Disclaimer : Les personnages de Supernatural sont la propriété de Eric Kripke ; les personnages de Teen Wolf sont la propriété de Jeff Davis.

Un chaleureux merci à ma fidèle bêta-lectrice/correctrice, MlleHeathcliff !


/!\ À lire absolument /!\

Contexte des deux séries :

Fin de la saison 3 de Teen Wolf, la meute vient à peine de réussir à vaincre le Nemeton et le retour à la réalité est encore difficile... Et si Stiles n'avait pas eu la possibilité de tourner la page ou, en tout cas, pas comme il l'aurait voulu ?

Fin de l'épisode 8 de la saison 12 de Supernatural, les Winchester se font arrêter pour tentative de meurtre sur le Président des États-Unis... Et si Castiel avait décidé de régler le problème en appelant les plus compétents en la matière, à un certain prix ?

Note auteure :

J'ai écrit cette fanfiction SANS connaître la suite des séries ! Il s'agit donc d'un "futur inventé", comme quand à l'école on vous demandait de vous arrêter à l'avant-dernier chapitre d'un livre et d'imaginer le dénouement de l'intrigue. Il est donc logique que les événements décrits ci-dessous ne collent pas / plus avec les saisons et épisodes apparus après le contexte.


Un corps découpé dans la pénombre prit une grande inspiration, ses mains frêles et filiformes chargées d'une boîte certainement plus ancienne et à peine plus large qu'elles. Identique à un coffre au trésor miniature, elle n'était pas bien lourde, mais solidement façonnée dans le cœur d'un tronc rougeâtre et cru. Peut-être de l'orme.

Sa teinte puissante contrastait avec la pâleur de son porteur qui, ses paumes transformées en deux serres, la veillait dans le creux de ses bras. Il en dépendait.

De près, sa texture irrégulière était captivante ; sa dureté, réconfortante. Le couvercle était gravé de ce qui semblait être, ironiquement, des tulipes sauvages, reliées entre elles par de fines spires et les veinures sombres de l'arbre. Les côtés étaient légèrement ciselés d'arabesques pour laisser respirer les motifs naturels créés par les ramifications, révélant la délicatesse du sculpteur et la générosité du bois. D'une certaine manière, ces ornements étaient à image humaine, ou plutôt, il aimait entretenir ce songe, son propre visage parsemé de grains de beauté.

Cette comparaison entre lui et le meuble nain, Castiel en était la raison première.

Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, il n'était encore qu'un adolescent dérouté par les événements, à une époque où il ne savait pas garder sa langue dans sa poche, et tout avait commencé par cet exact défaut. Il était étourdi, bavard au point de s'encombrer de monologues superflus et arrivait rarement à venir à bout de ses pensées. Par conséquent, le moindre son qui avait traversé ses lèvres fut incompréhensible aux oreilles divines. Il sautait d'un sujet à l'autre, emballait ses propos d'une flopée de figures de style saugrenues et d'apartés sans queue ni tête... L'adulte en trench-coat ne le suivait tout simplement pas. Pourtant, il avait persisté, comme si écouter les stupidités et bafouillements excessifs d'un jeune dopé à l'adrénaline avait eu son importance.

Et cela avait payé. Son interlocuteur eut un agréable plaisir à observer son prétendu mentor décrypter ses allusions et ses phrases à rallonge. Devant lui se tenait un être biblique avec plus d'années qu'il n'osait se l'avouer, mais si ignorant sur les possibilités qu'offraient les mots, de la puissance que ceux-ci pouvaient inspirer, de la beauté qu'ils exprimaient dans chacune de leurs syllabes. Cela avait été un régal pour ses yeux, voir les expressions imprévisibles et confuses d'un ange. Elles éveillaient ses traits usuellement retenus, souvent graves. Les mois s'étaient décolorés et, de par cette nouvelle source de joie, l'adolescent n'avait plus cessé de s'exprimer qu'avec des excès de langage, des doubles-sens inaccessibles pour un esprit aussi terre-à-terre que Castiel.

Cependant, un jour, à force de l'écouter, la voix de ce dernier s'était joint à la sienne. D'abord seul, ils avaient soudain été deux. Son emménagement au bunker n'avait plus jamais été pareil et dès que l'occasion s'était présentée, ils s'étaient perdus dans les havres de la pratique. Ils y avaient d'ailleurs très vite pris goût ; ils en rajoutaient même, éventuellement, parfois, juste pour l'attrait littéraire... Depuis, l'homme lui avait livré des métaphores par centaines, des douceurs verbales qui ne dataient plus d'hier désormais.

Mué par ces bribes en décrépitude, il resserra sa prise autour du précieux cadeau. Du temps où il résidait chez les Winchester, il avait reçu d'innombrables regards. Il y avait eu les froncements de sourcils de Sam, ses soupçons, sa façon de se tendre quand deux de ses proches apparaissaient justement trop proches. Puis, sa méfiance s'était effacée peu à peu jusqu'à être remplacée par une compassion muette, des raclements de gorge face aux roulements de pupilles de Dean. Heureusement, l'aîné avait préféré tout sauf participer à ce genre de babillages stériles, encore moins en décoder le sens profond et dans le fond, son déni lui saillait à merveille.

Quant à lui, il cachait ses regards sous de longs discours. Il était doué pour disserter pendant une durée indéterminée, inlassable. Ainsi, plus personne ne portait attention à lui. Sauf Castiel. Toujours Castiel.

Tel un ruban qui se déroulerait d'une bobine, il jurait que leur quotidien se retraçait dans les couloirs antiatomiques. Il s'improvisait poète en défilant de salle en salle et se risquait fugacement à roucouler entre les mirages mièvres et ses palpitations cardiaques. Il en venait à dire qu'ils s'étaient apprivoisés entre les lignes et, étonnamment, entre les cordes. Il les revivait, dicté par leurs échos et plusieurs éternités. Il sautait à la marelle sur les lattes de parquet, redessinait les briques de ses doigts et la fois de trop, son esprit avait dérapé. Il s'était mis en quête de toutes les compter. Ses neurones bourdonnaient tellement, acculés par tant de pensées, qu'il avait eu l'impression imminente de s'effondrer s'il ne remettait pas tout de suite de l'ordre. C'était quelques heures avant son départ définitif, avant que le cadet des frères ne l'arrachât de son décompte pour l'emmener au diable Vauvert. Les Winchester s'étaient relayés à la place du conducteur et ils avaient roulé, roulé... Égales à trois entités dépeuplées. Cela avait été un martyr.

Depuis, il n'y avait plus eu de marche arrière. Ni de Castiel sur la banquette du fond, une main dans la sienne.

Aujourd'hui encore, il avançait seul en ligne droite. Ses semelles crissaient sur le gravier du sentier, tandis que la fraîcheur de la journée en déclin mordait ses pommettes. Il s'arrêta brusquement, arrivé à destination. Plaquées contre sa poitrine, deux uniques feuilles de vigne se rejoignaient en saillie sous la serrure, laquelle était presque indécelable, sorte de minuscule trou noir dans la pénombre. Ce fut aux prémices de son vingtième anniversaire qu'elle apparut sur sa table de chevet, la lumière qu'elle dégageait l'avait réveillé des limbes du sommeil. Le halo l'avait frappé de plein fouet et tout était apparu plus clair. Évidemment, il n'avait eu aucun doute sur le sous-entendu. La boîte avait ravivé une impatience enfouie au creux de ses reins, des émois qu'ils avaient renfermés pour conserver ce qui aurait dû être une amitié. Un regard acrylique l'avait encouragé et il s'était jeté à l'eau sans penser un instant de plus aux répercussions, désespéré à l'idée de devoir endurer une énième seconde de silence. L'ange avait répondu à son baiser, s'était ancré sous sa peau.

Personnellement, il l'estimait à son apogée lorsqu'elle brillait sous l'effet du sortilège, semblable à un fruit ailé. C'était l'œuvre d'une disposition divine, pas la sienne, de sceller une infime parcelle de grâce à l'intérieur du coffret. Par connivence, à l'approche d'une âme pure exempte du péché originel, l'essence éthérée révélait sa splendeur en s'embrasant d'un halo blanc. Par ce prodige, la surface cinabre paraissait prendre feu et préservait l'objet du temps et des cassures. Lui, médiocre mortel qu'il était, n'en était que l'admirateur final. Bientôt, il devra affronter son destin et l'heure de son jugement, il n'aurait alors plus rien. Cette relique d'un orme majestueux serait un des gages mis en jeu. Pour l'instant, elle l'accompagnait, sans un éclat envers lui.

Auparavant, cela ne l'avait pas gêné de ne plus être digne d'elle et qu'un matin, il ne la trouvât plus attisée de son inimitable rayon. Il n'avait pas honte d'avoir perdu sa virginité. Il était à l'époque à l'âge du lycée, avait un corps et des envies, bien sûr que cela serait arrivé de fil en aiguille, et c'était arrivé. Encore. Et encore. Qu'elle ne s'allumât plus n'avait fait que lui rappeler ces moments d'extase et ces soirées de volupté, cette simple pensée avait largement excellé la blancheur céleste à ses yeux... À présent, si elle demeurait éteinte, il se sentait aussitôt coupable en la saisissant. Néanmoins, il n'avait pas à l'esprit ses râles et sa bouche happant celle de son bien-aimé. Personne ne lui ferait croire que cette démonstration d'affection était un sujet à la honte. Qu'est-ce qui avait donc changé ? Qu'est-ce qui le gorgeait de regrets ? Sûrement le pacte qu'il s'apprêtait à conclure.

S'il avait eu la force mentale de la déverrouiller, il n'aurait pas pu s'empêcher de redessiner du bout des doigts les treillis recouvrant l'intérieur, mais ce qu'elle contenait, il était incapable d'y faire face une ultime fois. Ces souvenirs, il ne voulait plus les ressasser de peur de les oublier pour de bon. Il devait les enterrer, invoquer Pardon et enfin disparaître.

Au coffre, à Dean, à Sam, à lui-même et ses erreurs, à ces années précipitées dans leur monde et au mal qui en avait découlé. Pour Castiel.

En vérité, il mentait un peu, il était bel et bien l'initiateur de tout ceci, personne d'autre, bien qu'il ne le confessât ni pour or ni pour argent. L'adulte en trench-coat n'avait fait que rentrer dans son jeu sur le tard, poussé par un motif encore inconnu pour lors. Ils avaient tourné leurs paroles en dérision. Et à une ère de retranchement, Castiel s'était attardé sur un étui en orme, aux dimensions de porte-plume et enveloppé soigneusement dans le tiroir de la commode de l'adolescent. Il n'avait pas pu s'abstenir de lui en adresser un mot :

— J'ai l'impression de retracer ta peau quand je passe mes doigts dessus, avait-il souri en le dévisageant de ses yeux bleus hypnotiques.

Ces mots avaient éclaté leur bulle. Stiles était tombé amoureux. Une révolution solaire plus tard, une boîte d'un orme similaire avait reposé sur sa table de chevet. Boîte qui était actuellement en train de disparaître de son champ de vision.

Sa besogne accomplie, il se releva et figé au milieu du carrefour, il attendit. Ses mains étaient maculées de poussières et de terre sèche, alors qu'un puissant effluve de fleurs, loin du charme parfumé des liliacées, emplissait ses narines ; de l'achillée. Son nez était retroussé, presque agressé, et ses iris marrons se noyèrent de larmes. Il avait l'impression d'être redevenu ce petit garçon solitaire, souriant trop, s'enjouant trop, s'égosillant trop, face à la masse négligente. Cependant, nul encouragement n'était là pour le sauver à l'avenir, pas un de Scott, pas un de son père... Et il ne sut quel sentiment lui compressa la cage thoracique à leur résurgence. Jusqu'à ce soir, il n'avait pas repensé à son ancienne vie, l'originelle, depuis des mois. Elle lui manqua d'emblée, atrocement. Il y avait eu tellement de catastrophes, tellement de menaces auxquelles se préparer que son crâne s'était vu drainé de tout élément intermittent.

— Stiles, constata une voix tranchante et une paire de sphères luisantes apparut devant lui.

Il tressaillit et tenta d'essuyer rapidement son visage du revers de la main, faisant empirer la situation. La saleté entre ses phalanges et autour de ses ongles se collait au liquide salé qui barbouillait ses joues bouffies. Ce mélange lui donnait un air de chat de gouttière égaré.

Crowley ne bougea pas d'un pouce, ne s'amusa pas de l'expression défaite de sa clientèle faussement avant-gardiste. Il était tout sauf ravi d'avoir été appelé par le protégé de la clique en flanelle, l'enfant sorti tout droit de leur poche, surtout maintenant. Il s'agissait d'une grave erreur de la part de ce dernier d'organiser un tête-à-tête clandestin, dans les règles en plus. Dépourvu de la moindre arme et retiré de toute civilisation, esseulé face à une créature démoniaque et potentiellement ennemie ? Il courait volontairement à sa perte.

Outre ces fâcheux auspices, le Roi des Enfers n'était pas dupe, il écoutait les rumeurs. Si le rejeton des chasseurs avait décidé de le rencontrer hic et nunc, ce n'était pas une preuve absolue d'inconscience, il était même un poil malin, le bougre ! Un coup de téléphone n'aurait certes tué personne, toutefois, cela aurait vraisemblablement alerté papa et maman Winchester, qui l'auraient attaché au cadran du lit, histoire de le tenir à l'écart du danger. Apparemment, ils mettaient sur écoute tout leur annuaire, ceux suffisamment vivants pour composer un numéro en tout cas. Les choses s'étaient en quelque sorte compliquées entre eux et les trois quarts de la planète. Entre la tentative d'assassinat du président des États-Unis et leur dette envers les Hommes de lettres britanniques pour les avoir libérés de leur arrestation, ils en bavaient. Trois ans de véritable torture sur Terre.

Crowley lui-même ne pouvait pas les plaindre, vue comment Stiles, leur dette justement, avait le don de s'engouffrer presque partout où les ennuis se trouvaient. En abrégé, il était un impératif contraignant avec de sérieuses lacunes d'impartialité. Quand il ne se transformait pas carrément en cataclysme en invoquant le chef suprême des carrefours pour vendre sa part d'humanité... Autant dire que les négociations allaient être draconiennes.

— Tu fais le boulot du petit peuple ? s'étonna l'humain en avisant l'identité du démon.

La tension se fit moins oppressante à sa remarque, même dans de telles circonstances, il déblatérait à tort et à travers. Le concerné tiqua, légèrement agacé par cette perpétuelle absence de respect. Puis, un soupir ennuyé souleva ses épaules et il balaya la question d'un roulement de pupilles, il se vengerait bien assez tôt.

— Tu croyais que ta jolie huche à pain allait passer inaperçu, chaton ? railla-t-il d'un haussement de sourcils.

Stiles se crispa, jetant inéluctablement un bref coup d'œil à la terre fraîchement retournée entre eux. Touché. Son interlocuteur savoura sa venue l'espace d'une seconde, avant que la réalité ne le rattrapât. Il s'approcha et vint marcher sur l'emplacement de ladite « huche », pas un chouïa affecté par l'offense qu'induisait son action. Son regard réduit en une fente surplomba celui d'un coup déterminé du jeune homme, paralysé par une indignation muette.

— Rowena t'aimait bien, lâcha son fils avec rancœur. On dirait que tu vas devoir en payer le prix.

À un pas de lui, l'interpellé tremblait jusqu'à la pointe des orteils, mais plissa quand même les paupières avec défiance sur le mot final. Il y avait quelque chose de farouche en lui, enfouie profondément derrière l'apparente pellicule de sueur. Il n'avait pas que mûri et pris ses responsabilités en une paire de semaines, vadrouiller aux côtés des Winchester en quête d'un remède miracle l'avait raffermi plus que n'importe quelle croisade, n'importe quel voyage antérieur.

— Promets-moi que Castiel récupérera la boîte, elle et ce qu'elle contient, précisa-t-il d'un ton intransigeant. Promets-moi que tu veilleras sur lui.

Ses clauses du contrat sonnaient inaliénables, ce qui était plutôt impressionnant pour un si chétif personnage, il était quasi convaincant si on omettait ses grands yeux bruns qui hurlaient de détresse et de mélancolie, dénonçant ses efforts pitoyables. Malgré son aplomb, il se serait vendu pour une vulgaire bouchée d'espoir. Il était déjà un sacrifice étendu sur l'autel, un dieu a honoré sous ses pieds.

Il avait besoin de fondre en larmes, mais à quoi bon ? Il se refusait à regarder la pièce dans son entièreté, il ne rejouait que les actes de bonheur et ceux-là ne se pleuraient pas. De plus, l'aube où il s'était repassé le film du prologue à l'épilogue, il avait basculé. Il ne souhaitait pas revoir le visage terrifié de Sam, ses gestes suppliants pour l'extraire de son subconscient et la façon dont il l'avait arraché hors du bunker. Il ne voulait pas entendre sa voix gémir, si douloureusement qu'il ne la reconnaissait plus. Il voulait le reste, parce que lui et Castiel formaient un cocon de légèretés et de petites attentions. Parce qu'ils étaient nés d'une fascination réciproque, l'un par les regards perdus et l'autre par les pépiements étourdis. La suite n'avait été qu'une mélodie ; inoffensive à l'oreille du passant, périlleuse à maîtriser pour les musiciens. Constellée d'une multitude de particularités.

— C'est beaucoup demander, fit exprès de lambiner l'Écossais.

Stiles sursauta. L'expert lui adressa un rictus narquois, enfonçant ses poings au fond des poches de son manteau. Il était l'excellence même et voilà qu'il traitait avec un novice de soixante kilos tout mouillé. Une brebis dans une meute de loups ne ferait pas plus long feu que ça.

En revanche, la lueur palpable dans les iris terreux de sa proie s'offusqua davantage.

— Je t'offre mon âme et la possibilité d'avoir à ta botte une armée de démons japonais.

Le terme asiatique sembla allumer une ampoule dans le cerveau de Crowley. Il flaira sur-le-champ la bonne affaire, un pli méditatif rayant le bas de son front.

— Qu'est-ce que tu insinues ? hasarda-t-il moins bruyamment, déjà sur le ton de la confidence.

La pointe de curiosité et de vigilance mêlée qu'il affichait gorgea le récent chasseur de promesses. Celui-ci ne se fit pas prier, la voix franche et assurée, toute trace de peur effacée :

— Vous n'étiez pas au courant, n'est-ce pas ? nargua-t-il abruptement. Que depuis des siècles, juste sous votre nez, les Hommes de lettres font joujou avec les dimensions ?

Il avait l'air remonté, se forçant mentalement de maîtriser sa voix pour ne pas cracher à la figure du roi des Enfers. C'était venu si prématurément qu'une explosion, imprévisible et destructrice. Ses antécédents avec le peuple britannique l'horripilaient toujours de trop, surtout en période de stress. C'était au-delà d'une divergence d'opinions, il exécrait ces défenseurs de la veuve et de l'orphelin jusqu'à en avoir le bide tordu de bile. Il ne les verrait que comme une conspiration de manipulateurs nocifs et sans scrupules et à sa décharge, ils mériteraient d'aller rôtir dans le coin le plus embrasé des limbes, littéralement.

Au début, croire au hasard lui avait été plus laborieux à ingurgiter qu'un médicament contre la toux, bien que croire à l'existence des créatures surnaturelles, des chasseurs, d'une Mort personnifiée, ait fait sens — il s'était frotté à un lézard-garou, la liste ne faisait que se rallonger. Mais se faire aspirer dans une dimension parallèle ? Il en avait beaucoup ri et puis beaucoup pleuré. Agrippé à une ronce, l'ange déchu avait été une constante dans son combat intérieur, une épaule sur laquelle se reposer. Plus que quiconque, il avait compris la douleur de ce qui était à l'époque un vagabond désœuvré. Il lui avait appris à se forger une place ici-bas, à repartir de zéro.

— C'est impossible, protesta le vétéran.

Pourtant, il savait que les dires de Stiles étaient authentiques. Il l'avait constamment perçu, que l'âme de ce garçon n'inspirait rien d'assurément humain, mais rien d'assurément inhumain non plus. Il était différent, tout chez lui respirait différemment. Un vide et un débordement se créaient autour de lui à chacune de ses gesticulations ou de ses pensées. Il était là et par la même équivalence, il ne l'avait jamais été. Il incarnait une part de dérision et d'absurde.

— J't'en prie, méprisa son client avec condescendance, daignant canaliser son ressentiment. Dieu existe, est bi et a une sœur murée dans un complexe d'infériorité. Tu crois vraiment qu'Il se serait arrêté à un seul monde ?

Son timbre supérieur laissait supposer l'incompétence du multicentenaire royal, dont la mine s'était assombrie. Celui qui détenait l'information, détenait le pouvoir comme disait le proverbe. Et il connaissait par cœur les cris de tortures, ainsi que les séances qu'il avait passées à regarder les membres portés disparus ou morts de la famille qui fut celle de Noshiko dans une tierce vie. Il avait vécu pendant des semaines enfermé dans ces cellules miteuses, aux confins d'un abri militaire, en sachant que personne ne viendrait à sa rescousse, car ici, il n'existait pas. Pas encore.

Ensuite, la grille s'était ouverte. Un miracle ? Un mirage ? Il ne le sut avec certitude. Néanmoins, un duo de frères l'avait recueilli à bras ouverts, n'ayant pas exactement le privilège d'objecter. Peu à peu, il avait gagné une identité à leurs côtés. Il était devenu l'un d'eux, avait fait en sorte de taire ses cauchemars et de combler ses nuits auprès d'un ange. Dans l'ensemble, il avait retrouvé sa chaleur. Il y avait cru, peu ou prou.

Désormais, il affrontait un démon en chair et en os, des tortures d'un genre composite, et recevant aucune interruption ou commentaire pince-sans-rire, il continua sur sa lancée :

— D'où je viens, c'est plus simple. On vit, on meurt et basta. Monstres, humains, psychopathes, y a pas de « free pass » pour le Paradis ou je ne sais quoi. Tout votre bordel n'existe pas. Quand l'organisation a fait la liaison entre nos mondes, elle s'est mise à piquer des vies chez le voisin pour les ramener ici. Ils projetaient une armée de Kitsune, qui deviendrait la nouvelle génération des Hommes de Lettres. Ce sont en gros des hommes-renards centenaires badass et, en théorie, leurs âmes ne peuvent pas être corrompues, mais la 1er guerre mondiale—

— Une somptueuse boucherie, merci pour le rappel, coupa son arbitre pour abréger les futilités. Viens-en aux faits.

Les mains de Stiles s'arrêtèrent brusquement de battre l'air. Elles avaient encouragé son récit en un couple de moulinets bien rodé, quoique Crowley et sa tolérance zéro auraient suivi hormis leur contribution. Il dictait un royaume entier, tout de même. Puis, il aimait les procès qui allaient droit au but.

Cela ne démonta pas pour autant le benjamin en face de lui, qui remua la tête grièvement.

— Tu ne comprends pas, s'exaspéra-t-il avec agitation. La Mort n'approuve pas ces âmes sorties de nulle part, alors elle les jette au Néant. À moins qu'un pacte soit conclu et les coince ici. J'ai besoin de ce pacte.

Il se mordit immédiatement la langue et deux prunelles rouges le dévisagèrent brusquement. Il sut qu'il en avait trop dit.

— Et qu'est-ce que ça m'apporte ? grimaça le maître des carrefours. Tu ne seras qu'un pion casse-pied parmi d'autres, armée ou pas.

Instinctivement, il campait sur sa première impression, celle que les Winchester seraient enchantés de lui faire vivre un calvaire s'ils apprenaient pour les magouilles de leur petit protégé. Au mieux, il serait lui-même jeté au Néant...

— Pas exactement. Les âmes importées peuvent être maléfiques seulement si le corps d'origine est conservé. Elles tirent de là leur source d'énergie, ils sont indissociables ou c'est la mort assurée. Mais en gardant leur corps, elles gardent aussi leurs pouvoirs.

Les épaules de Crowley se soulevèrent dans un ricanement nerveux.

— Ne me fais pas rire, tu es inoffensif.

Il n'en eut pas le temps.

— Moi, oui, mais j'ai déjà combattu un renard démoniaque — un Nogitsune — et ce n'est pas joli, renchérissait déjà l'humain en se déplaçant de profil pour se permettre de souffler. Quand ils se sont retrouvés avec l'un d'eux dans la cohue, ils ont enterré le projet en cours de route. C'est comme parier au loto et ils ont gagné ; si un décédant fait le rituel du Kitsune-Tsukai, il peut demander de l'aide à un de ses ancêtres qui rejoint son côté. Une femme a appelé le Nogitsune en question et le problème s'est réglé de lui-même, il a été happé chez moi, un temps... Avec la pression de la 2ème guerre mondiale, le projet...

— ...A redémarré, bla bla bla, enchaîne ! s'énerva le plus âgé.

Stiles pivota instantanément et un coup de fusil passa entre leurs regards respectifs. Ils se jaugèrent un instant, avant que le conteur daignât continuer son pavé puisqu'on le lui avait si gentiment proposé :

— Des années plus tard, je me fais posséder — longue histoire — et le temps de piger, je suis ici. Je ne sais pas s'ils veulent me punir d'avoir tué leur Nogitsune ou s'ils couvrent leurs traces maintenant. Je sais juste que je suis arrivé seul et que Rowena n'a pas réussi à inverser leur sort d'invocation. Je suis probablement considéré comme mort depuis, autant par mon ancienne vie que par l'organisation.

Il récolta seulement un coup d'œil suspicieux de la part de Crowley.

— Tu es une telle plaie que Londres t'a refourguée, toi et des renseignement confidentiels, chez l'ennemi ? remarqua celui-ci avec cynisme.

Stiles grinça des dents, il avait commencé à se promener de-ci, de-là, empressé de boucler le chapitre cosmique. D'une certaine façon, il réalisa que les Hommes de Lettres britanniques avaient perpétuellement eu de l'avance. Ils entrevoyaient déjà l'échec et mat, alors que lui s'était fait aveugler dès le départ par le premier pion mangé. Il n'avait plus perçu qu'une nappe de brouillard, submergé par ses émotions. Crowley avait assez de recul pour admirer une vue d'ensemble et remettre en doute l'altruisme de l'Empire.

— Être une plaie est une qualité en Enfer, non ?

Et c'était justement sur ce point que la dette des Winchester étancherait les ambitions de Londres, tôt ou tard, il serait une hémorragie impossible à endiguer et les chasseurs en seront les dommages collatéraux. Cependant, ce pari-là, Stiles comptait dorénavant le retourner contre eux. Il n'était plus l'adolescent au grand cœur, s'il devait sacrifier un clan entier pour protéger sa nouvelle famille, son ancienne morale n'y subsisterait pour le neutraliser.

— Je te l'accorde, mais si ton histoire est vraie, garantir la conservation d'une centaine de corps s'est agiter du miel sous une ruche. Un point faible, rechigna le businessman. En plus, un minuscule appel surnaturel et je peux perdre tes renardeaux. Sans parler de Moose et Squirrel, ils déclencheraient une seconde Apocalypse pour te récupérer. Ce n'est pas très séducteur, dommage, si tu ne parlais pas autant, tu aurais pu m'avoir.

Le chasseur quasi-débutant s'empressa d'enchérir :

— Ça n'arrivera pas... plus. Les Britanniques ont assuré leurs arrières depuis et ont rapatrié toute une lignée, comme le rituel ne peut être fait que par un descendant...

Il eut une pause, comparable à un étranglement, et les mots s'accumulèrent au fond de son gosier sous réserve de délicatesse. Ses épaules s'abaissèrent, à la recherche d'une échappatoire. Il y avait des personnes dont les prénoms étaient amers en bouche, souvent épineux à prononcer. En général, ils s'interposaient et, héros par obligation, avaient le souci des mises en scène dramatiques, au péril de leur bonheur. Stiles devait se l'avouer, leurs agissements rappelaient les vieux feuilletons télévisés, toutefois, cela valait mieux que ses tentatives pathétiques. Il n'était pas abonné à la gaucherie en guise de décoration.

Malgré son caractère, il ravala sa bile. Un spectre le fixait sans ciller et habituellement, il se serait écrasé. Sauf que personne ne couvrait ses arrières, contrairement à Eux, il en avait lui-même décidé ainsi. Il n'allait pas se démonter à une mesure de la fin, n'est-ce pas ?

Le souffle brûlant, énergique, il se planta à un centimètre de son scrutateur.

— Pour ce qui est de Sam et Dean, ils se résigneront, argua-t-il dans un grincement de mâchoires. Ce combat n'est pas le leur. Pas cette fois.

— Tu mens comme tu respires.

Cette réticence le terrorisa. Son pouls pulsa, avoisinant une boule de nerfs, et il secoua négativement de la tête.

— La boîte est ta garantie ! enchaîna-t-il à toute vitesse. Tu n'auras qu'à vérifier par toi-même. J'ai tort, je te donne tout ; la grâce, les informations sur les Kitsune et le livre de sorts de Rowena. Tu es bien placé pour savoir à quel point ces gages ont un prix d'or en ce moment. Mais si j'ai raison, la boîte et son contenu reviennent à Castiel. Il saura respecter ma volonté.

Son énergie dégringola en percutant soudain l'ampleur de ses paroles. Il aurait été un très mauvais joueur de poker ; qui donc faisait « tapis » en ne s'assurant pas de la valeur de ses cartes ?

Malheureusement, il ne pouvait pas changer la donne, Crowley arborait une posture satisfaite et souveraine. Au même registre, qui avait vraiment conquis l'autre était un embarras moindre, de la paperasse. Il n'appréhendait plus que la signature.

— À tes risques, Stiles. Un accroc et je n'hésiterai pas à récolter ce qui m'est dû. L'effet est immédiat. Que le vaisseau de Castiel survive ou explose dans le processus, je m'en moque.

Les paupières gonflées du futur défunt se fermèrent et une sensation de picotement se propagea jusqu'à ses tempes. Les souvenirs ne s'en trouvèrent que plus douloureux. Toutes les images se tâchaient de sang, d'une beauté souillée. Elles s'incrustaient sous son épiderme, similaire au tranchant d'une lame d'acier, s'engouffraient dans ses organes pour tout éventrer. S'il avait eu quelque chose dans son estomac, il l'aurait vomi, mais les crampes ne se pressaient que sur de la chair vide. Ses tympans martelaient à travers le silence, tandis qu'au loin, un écho sommeillait.

Il n'y avait pas si longtemps, le rire de Castiel emplissait l'espace. Il était délicat, honnête, timide, accidentel... Un mets rare qui, à chaque point nommé, se voilait brutalement sous une couche de gêne. L'entendre, c'était surprendre une innocence qu'il avait apprise depuis la nuit des temps à ne pas exposer. Il y avait toujours eu trop d'ennemis pour se risquer à un tel élan, trop de trahisons répétées, trop de méfiance vis-à-vis de ses propres frères. Pas assez de confiances maintenues.

Castiel avait été un ange intelligent, puissant, pleins de convictions, un peu dangereux pour son propre bien. Il avait été élevé pour défendre une planète monstrueuse et parer à n'importe quelle situation, pas pour être perplexe et transparent. Néanmoins, au contact du sol terrestre, il s'était révélé considérablement humain, pareil à un maternel jeté dans la cour des grands, au milieu de ces sept milliards individus désemparés. Il fut de ceux qui jonglaient entre ironie et paradoxe. Et il le sera à nouveau, parce que Dieu que son rire était nécessaire, même si, progressivement, Stiles l'oubliait.

— Je dois la déterrer et l'ouvrir, souligna-t-il à voix basse, la gorge sèche et meurtrie. Mon esprit est la seule clé.

Elle ne brillait plus, mais curieusement, il en restait le détenteur. Cette appréciation le faisait fréquemment réfléchir sur sa nature spécifique, même si les notes de la sorcière avaient répondu à toutes ses questions antérieures. Vraisemblablement, son âme était reliée à la serrure et agissait sur lui comme une sécurité, un ruban de papier cadeau qui résistait, entretenait l'essentiel en dépit de tout. C'était à lui de couper la connexion.

— Évite de la refermer, si possible, ajouta-t-il d'un battement de cils.

Il était au courant de ce qui l'attendait, de ce qu'il s'apprêtait à faire voler en éclats. Envers et contre tous, il savait que c'était la bonne résolution à prendre. Il appartenait déjà à l'homme aux yeux bleus, bien avant d'être son amant, bien avant d'être consolé par ses baisers. Sa candeur avait été définitivement révolue lorsqu'il avait pris conscience de ses sentiments, presque une année précédant l'acquisition de la boîte. Il avait eu une prémonition, un poids fatal qui malgré lui annonçait ce jour présent, pourtant, cela ne l'avait pas arrêté. Il avait été incertain que Castiel partageât la moindre affection à son égard, mais il aurait tout de même été prêt à se prendre une balle à sa place. Après les répliques inoffensives et en amont des soupirs transis, il y avait eu un gouffre. Il s'était tu précipitamment, inquiet que ses mots ne trahissent ses ardeurs, ses connotations tout à coup horriblement expressives. Il avait alors vécu un amour aussi étonnant que secret, tellement démesuré qu'il eut choisi le mutisme à la potentialité de faire fuir le sujet de sa passion. L'écolier étourdi et inconscient, qui avait dans une vie vétuste galopé sur les talons de Lydia, s'était entièrement effacé. L'attente s'était creusée par la force des choses, pendant que la révélation d'un ailleurs l'avait gavé d'espérance. Cette année-là était le point noir du tableau, celui de son amour inassouvi. Il l'avait consumé, identique à un brasier ardent, et il s'était perdu quelque part en route.

Crowley avait mis le doigt dessus, entre chien et loup, il en marchandait le coût. Il l'enterrait et sa culpabilité avec.

Un sourire s'étira sur les lèvres du roi des Enfers et il susurra trois mots perfides, si simples, si faibles, à mille lieues de la grâce que lui insuffle Castiel :

— Embrasse-moi, chaton.