Résumé : Tout allait pour le mieux entre John et Sherlock, jusqu'à ce que leur monde semble prêt à s'écrouler.

A lieu douze ans après "A paper House". John à 29 ans, Sherlock en a 28. On est en 1997.

Note de la traductrice : Voilà (enfin) la troisième partie de Sins of our fathers ! Il me reste une semaine de partiels et ensuite c'est les vacances, alors j'espère ne plus vous faire attendre aussi longtemps. Et bon courage pour ceux qui sont aussi en examen. Nous vaincrons \o/

Merci pour vos reviews et encouragements sur les autres parties. J'essaye de répondre à tout le monde, pardon si je vous ai oublié.

Et enfin merci à Tschu pour la correction du chapitre.


Sins of our fathers partie 3 : Raising Cain

Chapitre 1

...

« John, fais-la taire ! » cria Sherlock de la cuisine quand John émergea de la chambre en train de boutonner sa chemise. Leur nouvel appartement avait une odeur constante de moisissure qui empêchait toujours John de prendre son petit-déjeuner.

« Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle fait ? » demanda John, s'appuyant contre l'embrasure de la porte. « Bonjour Harry.

- 'Jour Johnny. » Elle passa une main dans ses cheveux jusqu'à ce qu'ils soient tout ébouriffés et qu'elle ressemble à un hérisson. « Est-ce que tu pourrais s'il te plait rappeler à Sherlock que je suis une adulte et qu'en tant que telle je n'ai pas besoin de son approbation pour chaque décision que je prends ?

- Très mature d'utiliser John comme intermédiaire. » Sherlock se pencha en arrière dans sa chaise. « Ça prouve mon point de vue.

- Va te faire foutre, dit-elle en baillant.

- Quelqu'un peut me faire un résumé de ce que j'ai raté en privilégiant mon hygiène matinale sur guerre avec tir embusqué ? » John se dirigea vers la bouilloire. Vide, bien évidemment. Il la plaça sous le robinet pour la remplir.

« Je rejoins l'armée », annonça Harry entre deux bouchées de toast. « Je pense que ça serait bon pour moi.

« Pardon, quoi ? » John reposa la bouilloire à l'aveuglette. « J'aurai juré que tu venais de dire que tu allais partir dans un pays en guerre et laisser les gens te tirer dessus.

- Ne sois pas aussi mélodramatique. Je partirais en tant qu'ingénieur avionique, c'est pas exactement en ligne de front. J'ai toutes les qualifications qu'il faut. » Elle pointa un morceau de pain grillé vers Sherlock. « Tu ne peux que t'en vouloir à toi-même, tu sais. Je n'étais même pas intéressé par la physique jusqu'à ce que tu m'aides à construire cette machine de Rube Goldberg.

- Et la fac ? » John s'assit sur la troisième chaise qui se trouvait autour de la table et vola le thé de Sherlock.

« Je ne m'en sors pas très bien, murmura-t-elle dans sa tasse.

- Oh. » John jeta un regard à Sherlock qui se penchait tellement en arrière dans sa chaise qu'on dirait un numéro de cirque. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu y arrivais bien le semestre dernier.

- J'ai été distraite. Les fêtes. Les filles. Tu sais comment c'est. Elle renifla. Ou plutôt, non, tu ne sais pas puisque tu étais ennuyeux et pratiquement marié tout ce temps. Mais crois-moi. J'ai besoin de partir. Je veux faire quelque chose de différent. Quelque chose d'intéressant. J'ai toujours aimé les hélicoptères.

- Et maman en pense quoi ?

- Elle ne le sait pas encore. Harry haussa les épaules. J'avais plus peur de vous le dire à vous qu'à elle de toute façon.

- Tu as bien fait d'avoir peur, grommela Sherlock.

- Ecoute, je peux difficilement t'arrêter, mais c'est une énorme décision. » Cela sonnait très adulte et raisonnable. « Depuis combien de temps tu y penses ?

- Depuis des mois. Je me suis réveillé et j'ai su que j'étais au mauvais endroit. Je veux faire quelque chose d'utile, quelque chose d'intéressant. » Elle fronça les sourcils vers Sherlock. « Je pensais que tu comprendrais ça.

- Je comprends que tu veux fuir devant des problèmes facilement solvables. » Les pieds avant de la chaise raclèrent le sol dans un long crissement avant que Sherlock ne se dirige à nouveau vers la chambre à coucher. John prit sa tasse de thé abandonnée.

« Mon Dieu, j'ai envie de le tuer parfois.

- Fais la queue. » John soupira. « Elle commence ici et finit à la Manche. Tu sais que c'est seulement parce que tu seras loin. Tu vas beaucoup lui manquer. Et à moi aussi.

- Ça ne le tuerait pas de la dire. » Elle leva les yeux au ciel. « Ou peut-être que si. Peu importe, tu es d'accord avec cette décision ?

- Je vais avoir besoin d'un peu de temps pour me faire à l'idée de voir ma petite sœur courir en treillis, mais ouais. » Il lui tapota la main. « Je suis un peu jaloux en fait. Ça semble être une grande aventure.

- Comme si tu n'en avais pas assez, de celles-là. »

John sourit légèrement, résolue à ne pas penser à La Grande Dispute de 1995. Il se souvenait d'être rentré à la maison avec des broches sur papier glacé de l'armé et un projet sur le bout de la langue. Ça s'est terminé en un genre de bras de fer amer auquel John aurait probablement pu s'attendre s'il était effectivement parti à la guerre. Les brochures ont été réduites en cendres avec les dernières illusions qu'avant John sur la nature exacte de leur relation. Sa seule consolations était que Sherlock lui appartenant tout autant qu'il appartenant à Sherlock.

Perdus dans leurs pensées respectives, John et Harry finirent leur thé ensemble dans le silence. La douche s'alluma, les tuyaux gémissant à travers les murs. Quand l'eau s'arrêta, John se leva et partit à la recherche de ses clés et de son portefeuille. Harry se laissa tomber sur le canapé-lit et alluma la télé.

« Tu n'as pas cours ? » John prit son beeper et un tas de rapports. « Tu ne peux pas juste t'arrêter au milieu de l'année parce que tu as un plan de secours.

- Ce n'est pas un plan de secours. C'est un vrai projet. » Elle remonta la couverture par-dessus sa tête. « Je vais voir maman ce soir pour lui dire. Demain, je commence le dossier.

- Tu veux que je vienne avec toi ? » Il attrapa son manteau au moment où Sherlock retourna dans le salon, déjà sec et parfaitement habillé. John a renoncé à trouver le truc de ce tour de magie depuis longtemps.

« Non. » Elle descendit la couverture assez bas pour pouvoir faire une grimace à Sherlock. « Tu vois ? John approuve.

- John est d'accord avec n'importe quoi si tu sais faire la moue correctement », dit Sherlock sèchement, tenant le manteau de John ouvert pour lui. « Ça ne veut pas dire que c'est une bonne décision.

- Merci pour le vote de confiance. » John gesticula dans son manteau, déposant un baiser sur les doigts de la main gauche de Sherlock quand celle-ci s'attarda sur son épaule. « Je ne suis pas aussi vulnérable.

- Tu l'es. C'est une de tes qualités les plus utiles. » Une main dans le bas de son dos le poussa vers l'extérieur.

- Tu brilles par ta tendresse ce matin », soupira John, restant à la hauteur de Sherlock et de ses longues foulées grâce à un rythme qu'il avait perfectionné au fil des années.

Ils s'arrêtèrent juste assez longtemps pour que John puisse acheter un journal. Il ne le lira pas, mais il aimait cependant continuer cette petite tradition. Il le laissera dans la salle de repos pour que chacun puisse le feuilleter pendant qu'ils boivent leur horrible café entre deux moments de chaos. Le reste du trajet était ponctué par le doux hum des observations de Sherlock, le crépitement de fond qui compose la bande originale de la vie de John.

Ils entrèrent dans New Scotland Yard par la porte sabotée que Sherlock avait bricolé pour des pauses cigarettes illicites et pour pouvoir s'échapper pendant sa première semaine en tant qu'agent de police. Ils n'avaient pas vraiment besoin de l'utiliser, mais le petit défi envers l'autorité que constituait ce grave bâtiment leur permettait de commencer la journée sur une bonne note.

Ils montèrent trois escaliers qui puaient la moisissure puis traversèrent un couloir jaune qui finissait en cul de sac avec une porte en verre où les mots ''Unité des affaires classées'' étaient écrit en lettres noires. La porte s'ouvrit sur un labyrinthe de bureau, de fils et d'appareils électroniques ronflant. Jennifer était déjà assiste derrière son bureau, les doigts les volant sur son clavier pour compléter la paperasse restante.

« L'affaire Bummer ? » John prit le premier dossier de la pile et elle lui tapa la main.

« J'ai presque fini de tout classer, Doc. Ne pense même pas à foutre le bordel maintenant.

- Tu veux de l'aide ? Je n'ai rien à faire pour le moment aujourd'hui.

- N'en sois pas si sûr. » Elle lui fit un petit sourire. « Il y avait des costard-cravates ici avant, derrière une porte fermée. Je pense qu'il y en a un en personne qui va venir ici.

La porte du bureau de Lestrade s'ouvrit à la volé. L'homme en personne suivi, son costume froissé et sa cravate disparu depuis longtemps. Il parcourut la pièce avec ses yeux bouffis et hocha gravement la tête quand il vit John près du bureau.

« Réunion dans quinze minutes ! » aboya Lestrade. « Et pour l'amour de Dieu, que quelqu'un refasse du café !

Leurs réunions avaient lieu dans la salle de repos, autour de la table souillée et malmenée. L'ensemble du personnel pouvait encore se compter sur les doigts d'une seule main, mais ils réussirent à faire paraitre la salle encombrée par tant de personnalités différentes. Lestrade se plaça au bout de la table, un dossier à la main. Sherlock et John se mirent d'un côté et Jennifer ainsi que leur assistant technique Alistair prenaient place en face.

Jennifer faisait techniquement parti de la brigade de répression des crimes violents, mais ses compétences implacables ainsi que son immunité face à la folie de Sherlock faisaient d'elle un atout majeur pour l'équipe. Alistair était le projet de Lestrade. Il était fait de café, d'épisodes de Doctor Who et de nourriture de fast food. Il pouvait pirater des espaces de haute sécurité avec une facilité effrayante puis faire une dépression nerveuse à cause de ses cuticules abimées. Il résolut trois affaires durant sa semaine d'essai dans le département, puis sanglota d'épuisement sur l'épaule de Lestrade. Le département informatique l'a transféré ici avec gratitude au moment où la demande a été faite.

« C'est une grosse affaire », dit Lestrade en ouvrant le dossier. « Alors on doit agir vite. Homicide en 1993, maquillé pour ressembler à une exécution. Des preuves clés ont disparu à plusieurs moments de l'enquête et ont tout juste été récupérées.

- Un complice interne », dit Sherlock d'une voix trainante, faisant glisser un stylo entre ses doigts. « C'est pour ça que tu étais debout toute la nuit.

- On sait déjà ce qui s'est passé. » Lestrade feuilleta le dossier. « Deux policiers corrompus offraient leurs services en tant qu'assassins, puis volaient les preuves. Le premier s'est suicidé huit ans avant notre meurtre, mais son complice était actif jusqu'à il y a deux semaines. Une de ses victimes potentielle l'a eu. Il a tout confessé dans son testament avec la localisation d'un entrepôt de stockage où se trouvaient toutes les preuves manquantes.

- Pourquoi les a-t-il gardé ? » demanda Jennifer, griffonnant sur un bloc jaune. « S'ils essayaient de cacher quelque chose, ça n'aurait pas été mieux de s'en débarrasser ?

- C'n'est pas notre problème », dit rapidement Lestrade avant que Sherlock ne puisse ouvrir la bouche. « Moran et Donnell appartiennent au service d'investigation interne maintenant. On doit se concentrer sur la découverte des éléments de preuve pour notre enquête. »

Moran. John se mordit la lèvre inférieure. Sous la table, Sherlock lui donna un coup de pied. Une fois son attention retenue, il lui fit un rapide signe de la tête. Pas ici, très bien. John prit une expression indifférente. Il pouvait paniquer plus tard.

« Comment sait-on que ce n'est pas une des personnes qu'ils devaient tuer ? » Alistair attrapa le sucre, le versant dans son café noir.

« Pas la bonne arme. Pas le bon style de victime non plus. Ils travaillaient pour le crime organisé. Nos victimes n'ont pas de lien avec quelque chose d'aussi sophistiqué. » Lestrade sortit une photo du dossier. « Ceci est notre scène de crime. »

Tous, à l'exception d'Alistair, s'approchèrent. La photo montrait les deux victimes, chacune avec une blessure par balle à l'arrière du crâne, couché sur le sol en linoleum d'une petite cuisine. La photo a été surexposée, donnant au sang un air fluorescent et faisant disparaitre tous les détails réels des corps.

« Un couple marié, début de la vingtaine. » Les yeux de Sherlock survolèrent l'image, absorbant des choses que John ne pouvait que deviner. « Ils ne vivaient pas dans cet appartement.

- Exact. » Lestrade ne s'arrêta même pas une seconde, habitué aux déductions perçantes de Sherlock. « L'appartement n'était pas loué quand ils ont été tués là-bas. Il avait été laissé entièrement meublé. Nos victimes ont pu penser que leur tueur vivait ici.

- Un piège, songea Sherlock.

- Exactement. Mark et Darlene Westin. Il fabriquait des accessoires pour théâtre. Elle était chanteuse, fit quelque représentation dans le quartier de West End et donnait des cours particuliers. Ils se sont rencontrée grâce à des amis mutuels et se sont mariés en 1985 », confirma Lestrade, feuilletant le dossier. « Ils avaient un enfant, un garçon, né en 1989. On n'a jamais trouvé aucune preuve qu'il était dans l'appartement au moment du meurtre, mais il a été vu la dernière fois en compagnie de Mme. Westin la nuit précédente. Elle l'a cherché à la crèche plus tard que d'habitude. On a diffusé la photo de l'enfant partout dans les journaux pendant quelques semaines, mais rien n'en est ressorti.

- Mort ? » Alistair avala la moitié de sa tasse de café en une fois.

"Probablement », soupira Jennifer. « Merde. Quand arrive le reste des preuves ?

- Dans l'heure. Les documents de l'affaire Brummer ont été enlevés des tableaux ?

- Je m'en occupe. » Elle sortit. « Viens Alistair, tu peux m'aider à porter mes papiers.

- Je ne suis pas ton laquait », grommela-t-il et la suivit vers les énormes tableaux noirs couverts de théories, d'aimants et de papiers.

« Il y a beaucoup de pression venant d'en haut, les gars. » Lestrade grimaça. « Sherlock, tu vas devoir suivre les règles du jeu. Il y a déjà deux flics corrompus attachés à cette affaire-là.

- Je ne suis pas corrompu seulement parce que je ne peux pas respecter les absurdités bureaucratiques.

- Je suis sérieux Sherlock. Pas un pas de travers. Ça pourrait nous coûter le département et tu as travaillé trop dur pour tout laisser tomber parce que tu ne veux pas suivre la procédure. C'est une affaire, une seule fois que je te le demande. » Lestrade se tourna vers John. « Ça vaut aussi pour toi, Doc.

- Reçu. » John sourit et s'il était un peu faible Lestrade ne sembla pas le remarquer.

« On en a fini ici ? demanda Sherlock.

- On a fini.

John suivit Sherlock hors de la salle de repos, à travers le hall et dans l'arrière-salle qui servait à la fois de bureau à John et de salle d'examen. Elle n'était pas destinée à faire des autopsies complètes, mais ils travaillaient rarement avec des corps en entier. John trouvait les petites pièces qui restaient étrangement apaisantes et dans certaines trainaient encore d'anciennes affaires qui ne rejoindraient jamais vraiment le sac contenant les preuves. Sherlock avait à un moment donné dérobé un crâne entier et il reposait maintenant sur le meuble de rangement de John, écoutant leur conversation à voix basse.

« Je suis dans la merde », grogna-t-il, s'adossant à la porte fermée. « Quelles sont mes chances ?

- Calme-toi. » Sherlock s'assit sur la table de travail, se calant entre deux récipients contenant des phalanges. « Ils ne vont pas enquêter sur la mort de Moran. C'était clairement un suicide.

- Sauf qu'on sait tous les deux que ce n'est pas le cas !

- Aucune preuve du contraire n'existe. Aucune autopsie n'a été faite, très peu de photos ont été prises. C'était simple à l'époque. Ce sont ses crimes qui les intéressent et même seulement très légèrement. Donnell a été actif pendant plus longtemps et plus récemment.

- Mais et si…

- Il n'y a rien à questionner. Sors ça de ta tête. » Sherlock fit un signe de la main. « J'ai besoin de toi ici avec moi. Tu es présent ?

- Ouais. » John prit une longue et profonde inspiration puis expira. « Je suis présent.

- Bien, parce que les preuves viennent d'arriver. »

Les preuves s'avérèrent être contenues dans une dizaine de boites remplies à ras bord, soigneusement empilées à côté d'un des tableaux noirs. Jennifer et John ouvrirent les deux premières, tandis que Lestrade et Sherlock délimitaient les dimensions de la cuisine sur le sol à l'aide de rubans adhésifs. Alistair sortit soigneusement tous les rapports rédigés à la main ainsi que les boites d'aimants, les accrochant dans l'ordre chronologique.

Doucement, la cuisine prit forme, des mannequins de crash test faisant office de victimes, soigneusement habillés avec des vêtements ensanglantés. A l'aide des photos, John marqua les trajectoires de sang avec du fil rouge. A mi-chemin, Sherlock prit une demi-douzaine de fil de sa main et les bougea de six degrés vers la gauche. John leva un sourcil et Sherlock montra du doigt la posture bizarre du corps de Mark. Fronçant les sourcils, John fit un pas en arrière, étudia l'angle, puis hocha la tête et commença à bouger les fils en conséquence.

« C'est effrayant quand vous faites ça, les mecs », dit Jennifer quand Sherlock tourna son attention vers le tableau noir.

- Quand on fait quoi ? » John démêla un autre fil et l'étendit entre la tête du mannequin féminin et la chaise du bureau qui jouait le rôle d'une armoire.

« Laisse tomber. » Elle leva les yeux au ciel et coupa un fil pour lui.

« Où sont les papiers de la table ? » Sherlock se tourna vers Alistair qui fit un pas en arrière et trébucha presque par-dessus les piles de cartons. « Ils étaient sur la photo ! Tu ne vois donc rien ?

- Juste là. » Lestrade sortit un sac en plastique contenant des feuilles tachées de sang d'une des boites soit disant vide, le passant à Sherlock. C'était probablement une pure coïncidence qu'il incline son corps de façon à ce qu'Alistair soit derrière lui. « On dirait une sorte d'équation. »

Sherlock prit les feuilles dans ses mains recouvertes de gants en latex. Il fit un petit bruit surpris puis commença à les feuilleter rapidement. L'équipe se tut, le regardant avec une anticipation nerveuse.

« On doit retrouver le garçon. » Sherlock secoua les feuilles vers Lestrade. « C'est pour ça qu'ils ont tué les parents.

- On dirait un kidnapping à l'envers, remarqua Jennifer. Les parents sont les plus à même à payer une rançon.

- Ils ne voulaient pas d'argent, ricana Sherlock. Rien d'aussi banal ! Ils voulaient ce qu'il a dans la tête. C'est un prodige. Surement un des plus avancés pour son âge. Regardez ! »

Il poussa la pile vers Jennifer qui l'attrapa avant qu'elle ne tombe par terre. Des équations dansaient sur le papier à carreaux dans l'écriture tremblante d'un jeune enfant. John regarda par-dessus son épaule, reconnaissant des bribes de ses derniers souvenirs de mathématiques. Il essaya d'imaginer un garçon de cinq ans écrire soigneusement les chiffres, un moment de génie interrompu par le meurtre de ses parents.

« On a sa photo." Lestrade la plaça au centre du tableau. Un gamin au visage angélique et aux cheveux bruns regardait vaguement vers la gauche, comme s'il cherchait quelque chose au-delà de la photographie. « Si ça peut nous aider.

- Alistair, dit Sherlock sèchement, trace tous les dossiers d'adoption dans les trois mois suivant le crime. Vérifie la profession des parents, on cherche quelqu'un qui travaille avec des maths ou de la physique. Leur carrière doit avoir significativement décollé peu de temps après l'adoption. »

Alistair disparu dans son champ de machine, semblant reconnaissant de partir.

« Il y a un vide entre les éclaboussures de sang », observa John, se reculant de leur scène de crime de fortune.

« Le garçon était là, de toute évidence. » Sherlock passa soigneusement au-dessus du fil rouge qui partait de la tête du mannequin féminin. « Il écrivait à la table quand le tueur est entré. On a tiré sur l'homme en premier, le garçon se lève en panique et la mère se dirige vers lui pour le protéger. Deuxième coup de feu. Il a dû être éclaboussé par le sang. Comment fait-on sortir un enfant hystérique et couvert de sang d'un immeuble habité sans que personne ne le remarque ?

- Et s'il n'était pas hystérique ? » Jennifer regarda pensivement la scène. « Et s'il était en état de choc ? Ça semble tout aussi probable. Ca l'aurait rendu docile. Ensuite il a pu être habillé chaudement et porté à l'extérieur. La plupart des gens auraient pu penser qu'il dormait.

- Ça n'explique toujours pas ce qu'ils faisaient ici en premier lieu. » Lestrade ajusta un morceau de ruban adhésif. « Ils ne pouvaient pas savoir qu'ils étaient en danger ou ils n'auraient pas emmené leur fils avec eux, mais c'était assez important pour qu'ils n'annulent pas ou que l'un deux reste à la maison pour le surveiller.

- Evident, renifla Sherlock. Je vais avoir besoin d'une confirmation, mais c'est assez clair.

- Qu'est-ce qui est évident ? répliqua John.

- Les Westin ont été attirés là-bas avec un mensonge. Un mensonge proche de la vérité. Que leur petit génie était spécial et éligible pour participer à un programme ou quelque chose comme ça. » Sherlock tendit la main et passa un doigt le long d'un fil rouge. « Le tueur a mis le garçon à l'épreuve, s'assurant de la qualité de la marchandise, puis il a tué les parents.

- Pourquoi laisser les feuilles de maths derrières soi ? » Demanda Jennifer en même temps qu'elle plaçait les feuilles dans des pochettes plastiques avant de les accrocher sur le tableau. « Travail bâclé pour quelqu'un qui planifie autant.

- Réfléchis ! » ordonna Sherlock, faisant les cents pas devant le tableau. « Je ne peux pas le faire pour toi tout le temps. »

Le silence régna pendant plusieurs lourdes secondes. Sherlock semblait de plus en plus dépassé par leur ignorance jusqu'à ce que John comprenne.

« Le tueur comptait sur Donnel pour collecter les preuves

- Pourquoi ? » Encouragea Sherlock, les yeux brillants et prometteurs.

« Parce que Donnell était le tueur. C'est quelque chose qu'il faisait en plus. En freelance. C'est pour ça que le pistolet et le motif était différent. » John sentit son sourire grandir alors qu'il essayait d'ignorer l'éclat des yeux de Sherlock. C'était pour ces moment-là qu'ils faisaient ce travail, pour la montée d'adrénaline après une découverte. « Il devait d'abord faire sortir le garçon aussi vite et silencieusement que possible. C'était sa priorité. Il pouvait partir en laissant des preuves derrière lui parce qu'il savait qu'il pouvait les faire disparaitre plus tard.

- Si c'est vrai alors on n'a pas d'affaire, souligna Lestrade. Il y a une équipe spéciale qui travaille sur les crimes de Donnell. On devrait seulement leur transmettre celui-là.

- Le meurtre, peut-être, mais pas le kidnapping. » Sherlock sourit d'une manière sauvage et tranchante. « C'est définitivement une affaire non-élucidée. Donnell a peut-être emmené le garçon, mais il ne l'a pas gardé. C'est là que nous intervenons.

- Tu chipotes. » Lestrade cacha son sourire derrière une main pensive qui reposait sur la moitié inférieure de son visage. « Mais je pense que je peux les convaincre. Ils sont probablement déjà débordés. Donnell était un peu touche à tout.

- On va avoir besoin de la liste d'Alistair avant de pouvoir commencer. » Sherlock tapa un doigt irrité contre le tableau.

« Bien, tu peux finir ton rapport sur l'affaire Brummer alors. » Lestrade tapa Sherlock sur l'épaule. « Allez, oust.

- Je vais continuer de travailler sur les os du Mayfair. » John se défila avant que Sherlock n'essaie de l'amadouer pour qu'il fasse son rapport à sa place.

Quand il avait appris qu'on lui assignait un bureau, il avait d'abord été un peu contrarié d'être mis à l'écart du reste de l'équipe. Au cours des deux ans qui avaient suivi son entrée officielle au département, il avait commencé à aimer de plus en plus cette porte qui l'enfermait loin de la folie extérieure. C'était habituellement le seul moment dans la journée où il ne voyait pas Sherlock, ce qui lui donnait un peu de temps pour réaffirmer sa propre identité et progresser sur un travail qu'il avait appris à aimer malgré lui.

Les os du Mayfair avaient été découverts un an auparavant sous un chantier nommé d'après sa localisation géographique. L'enchevêtrement de fémurs, de crânes et de fragiles os de la main appartenaient à trois corps différents et incomplets. Les deux crânes montraient des signes de grande fragilité, ce qui les avaient amené à être déposés sur le bureau de John emballés soigneusement dans du coton. Il avait travaillé dessus sans relâche au départ, mais il ne restait plus aucune preuve pour avancer. Cependant, il se sentait dédié aux pauvres os perdus et les sortait de temps en temps pour vérifier qu'il n'était pas passé à côté de quelque chose.

« Voyons ça 5A », dit-il gentiment en sortant un long fémur de son étagère climatisée. « J'ai fait un peu de lecture et j'ai un nouveau test à te faire passer. »

Il passa quelques heures tranquilles à essayer de déterminer s'il y avait une possible consommation de drogue. Il était justement en train de considérer une pause déjeuner quand la porte s'ouvrit à la volée, révélant une montagne de papier et des boucles brunes ébouriffées.

« On a une piste, John. Dépêche-toi !

- Une piste pour quoi ? » Il prit son manteau sur le crochet et suivit Sherlock hors de son bureau.

« Sur le sort de James Westin, quoi d'autre ? » Sherlock soupira, exaspéré. « Les premiers rapports d'Alistair n'aboutissaient à rien et j'ai réalisé que mon hypothèse n'était pas la bonne. Les kidnappeurs n'étaient peut-être pas suffisamment bons pour simuler une adoption. Il est possible qu'ils aient utilisé le garçon en remplacement de leur enfant biologique.

- Oh mon Dieu. Tu penses qu'ils ont tué leur propre fils ?

- Possible, j'ai besoin de plus d'informations. » Sherlock ouvrit la porte donnant sur le couloir. « Avec un déménagement et de nouveaux emplois ils auraient peut-être pu le faire. La famille proche l'aurait remarqué, donc c'est peu probable que le couple en ait. Tous les liens qu'ils auraient formé avant seraient coupés jusqu'à ce que le garçon soit assez grand pour que les changements dans l'apparence du garçon puissent être dus à l'âge.

- Merde. » John passa une main sur le visage. « Ça ne cessera jamais de m'étonner à quel point les gens peuvent être dérangés.

- Plutôt désespérés je dirais. » Lestrade sortit de son bureau vêtu d'une veste. « Vers où se dirige la piste, alors ?

- On n'a pas besoin de toi, cracha Sherlock.

- Et pourtant je suis là. Incroyable. Lestrade sourit. Mon département. J'ai le droit d'aller où je veux, sergent. On va où alors ?

- Imperial College

- Quoi… à Londres ? grogna John. Pourquoi est-ce qu'ils reviendraient ? Qu'en est-il de tout ce que tu as dit avant à propos d'éviter d'être reconnus ?

- Notre motif préféré. » Sherlock marchait dans le couloir, son manteau flottant derrière lui d'une manière dramatique. « L'égo !

- Vous avez un motif préféré ? » Demanda Lestrade, un sourire commençant dangereusement à apparaitre sur ses lèvres.

- Ne commence pas », grommela John, enfonçant fermement ses mains dans les poches. « C'est une longue histoire. »

Ils s'entassèrent dans la voiture, Lestrade derrière le volant et John relégué à l'arrière. Il détestait être à l'arrière – c'était plein de mauvais souvenirs, de poignées de portes manquantes et de l'odeur persistante des ivrognes qui y avait séjournés – mais les longues jambes de Sherlock lui donnaient accès à l'avant à chaque fois.

« Alors, qui va-t-on interroger ? » Demanda Lestrade en s'insérant dans le trafic.

« Le professeur Alexander Moriarty. » Sherlock se frotta les mains. « Nouvellement nommé au département des mathématiques à l'université, dû en grande partie à l'apport d'une preuve dans la conjecture jacobienne. Sa carrière avant ça était banale. Il a cependant un fils de neuf ans appelé James. Son acte de naissance indique Cardiff et il est entièrement scolarisé à la maison par sa mère. Elle est insignifiante, existe à peine en dehors de quelques petits boulots dans des magasins avant de se marier. »

John tira sur sa ceinture jusqu'à ce qu'il puisse se pencher en avant. « Pourquoi n'allons-nous pas directement chez eux alors ?

- On fait ça dans les règles, John », réprimanda Sherlock, les yeux écarquillés par l'incrédulité. « Je ne peux pas affronter une mère aimante et son pauvre enfant sans preuves solides.

- Fous-toi de ma gueule, mais je te garde quand même, au cas où. » La voiture changea de voie brusquement, jetant Sherlock contre la fenêtre.

« Non vraiment, pourquoi on fait ça ? Demanda John.

- Parce que j'ai besoin de le distraire pendant que tu vas parler à la mère. Ils ont un appartement pas loin de l'université.

- Tu te rappelles que John n'est pas autorisé à enquêter ?

- Il en est plus que capable. » Il rencontra les yeux de Sherlock dans le rétroviseur. « Si elle contacte son mari avant qu'on n'ait le temps de lui parler, on perdra des preuves fondamentales. Ils peuvent se mettre d'accord sur une version de l'histoire.

- Très bien. » Lestrade tourna brusquement. « Je vous dépose tous les deux et vous pouvez parler à la mère ensemble et je vais interroger notre professeur.

- Mais…

- Pas de protestations », dit Lestrade sèchement et dans le rétroviseur John put voir une lueur de satisfaction sur le visage de Sherlock. Bien sûr. De la manipulation. « Je suis encore ton supérieur, Sherlock.

- Comment pourrais-je oublier quand tu me le rappelles constamment ? » Sherlock s'affaissa négligemment contre la porte.

- Tu l'as demandé. »

John grogna doucement. C'était le coup de maître de Lestrade, de rappeler à Sherlock qu'il avait été forcé de choisir un mentor. Le commissaire allait difficilement donner un département nouvellement créé à quelqu'un d'aussi jeune et avec autant de défauts bien connus, peu importe sa brillance.

- Et chaque jour je le regrette, siffla Sherlock.

- Ce n'est pas vrai, rit Lestrade. Imagine ce que ça serait avec un vrai patron. Tu remplirais de la paperasse jusqu'à la fin du monde. »

Plus personne ne parla jusqu'à ce que Lestrade ne s'arrête pour les laisser sortir. Sherlock s'élança de son siège en un éclair, ouvrant la porte de John avec panache. Heureux d'être libre, John se laissa trainer sur le trottoir loin des avertissements que Lestrade leur criait.

« Il t'aurait laissé interroger la mère en premier, si tu lui avais demandé.

- Et où est le plaisir dans tout ça ? » Sherlock sourit, montant les marches pour frapper à la porte.

- Qui est-ce ? » Une voix féminine filtrait à travers le bois.

« Police. » Il montra sa carte devant le judas.

« Qu'est-ce que vous voulez ? » Elle parlait du nez, comme si elle avait eu un mauvais rhume.

« On a seulement besoin de vous poser quelques questions. » Un faux sourire illumina le visage de Sherlock comme si c'était Noël. « Juste une minute.

- Vous pouvez revenir demain ?

- J'ai peur que non. » Sherlock laissa son sourire s'assombrir légèrement. « C'est une affaire d'une certaine importance.

- Je ne pourrais pas…, elle renifla bruyamment. S'il vous plait, revenez demain. J'ai tellement de choses à faire…

- Mme. Moriarty », grogna Sherlock, laissant tomber toute prétention de convivialité, « je ne souhaite pas faire une scène devant votre porte, mais je le ferai si nécessaire. »

Le verrou tourna avec un bruit sourd et la porte s'ouvrit. Une petite femme tenait fermement un peignoir violet autour d'elle. Des demi-cercles de la même couleur que celui-ci reposaient lourdement sous ses yeux et ses cheveux plats lui tombaient sur le visage. Une légère odeur de chlore flottait dans le couloir sombre derrière elle.

« Je suis le docteur John Watson et voici le sergent Sherlock Watson. » John lui tendit sa main qu'elle serra légèrement. Sa peau était froide et moite. « Nous sommes désolés d'interrompre votre journée, mais c'est vraiment important. Peut-on entrer ? »

Elle se retourna et traversa le couloir sans un mot. C'était assez proche d'une invitation pour que John se sente assez à l'aise pour entrer, Sherlock derrière lui. Le couloir sombre donnait sur une toute petite mais très propre cuisine. Tout était parfaitement rangé à sa place, l'odeur persistante de chlore combattant celle de javel.

« Je n'ai pas de thé. » Elle renifla à nouveau, sortant un mouchoir de la manche de son peignoir puis se moucha. « Je suppose que je peux faire du café.

- Ce n'est pas la peine, vraiment. » Il y avait une table avec trois chaises en bois brillant. John s'assit sur une et sourit quand elle en prit une autre. Sherlock resta debout, les yeux survolant la pièce.

« Alors, de quoi s'agit-il ? » Elle jeta un regard méfiant à Sherlock.

« Depuis combien de temps habitez-vous ici, Mme. Moriarty ? demanda John.

- Six mois, presque sept. » Ses doigts s'enfonçaient dans les profondeurs de son peignoir, en retraite. « Alex s'est vu proposé un emploi ici et Londres nous manquait à tous les deux.

- Alex est votre mari ?

- Oui. » Elle eut un sourire tendu et fugace. « On s'est rencontrés à Londres.

- Et que fait-il dans la vie ?

- Il est professeur. Y a-t-il une raison à tout cela ?

- Et qu'en est-il de votre fils ?

- Qu'est-ce qu'il y a avec lui ? » Ses yeux se plissèrent. « Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Pourquoi dites-vous ça ? » Sherlock bondit, les yeux brillants. « A-t-il souvent des problèmes ?

- Jamie est un bon garçon. » Elle se moucha à nouveau, puis garda le tissu en boule dans sa main. « Mais il peut être très difficile. Il ne s'entend pas avec les autres enfants. Je lui donne des cours à la maison du mieux que je peux.

- Comment est-il censé s'entendre avec d'autres enfants s'il n'est jamais avec eux ? poussa John.

- Il fait partie d'une équipe de natation avec d'autres garçons et il a des leçons de musique. Il joue merveilleusement bien au piano. » L'ombre d'un sourire apparut au coin de ses lèvres. « C'est plus facile pour lui quand il y a quelque chose à faire. Les autres garçons veulent toujours parler. Jamie ne veut pas.

- Est-il violent ? » insista Sherlock et son sourire disparu.

« Non. » Elle fixa le mouchoir dans sa main comme s'il avait la réponse.

« C'est important que vous ne nous mentiez pas, Mme. Moriarty. » Sherlock s'avança, les yeux brillants de menaces muettes. Elle recula contre le mur. « Ceci est vraiment important.

- Je ne mens pas. » Elle sanglota à moitié. John donna un coup de pied à Sherlock sous la table. « Il ne ferait du mal à personne. C'est juste que… il a cette façon de vous regarder.

- Quelle façon ? » Sherlock lança un regard noir à John, mais se recula et adoucit sa voix.

« Ça n'a pas d'importance. » Elle s'essuya le visage avec sa manche.

« Peut-on lui parler ? demanda John. Seulement pour une minute et vous pouvez être présente.

- Je… vous ne m'avez toujours pas expliqué pourquoi vous êtes là.

- Laissez nous parler à Jamie une minute. S'il peut répondre à quelques questions pour nous, tout s'arrangera. » Sherlock jeta un coup d'œil à John puis ajouta gentiment, « s'il vous plait.

- Seulement pour une minute. » Elle se leva et monta les escaliers.

« Qu'est-ce que tu en pense ? chuchota John.

- Violences conjugales, répondit Sherlock, catégorique. Verbale la plupart du temps, quelques gifles quand les mots ne fonctionnent pas. Elle est dépressive, potentiellement suicidaire. Pas aussi paranoïaque qu'elle devrait l'être compte tenu de l'énormité du secret qu'elle garde.

- Elle a l'air fatigué. Peut-être qu'elle veut se faire prendre. Ça ne serait pas la première fois. »

De légers bruits de pas se firent entendre dans l'escalier. Mme Moriarty soupira doucement et fit un geste vers les marches.

« Viens Jamie. » Elle avait un sourire faux, d'une luminosité fragile.

Le garçon qui apparut semblait encore plus fragile que sa mère, si c'était possible. Il était fait d'os délicats et d'une peau pale. Son épaisse chevelure brune et hirsute lui tombait sur les oreilles, accentuant son large front et son nez très pointu. Ses yeux étaient d'un brun foncé insondable, s'agitant lorsqu'ils rencontrèrent John et Sherlock, les jaugeant. Les restes jaunissant d'un hématome encerclaient son poignet gauche. Sans réfléchir, John s'agenouilla et l'examina.

« Excuse-moi, je peux ? » demanda-t-il, tendant ses doigts vers la main du garçon.

« Ce n'est rien », protesta Mme Moriarty faiblement. Elle n'offrit aucune excuse, aucune histoire.

« Je vais seulement jeter un coup d'œil », dit-il avec sa meilleure voix de médecin, capturant le regard fuyant du garçon. Après quelques secondes tendues, il hocha légèrement la tête. « Merci. »

Il prit le poignet délicat, remarquant clairement l'emplacement où des doigts avaient appuyé trop fort.

« Est-ce que c'est le seul, demanda John doucement.

- Bien sûr que non, grogna Sherlock. Ne pose pas de questions stupides, John. »

Le visage du garçon s'illumina d'un sourire en dent de scie et un petit rire étouffé sortit de sa gorge. Penchant la tête d'un côté, Sherlock s'accroupit et plongea son regard dans celui de Jamie. Ils se fixèrent un long moment. Doucement, Sherlock attrapa le bout du pull de Jamie et remonta la manche sans quitter son regard perçant.

La peau de porcelaine du bras de Jamie était tachetée de brulures de cigarette, facilement reconnaissable à leur forme. Des ecchymoses noires, bleues, vertes et grises apparaissent entre les brulures. Quelqu'un l'avait tenu fermement, puis l'avait brulé. Une des brûlures semblait même infectée. John se releva doucement, se tournant vers une Mme Moriarty maintenant tremblante.

« Depuis combien de temps ça dure ? demanda-t-il.

- Des années. » Des larmes jaillirent du coin de ses yeux mais elle ne fit aucun effort pour les essayer. « C'est un enfant tellement difficile, vous ne pouvez pas imaginer. A quel point il peut être cruel, horrible. Il sait des choses sur les gens, des choses terribles, des secrets privés… Il parlait tout le temps, s'en prenait à nous… J'ai dû l'arrêter. Le faire taire. Le faire arrêter de voir.

- Vous avez fait ça ? » John la dévisagea. Cette petite, fragile et tremblante femme et sa peur meurtrière.

« Je m'occupe de Mme Moriarty. » Sherlock se leva faisant écran entre la colère de John et la femme en pleurs. « Emmène le garçon en-haut. Prépare lui un sac, il ne restera pas ici cette nuit.

- J'appelle l'aide sociale à l'enfance.

- Je m'en occupe. Emmène-le à l'étage », répéta Sherlock, calme et sérieux. « Maintenant, John.

- Bien. » Il se tourna vers Jamie. « Tu peux me montrer ta chambre ? »

Jamie se précipita en haut des escaliers et John le suivit dans une chambre petite et étrange. Les murs retinrent d'abord l'attention de John. Des écritures se glissaient sur la peinture blanche dans tous les endroits qu'un enfant pouvait atteindre. Equations sur équation, des nombres serrés, tracés en noir, bleu ou rouge. C'était une décoration bizarre, qui jurait avec la pièce autrement immaculée avec ses draps blancs et son mobilier fonctionnel. Il n'y avait aucune trace du garçon qui vivait ici en dehors des équations. Quelqu'un avait essayé de l'éloigner.

Jamie sortit un sac de voyage de sous son lit. Il puait le chlore et la moisissure. Des vêtements étaient soigneusement empilés à l'intérieur, des chaussettes, des sous-vêtements, des t-shirts et des pantalons. Rapidement, Jamie y ajouta une pile de papier elle aussi remplie d'équations et des stylos.

« Depuis combien de temps es-tu prêt à partir ? » demanda John quand Jamie referma à nouveau le sac. Le garçon lui fit un autre petit sourire surexcité puis passa la sangle de son sac sur sa poitrine mince. « Tu es sûr qu'il n'y a rien d'autre que tu veuilles emmener ? »

Jamie hésita, regardant attentivement John. Il semblait peser le pour et le contre. Finalement il fouilla sous les couvertures blanches du lit et en sortit un animal en peluche meurtri. Il lui manquait un bout d'oreille pointue et ses yeux en verre étaient plusieurs fois rayés, mais on devinait toujours encore que c'était un loup.

« Il peut certainement venir. » John déglutit, se battant avec la brûlure qu'il ressentait dans la gorge. « Il a un nom ? »

Jamie hocha la tête mais ne dit rien. Il glissa le loup dans son sac. A l'extérieur, des lumières bleues et rouges commençaient à clignoter, mettant de la couleur sur les écritures des murs. Ils descendirent ensemble l'escalier jusque dans le hall vide. John ouvrit le placard et trouva une veste de la taille d'un enfant. Il la tendit à Jamie qui la regarda avec répugnance, puis l'enfila. Les manches étaient trop courtes, s'arrêtant quelques centimètres au-dessus de ses poignets.

« Ça ne va pas. » John enleva sa propre veste. « Tiens, on échange. »

Jamie souleva un sourcil, exprimant exactement ce qu'il en pensait.

« Je te promets que je ne vais pas essayer de mettre la tienne. Je peux te dire que ton sens de l'humour est plus sophistiqué que ça. » Il sourit. « Allez. »

Jamie ôta sa veste et accepta le caban gris acier de John que Sherlock lui avait acheté sur un coup de tête il y a des années. Il enveloppa le garçon et John dut s'agenouiller pour replier les manches afin de libérer les mains de Jamie. Ensemble, ils sortirent dans le chaos de la rue. Mme Moriarty a été mise à l'écart à l'arrière d'une voiture, la tête baissée et les épaules agitées. Sherlock parlait avec animation avec plusieurs agents en uniformes, s'arrêtant au milieu de sa gesticulation lorsqu'il remarqua John.

« Lestrade est en chemin. Le professeur clame son innocence, que ce soit pour les violences ou pour l'enlèvement. Sherlock grimaça. Elle ne parle plus, maintenant. Je reste ici pour vérifier la maison. Je suis sûr qu'on peut trouver assez de preuves pour tout ça. J'ai besoin de toi pour prendre soin du garçon.

- Très bien, qui est là pour le prendre, alors ? » Il ne voulait pas spécialement remettre le pauvre gamin à quelqu'un d'autre, mais ça faisait partie du travail. Ils avaient de la chance, d'une certaine façon, de ne travailler d'habitude qu'avec des morts de longue date. Ca les gardait isolés de la réalité douloureuse des crimes qu'ils résolvaient.

« On l'emmène chez nous. » Sherlock s'agenouilla à nouveau, cherchant à croiser le regard de l'enfant. « Personne d'autre ne peut s'occuper de lui.

- Ce n'est pas à nous de décider, dit John sèchement. On ne peut pas l'emmener comme ça à la maison.

- Il le faut. » Un sourire étrange, léger orna le visage de Sherlock, mi-complice, mi-triste. C'était une nouvelle expression et elle remua légèrement John. « Jamie est extraordinaire. Il va avoir besoin de parents extraordinaires.

- Des parents ? » John se sentit défaillir. « Sherlock, tu ne peux pas juste…

- Sergent ! » Lestrade sortit de sa voiture, le visage rougit. « On avait dit un interrogatoire tranquille.

- Ce garçon a des marques laissant présager des violences physiques de long terme. » Sherlock ne se releva pas, ne détourna pas son regard du visage de Jamie. « Sa mère a avoué être à l'origine des brulures et des ecchymoses. Tu aurais préféré que je le laisse ici ?

- Non… non bien sûr que non. » Lestrade soupira longuement. « Tu aurais pu m'en parler au téléphone. Nous allons devoir emmener le professeur pour un interrogatoire alors. Le garçon va devoir être placé pendant quelques jours.

- Il vient à la maison avec nous. » Sherlock se releva en un clin d'œil, la coupe dramatique de son manteau cachant Jamie.

« Tu ne peux pas le prendre comme ça ! » Lestrade jeta un coup d'œil à John qui haussa les épaules en signe de sa confusion. « Pourquoi tu veux faire ça ?

- Est-ce important ? Nous sommes deux adultes capables. On peut s'occuper de lui aussi bien que n'importe qui d'autre. »

Il y eu une longue pause pendant laquelle Lestrade, John et peut-être même Sherlock absorbèrent la démesure de cette déclaration. Quelque chose tira sur le bout de la manche de John. Il baissa le regard pour trouver Jamie qui le fixait, inexpressif.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-il doucement.

Jamie glissa sa main droite dans la gauche de John et la serra légèrement.

« Non », dit Lestrade fermement quand John releva la tête vers lui. « Ce n'est pas un chien qui vous suit jusqu'à la maison. Vous ne pouvez pas le prendre comme ça. Il y a des lois. Des règles.

- Appelle Mycroft », dit Sherlock d'un ton mesuré et prudent.

« Appelle le toi, renifla Lestrade. Si c'est si important pour toi, alors dépasse cette rancœur que tu cultives depuis des années.

- Très bien. » Sherlock sortit son portable de sa poche. « J'espère que j'interromps quelque chose d'une importance nationale.

- Je vois vraiment ce que je crois que je vois ? » Lestrade fit semblant de murmurer quand Sherlock composa le numéro.

« Ça a été une journée très bizarre. John ferma les yeux brièvement. Même de notre point de vue. »

De loin, la conversation de Sherlock ne transparaissait que dans les mouvements furieux de sa main libre. Faire la paix n'avait jamais été le point fort de Sherlock, mais il avait apparemment trouvé quelque chose de plus important que son propre ego. Curieux, John regarda à nouveau vers Jamie. Pourquoi cet enfant ? Pourquoi maintenant ?

« Tu ne sais pas à quel point tu es extraordinaire », dit John doucement. Jamie ne leva pas les yeux, ne faisant pas attention à John. Toute son attention était tournée vers Sherlock, comme s'il était l'adorateur patient d'un nouveau dieu. John laissa échapper un soupir. Ouais. Je connais ce sentiment.

Quelque soit le deal que Sherlock avait passé avec Mycroft, celui-ci l'avait laissé aigri et hargneux. Il parqua John et Jamie dans un taxi sans leur laisser le temps de poser des questions. En arrière-plan on pouvait entendre Lestrade aboyer des ordres. Jennifer sortit d'une autre voiture, prenant tout de suite des notes dans son petit carnet. Elle fit un signe à John et le taxi démarra.

« Je ne sais pas comment ça va se passer », dit John plus pour lui que pour le garçon, « mais je vais faire de mon mieux. »

Jamie hocha la tête, puis se tourna pour regarder par la fenêtre. Il agrippait fermement son sac. Il regardait le paysage et restait étrangement silencieux. John, pour sa part, passa tout le trajet à s'inquiéter de l'état de l'appartement. Ce n'était pas un endroit pour un enfant. Ils n'avaient même pas de deuxième chambre, seulement le canapé-lit qui servait de chambre provisoire à Harry. Il aurait dû l'appeler.

Il retrouva sa bonne humeur quand ils arrivèrent, payant le chauffeur avec l'argent qui apparaissait occasionnellement dans ses poches. Avec la désinvolture de ceux qui n'ont jamais manqué de rien, Sherlock glissait toujours des pièces dans des endroits bizarres. « Allons t'installer puis on pourra peut-être manger quelque chose. »

Au grand soulagement de John, Harry avait débarrassé le canapé et semblait totalement absente de l'appartement, probablement pour se préparer à annoncer la nouvelle à leur mère. Elle avait laissé le canapé-lit ouvert, mais parfaitement fait.

« C'est le tien pour le moment. » Il fit un geste vers le lit déplié. « Désolé, nous n'avons pas de deuxième vrai lit. »

Pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, Jamie s'éloigna de lui pour inspecter le canapé. Il en fit le tour, l'inspectant sous tous les angles. Il posa ensuite son sac au pied du lit, enleva ses chaussures et monta dessus. Après quelques mouvements maniaques, il souleva les couvertures et se glissa en dessous.

« Tu n'es pas obligé de dormir maintenant. » John lissa nerveusement les draps. « Sauf si tu veux faire une sieste ? »

Jamie mit un coussin sous sa tête puis remonta les couvertures de sorte à ce que seul une touffe de cheveux foncés dépassée. Ses yeux se fermèrent paresseusement. Même sous les couvertures John pouvait voir la courbe tendue de son corps devenir paisible et se relâcher. John supposa que tout le monde faisait face aux traumatismes différemment. Il se retira sans bruit vers la cuisine. Peut-être Jamie avait-il senti qu'il était arrivé à un moment de tranquillité dans sa dure vie et avait décidé d'en profiter. Sherlock avait dit qu'il était brillant.

Heureusement, John avait de l'expérience en ce qui consistait à faire la cuisine sans un bruit. Il avait pris l'habitude de traiter le sommeil de Sherlock comme quelque chose de sacré, surtout après les périodes où il en manquait. Après avoir parcouru leur étagère pathétique de nourriture toute prête, John opta pour du pain perdu. Le petit-déjeuner était toujours sa spécialité après tout. Sur un coup de tête, il décida de couper le pain en X et Y.

Le léger touché d'une main sur sa taille le prit au dépourvu et il faillit renverser la poêle. Jamie le regarda surpris. Le sommeil avait modelé ses cheveux en pics fous du côté gauche de sa tête.

« Désolé, désolé ! » John rit, le souffle court. « J'étais trop concentré, tu m'as surpris. J'espère que tu aimes le pain perdu. »

Jamie regarda pensivement la nourriture, puis haussa les épaules.

« Eh bien, assieds-toi alors. Je te prépare une assiette. »

Ils se retrouvèrent vite installés à la table de la cuisine avec chacun une portion. John versa du sirop généreusement sur son propre pain puis passa la bouteille à Jamie pour qu'il se serve. Avec une précision minutieuse, il coupa un trou au milieu de son pain et y versa le sirop. Puis il prit de petits bout au bord, les trempant chacune au centre.

« Tu peux parler si tu veux. » John mordit dans une saucisse, essayant de se rappeler ce qu'il avait appris sur les traumatismes psychologiques au cours des années. « Personne ne te fera du mal ici. Tu n'auras pas de problèmes si tu parles. »

Jamie le regarda avec méfiance par-dessus son plat.

« Je le pense vraiment. Tu devrais entendre certains trucs que Sherlock m'a dits au cours des années. Des choses horribles, affreuses. Et j'en ai dit quelques-unes en retour. » Il prit une gorgée de son thé. « On n'a jamais levé la main l'un sur l'autre quand on était en colère. Je te promets que tu es en sécurité ici. Tu n'es pas obligé de parler si tu ne veux pas, mais tu peux. Quand tu veux. »

Avec les dents pointues de sa fourchette, Jamie harponna un bout de pain et le fixa pendant un long moment. Il haussa les épaules puis hocha la tête comme s'il faisait une faveur à John en y réfléchissant.

« Je dois admettre que je n'ai aucune idée de ce qu'on pourrait faire après ça. Il n'y a pas grand-chose ici qui pourrait amuser un enfant. » Les quelques cassettes vidéos qu'ils possédaient étaient pour un public plus mature, leur bibliothèque remplie de livres pour un certain génie adulte et tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un jouet étaient très probablement une expérience dangereuse. Il y a cependant eut une affaire assez bizarre il y a quelques mois qui les avaient laissé avec un assortiment de fournitures d'art. « Tu aimes la pâte à modeler ? »

Léchant une goutte de sirop sur sa main du bout de la langue, Jamie le considéra d'un absent.

« Eh bien, on peut commencer avec ça et voir comment ça évolue. »

Quand John se leva pour débarrasser, Jamie fit de même, lui tendant les plats de la table. Il prit un torchon taché qui pendait à la poignée du four. John sourit et commença à laver les plats, les passant à Jamie pour qu'il les sèche. Quand ils eurent fini John sépara les cahiers du journal du dimanche pour les étaler sur la table. La boite de fournitures d'art était déjà recouverte d'une fine couche de poussière, mais la pâte à modeler avait bien été emballée dans du plastique et seulement quelques bouts sont devenus durs.

« Qu'est-ce qu'on doit faire ? »

Jamie prit un gros morceau de pâte rouge et le serra fortement dans la main jusqu'à ce qu'il sorte entre ses doigts. Puis il le reforma avec précaution dans la forme rectangulaire où il l'avait trouvé. Il répéta ce cycle de création et de destruction pendant quelques minutes avant de finalement s'arrêter pour examiner les sculptures brouillonnes de John. Il avait roulé la pâte pour faire des vers puis les avait assemblés en structures moléculaires familières : fer, oxygène et caféine.

« Je ne suis pas vraiment un artiste, admit-il, mais j'aime leur apparence et elles sont faciles à faire. »

Jamie attrapa à nouveau la pâte à modeler, travaillant plus rapidement cette fois, il avait clairement un but. Il imita les longs vers de John, construisant une échelle. Quand il eut fini, il la souleva de la table et la fit pivoter doucement

« C'est brillant ! » John sourit avec stupéfaction. « De l'ADN. Tu as même le bon nombre de pair de base. »

Jamie fronça les sourcils, regarda sa création puis leva le regard vers John. Il avait une expression que John n'avait pas vue depuis des années mais elle restait douloureusement familière. Jamie ne savait pas comment accepter un compliment.

« Sherlock a des livres énormes sur l'ADN. Tu veux jeter un coup d'œil ? »

Jamie hocha doucement la tête, laissant le modèle s'écrouler sur la table. Il leva ses mains tachées d'argile.

« Je suppose qu'on ferait mieux de se laver d'abord. Viens. »

Il fallut quelques efforts pour nettoyer toute la pâte de sous leurs ongles, mais Jamie avait refusé de bouger de l'évier temps que John n'avait pas réussi à déloger le dernier bout têtu. John se promis de se rappeler d'acheter des crayons qui laissaient des marques moins durables ou de commencer un stock de savon. Il essaya de chasser cette pensée mais elle s'enracina et germa. Faire des plans sur le long terme était une mauvaise idée, se rappela-t-il, quand il localisa un des livres de chimie les plus colorés de Sherlock

Ils s'assirent parterre, adossé au canapé. Les illustrations colorées retenaient l'attention de Jamie et John essaya de rendre le texte compréhensible pour lui. C'était difficile de dire ce qu'il comprenait, mais John ne voulait pas trop simplifier. Il se souvenait à quel point il détestait qu'on lui parle comme ça quand il était enfant.

« … et voilà ce qui se trouve dans l'air que nous respirons. » Il était en train de conclure quand un cliquetis inimitable de clés signala le retour de Sherlock. Jamie se raidit.

La porte s'ouvrit et Sherlock entra comme d'habitude telle une tempête, enfonçant ses gants et ses clés dans les poches de son manteau avant de le jeter sur le crochet. Il se retourna lentement, examinant la scène avec une légère surprise. L'affection se battait avec de la rage dans la poitrine de John, mais il sourit seulement et poussa le livre entièrement sur les genoux de Jamie.

« Salut, catastrophe. » Il se leva. « Tu as tout arrangé ?

- Pas vraiment. » Les lèvres de Sherlock se serrèrent. Il pouvait toujours sentir la colère et l'irritation de John. Même maintenant alors que son esprit se repassait la journée pour essayer de trouver où tout coincé. L'affaire n'avait fait que devenir plus compliquée.

« Les détails pour plus tard, hein ? » John jeta un coup d'œil vers Jamie qui était encore une fois en train de regarder Sherlock attentivement. « Qu'est-ce que tu veux pour le diner ?

- Pas faim.

- Je vais seulement préparer quelque chose pour Jamie et moi alors.

- Ne l'appelle pas comme ça. » Sherlock s'accroupit à côté de Jamie. L'ombre d'un sourire ornait les lèvres du garçon, le premier que John vit de toute l'après-midi. « C'est comme ça que sa mère l'appelait.

- Pardon ? Comment je dois l'appeler alors ? James ? » Le nom était lourd et épais dans la bouche de John. James Watson était mort depuis douze ans, mais les conséquences lui restaient en mémoire.

« Pourquoi tu ne lui demande pas ?

- Il ne parle pas. Je lui ai dit qu'il pouvait. »

Une expression compliquée passa brièvement sur le visage de Sherlock, brute, spontanée et intraduisible.

« Même. Jamie, ça ne va pas. » Sherlock pencha la tête en arrière pour regarder le plafond, oubliant le garçon qui le regardait avec intensité. « Quelque chose d'autre.

- On ne pas juste le renommer.

- Il y a ces choses qui s'appellent des surnoms, Johnny », débita Sherlock d'une voix trainante, le ton qu'il gardait pour quand il chercher une dispute.

« Ne fait pas ça », dit John fermement.

John se retourna, battant en retraite dans la cuisine pour panser ses blessures. Johnny était pour sa mère, pour Harry. Pour le genre de famille qui décortique votre peau puis y enfonce ses ongles. Il était toujours John pour Sherlock. Il roulait son nom de façon séductrice, plein de considération et qui se tournait en un Jawn plaintifs les mauvais jours. Pendant qu'il fouillait dans les placards pour un pot de sauce tomate, John serra les dents et se rappela qu'il avait choisi tout ça. Avec précaution, il sortit une casserole et la remplit d'eau. D'après les règles de Sherlock, il avait été fairplay. Il ne savait pas pourquoi John était en colère donc il cherchait une raison pour rendre John encore plus irritable. S'il pouvait le provoquer au point de crier, alors il n'avait plus tort. Résistant à peine à la tentation de jeter la casserole par terre, John choisit de mordre durement un doigt, arrachant une cuticule lâche.

« Tu ne devrais pas faire ça. » Un long bras serpenta autour de sa taille, le poussant fermement contre un corps grand et chaud.

« Tu es un vrai connard. » Mais le corps de John le trahissait, se détendant contre la chaleur familière de Sherlock. « Où est Jamie ?

- Occupé. » Des lèvres froides se déposèrent sur la nuque de John.

« Tu ne peux pas juste prendre des décisions pour nous comme ça. C'est important Sherlock. On ne peut pas accueillir un enfant quand tu le veux sans discussion. Tu n'as même jamais dit que tu voulais des enfants. » Il bascula la tête en arrière, croisant le regard confus de Sherlock. « J'avais tiré un trait sur cet aspect de ma vie il y a des années.

- Je ne veux pas d'enfants, John. » Prononcer son nom était une forme d'excuse, une caresse. « Je n'en ai jamais voulu. Mais cet enfant a besoin de nous.

- Tu as déjà dit ça avant. Pourquoi ?

- S'il se fait embarquer dans le système ça va le ruiner. Il est brillant. Comment peux-tu laisser cette responsabilité à des imbéciles et le regarder devenir lui-même idiot à cause de ça ? » Sherlock fit un petit bruit de frustration. Ou pire. « Il pourrait être… il pourrait être tant de choses.

- On ne ressemble pas vraiment au modèle standard des parents.

- Alors on sera un nouveau modèle. » Sherlock baissa son visage dans les cheveux de John, cachant son expression. De la manipulation. « Il n'est pas ordinaire, et nous non plus.

- Je ne sais pas pourquoi c'est tellement important pour toi. » John tendit sa main pour la mettre sur la mâchoire de Sherlock. « Tu dois réfléchir à ça. Si ça se produit effectivement, tout va changer. Plus de course poursuite ou s'amuser à risquer nos vies. Quelqu'un va devoir rester à la maison avec lui jusqu'à ce qu'il puisse aller à l'école. Si on peut le mettre à l'école. Tout sera différent.

- C'est le nôtre, John. J'aimerai que tu puisses… c'est aussi clair pour moi que n'importe quelle solution à une affaire. Encore plus clair. » Sherlock émit un son ennuyé. « Evident.

- Je ne vais pas chambouler toute notre vie ensemble pour quelque chose que tu ne peux pas expliquer. » John caressa la pommette gauche de Sherlock avec son pouce. « Mais il peut rester pour le moment, d'accord ? Jusqu'à ce qu'on résolve tout ça.

- Bien. » Sherlock s'éloigna doucement. « Tu finiras par être d'accord.

- Laisse-moi l'illusion d'une liberté de choix.

- Tu me choisis moi. Tout le temps. » Sherlock se pencha pour déposer un baiser sur le front de John. « Ce n'est pas une illusion.

- Tu devrais manger quelque chose.

- Ça ne va pas arriver. » Ils se sourirent frénétiquement avant que Sherlock ne sorte de la pièce.

John regarda furtivement Sherlock se glisser sur le sol à côté du garçon. Jamie ne ressemblait pas à Sherlock, pas vraiment, mais d'une certaine façon ils semblaient liés. C'était peut-être leurs yeux frénétiques ou leur façon bizarre de pencher la tête comme s'ils écoutaient un son que personne d'autre ne pouvait entendre. L'eau bouillit et John y glissa de longs brins de pâtes cassants. Ils ramollirent lentement, ondulant dans l'eau.

Le téléphone sonna, marquant la fin de sa méditation sur la possible métaphore que représentaient les pâtes. Il décrocha d'un air absent.

« Allo ?

- Vous êtes Docteur Watson ? » demanda une voix solennelle et précise.

« Oui, c'est moi. Qu'y a-t-il ?

- Inspecteur Dimmock. J'appelle par rapport à une enquête. »

C'était forcément à propos de Moran. John ferma les yeux et se concentra pour respirer profondément.

« Quelle enquête ?

- Les os du Mayfair. J'ai été informé que c'était vous qui vous y connaissiez le mieux.

- Oh, pour ce qu'on peut savoir avec aussi peu de preuves », il riait pratiquement, étourdi par le soulagement. « On a découvert quelque chose de nouveau ?

- C'est peu dire. » Dimmock déglutit difficilement. « Nous avons trouvé le site principal d'enterrement des corps. Même cause de la mort, un coup sur la tête. Seulement certains ne sont pas entièrement décomposés.

- Ça ne peut pas être le même tueur. » John fronça les sourcils, jetant un coup d'œil dans le salon. Sherlock et Jamie étaient toujours absorbés par le livre, mais il baissa quand même la voix. « Les os du Mayfair ont plus de trente ans.

- Tout comme la décharge. On a toutes les étapes de la décomposition là-bas. De squelette à cadavre. Le légiste estime que le plus récent a deux mois.

- Combien y en a-t-il ? » La crainte revenait, mais sur un autre sujet. Combien de personnes étaient-elles mortes pendant qu'il jouait avec des ossements, sans espoir ?

« Deux douzaines. Peut-être plus. Difficile à dire avec les corps les plus vieux. Ce n'est plus une affaire classée, Docteur, mais nous serions heureux si vous travailliez avec nous là-dessus. Nous allons passer la nuit à tout documenter, puis demain… La morgue sera pleine.

- Oui, bien sûr. Vous avez parlé avec l'Inspecteur Lestrade ?

- Il a accepté que vous veniez travailler temporairement avec nous. Présentez-vous en salle d'autopsie à la première heure demain. Le docteur Hooper sera heureuse de vous assister.

- Hooper ? Qu'est-ce qui est arrivé à Clemens ?

- Il est retenu sur d'autres affaires. Hooper est son nouveau collaborateur. » Quelqu'un dans son dos cria quelque chose d'idiot. « Demain, Docteur Watson ?

- Je serai là. »

Il raccrocha et se retourna vers les pâtes. Elles avaient collé en gros blocs qui ne cassaient qu'à contrecœur sous l'assaut de sa cuillère en bois. Ce fut seulement une fois le diner prêt qu'il se rendit compte qu'ils n'avaient rien prévus pour garder Jamie le lendemain. Sherlock voudrait absolument travailler sur le cas de Jamie et John s'était engagé à venir à la morgue.

« Tu peux l'emmener avec toi. » Sherlock répondit à son froncement de sourcil avec sa clairvoyance habituelle.

« Je ne vais pas emmener un enfant à la morgue, espèce de cinglé. » John versa de la sauce rouge et épaisse sur les pâtes. « Il en a déjà assez vu.

- Je n'étais pas en train de suggérer que tu le laisses regarder une autopsie. Si tu emmènes de quoi l'occuper, peut-être quelques devoirs, il sera très bien dans le bureau de Clemens.

- Ce n'est pas bon pour un enfant d'être entouré comme ça par la mort. » Il posa les bols sur la table avec un léger tintement.

« Peut-être." Sherlock haussa les épaules en un geste élégant. « Mais on a survécu. Et c'est bien mieux que de le laisser avec un étranger.

- Sherlock, pour lui je suis un étranger. »

Jamie releva la tête quand il entendit ça et le secoua un coup, fermement.

« Tu m'as seulement rencontré ce matin », souligna John, tendant une fourchette au garçon.

« C'était une longue journée. » Sherlock sourit, mais il ne lui arrivait pas jusqu'aux yeux. « Et il juge très vite les gens. N'est-ce pas, Jim ? »

Le garçon lui sourit à son tour, enfonçant sa fourchette dans le bol, faisant tournoyer lentement une pâte autour d'une dent.

« Jim ? » John leva un sourcil.

« On s'est mis d'accord. » Sherlock leva un sourcil en retour, avant de voler la fourchette de John ainsi qu'une bouchée de ses pâtes. Jim est un diminutif acceptable de James.

« Et tu aimes ? » John se tourna vers le garçon qui hocha la tête avant d'enrouler à nouveau une pâte autour de sa fourchette. John tendit le bras et repris la sienne. « Il y en a assez pour que tu puisses avoir ton propre bol, tu sais.

- Je n'en veux pas un à moi. » La jambe de Sherlock glissa sous la table, s'accrochant à la cheville de John pour le pousser un peu plus près. « Je veux le tien. »

Le téléphone sonna. John regarda Sherlock avec espoir, mais il lui renvoyait un regard vide. Avec un soupir John se leva et décrocha.

« Allo ?

- Johnny ! » cria Harry à travers le combiné. « Maman veut que tu viennes diner demain soir. On va jouer à la famille heureuse pendant qu'elle essaye de me dissuader de m'engager. Ça a l'air fun, hein.

- Je ne peux pas demain. Il se pinça l'arête du nez. Tout s'est un peu emballé ici depuis ce matin.

- Eh bien tu ferais bien de trouver un moyen d'avoir le temps. Elle veut que tu sois là, Johnny. C'est…

- Enorme, oui. » Il rit difficilement. « Peut-être que c'est trop tard pour elle pour arriver à cette conclusion. Dis-lui que vendredi est le plus tôt que je puisse et je vais peut-être quand même devoir annuler.

- Si tu es sûr…

- Je suis sûr

- On se voit vendredi alors. Je serai à la fac.

- C'est mieux ainsi. Bonne soirée, Harry. »

Il se retourna vers la table. Jim et Sherlock le regardait avec la même expression curieuse.

« Ça », dit-il doucement, « C'est franchement flippant. »