dans une espèce de murmure suraigu.

Hao soupira de façon exagérée, et Tamao reposa son regard sur lui. « J-je ne vous laisserai pas la toucher, » bégaya-t-elle, incapable de combattre sa propre peur.

« Oh, c'est bien admirable de ta part. Cela dit, le gros du travail est fini, alors je ne vois pas bien ce que tu peux encore faire. » Il regardait les corps silencieux des deux X-I affalés dans la poussière, et Tamao sentit une nouvelle aiguille s'enfoncer dans son cœur. Si seulement Anna pouvait se dépêcher…

« D'ailleurs, tu es sûre de protéger la bonne personne ? Il me semblait savoir que le premier combat de notre chère Maiden ne t'avait pas terriblement plu. »

Tamao ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Comment… ? Cela n'avait pas d'importance. Il devait lui avoir été facile de regarder de leur côté et de voir qu'elle n'allait pas bien lorsque Lyserg et Jeanne… Mais les choses étaient différentes. Cette fois-ci, c'était l'homme mort, et Hao à travers lui, qui avaient tué Marco et Lyserg. Jeanne était sonnée, mais elle n'avait fait que se défendre…

« Se défendre, tu penses ? Tu sais, c'est ce qu'elle s'est dit après le combat contre les Niles, aussi. Qu'elle ne faisait que protéger Lyserg contre des gens qui avaient tenté de le tuer. Est-ce que pour autant déployer toute sa puissance contre des insectes était justifié ? Moi, je ne me pose pas la question, soyons clairs. »

Comment pouvait-il connaître toutes ses pensées ?

« Quant à aujourd'hui… es-tu bien sûre que c'est Anahol qui a provoqué l'explosion ? »

Quoi ? Tamao ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Hao répondit d'un sourire sibyllin.

« Mais je m'égare, le temps passe et j'oublie ce pour quoi je suis venu ici. Alors… Eh bien, ceux-là ne nous sont plus d'aucune utilité, » ronronna-il en regardant les cadavres des deux autres X-I. Il n'eut même pas besoin de faire le moindre mouvement : une grande langue de feu enroba les deux hommes.

« Non ! »

Tamao se précipita, s'approchant aussi près qu'elle ne l'osait pour tenter de les tirer hors des flammes. Mais elle ne pouvait rien faire. Il n'y avait bientôt rien à sauver. La fumée la fit tousser et l'obligea à reculer; les odeurs de tissu et de métal brûlés eurent raison de son estomac, et cette fois-ci elle ne put s'empêcher de vomir dans l'herbe, aveuglée par les larmes.

Elle ne connaissait pas bien Marco, et il lui faisait plutôt peur, mais en aucun cas elle n'aurait voulu le voir disparaître de façon si atroce. Et Lyserg, doux Lyserg qui était si souriant et si protecteur envers Jeanne et elle alors qu'il la connaissait à peine, Lyserg qui était l'ami de Yoh, Lyserg…

Hao paraissait s'être désintéressé du carnage. En quelques pas, il avait rejoint la dernière des X-Laws, la seule personne encore debout sur la plaine à part lui. Jeanne ne le regarda pas plus qu'elle ne semblait regarder quoi que ce soit : ses yeux étaient toujours écarquillés, ses mains toujours crispées sur son crâne comme s'il risquait d'exploser. Pour la première fois, Tamao se rendit compte du maelström bouillonnant qui coulait autour de la Shamane. Son furyoku semblait aller en tous sens, sans direction ou objet propre; il enroba Hao comme il enrobait le reste de l'air autour de Jeanne, le cinglant comme un vent violent. Et dans la fumée qui avait envahi la plaine, Tamao distingua des visages, des crocs, des griffes. Des démons? Non...

La Japonaise ne put voir l'expression d'Hao alors qu'il levait la main devant la Française, mais elle sentait confusément que lui laisser Jeanne serait une erreur terrible. Sa cadette ne semblait même pas l'avoir vu. Et elle ne savait pas que Lyserg… Que Marco… Ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste ! Il fallait qu'elle fasse quelque chose, qu'elle protège Jeanne, qu'elle…

Hao leva la main et claqua des doigts. Aussitôt, comme si on avait coupé les fils qui la maintenaient debout, Jeanne ferma les yeux et s'abattit dans les bras ouverts du Shaman Millénaire. Tamao appela son nom, en vain. Hao se tourna vers elle, toujours souriant, et indiqua du menton le corps tremblant dans ses bras.

« Elle vient avec moi. Si tu veux nous suivre, libre à toi. »

Tamao le regarda, interdite. Il y avait Manta sur le sol, et… et… ce qui restait de Lyserg et de Marco, et il fallait qu'elle dise à Anna et à Yoh ce qui venait de se passer, et…

« D'ailleurs, j'ai une information qui devrait t'intéresser : Yoh est sans doute mort et détruit à l'heure qu'il est. Tout comme ses amis de The Ren, et la chef des Gandhara. Je doute qu'il y ait qui que ce soit qui puisse encore faire quoi que ce soit pour m'arrêter. »

Ce fut comme un coup de massue. Tamao eut l'impression que le monde vacillait, et il s'en fallut de peu qu'elle aussi ne s'évanouisse. Déjà, elle voyait Hao se retourner, et commencer à partir. Bientôt, elle le savait, il serait impossible de le rejoindre. Il aurait disparu dans les ombres, emmenant Jeanne, et plus personne ne pourrait être sauvé.

Tamao ne parvenait plus à réfléchir. Elle avait encore envie de vomir, et aussi de pleurer, et aussi d'effacer cette journée pour pouvoir la recommencer depuis le début. Si peu de temps auparavant, Jeanne lui proposait d'essayer ses robes, et détachait même un ruban pour voir son effet dans les cheveux de Tamao. Si peu de temps auparavant, Lyserg se retournait comme un enfant pour leur sourire et discuter avec eux. Si peu de temps auparavant, elle réveillait Yoh et Ryû et Horo-Horo pour leur entraînement du matin, manquant de peu d'être entraînée dans une bataille d'oreillers…

La tête vide, Tamao se releva. Ses jambes tremblaient.

Lentement, elle commença à marcher derrière Hao.


Dans un sursaut, Tamao se redressa. Elle était en sueur et elle avait du mal à respirer, mais l'odeur de sang et de fumée avait disparu. Autour d'elle était enroulée une épaisse couverture, qui la serrait à lui faire mal, et elle se débattit de toutes ses forces pour s'en dégager. D'un coup de pied, elle repoussa le drap blanc, et rampa jusqu'au mur. Quelque chose n'allait pas, mais elle n'arrivait pas à savoir quoi.

C'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle reconnaissait l'endroit. Elle venait de quitter son futon, et... et elle reconnaissait les murs blancs, le plancher familier. Elle se trouvait dans sa chambre - sa chambre à elle, dans la maison des Asakura, toute enténébrée de la nuit de décembre. La vision de ces murs familiers lui parut plus étrange que rassurante, et un vent de panique se leva au fond d'elle. Comment…? Hao n'avait pas pu...

Nauséeuse, elle tâta son visage. Mais c'était comme s'il ne lui appartenait plus. Ces joues-là étaient trop lisses, trop enfantines; ses mains elles-mêmes étaient trop douces, trop potelées. Les éraflures et les muscles de son corps semblaient avoir fondu, la laissant trop petite, trop empotée pour pouvoir se reconnaître. Ce corps, ce lieu... ce n'était pas elle, ce n'était plus elle. Elle avait encore la tête pleine des images de l'accident, du sourire d'Hao, de la terreur de… De qui, déjà ?

Mais qui étaient ces gens, en fait ? La seconde d'avant, elle avait été convaincue de savoir exactement qui ils étaient et pourquoi ils étaient là. Maintenant, elle peinait à même se rappeler leur visage. Ils lui avaient semblé si importants, et elle ne savait plus pourquoi. C'était comme si on l'avait arrachée à son monde, à sa vie, pour la rejeter des années auparavant, dans une chambre trop confortable et un corps trop mou pour lui convenir. Juste au moment où - où cette inconnue avait tellement besoin d'elle...

C'est à ce moment-là que la jeune fille se rendit compte que ses joues ruisselaient de larmes.